Gangs, vol, dégradation du bâti, insalubrité… Le constat sur l'état des villes est catastrophique. Serait-ce dû à un déficit d'urbanité ? A la rupture du lien communautaire à la ruralisation des villes ? «Le phénomène n'a rien de particulier à l'Algérie. Les conflits trouvent leur origine dans des enjeux de territoires. Des jeunes veulent prendre possession de la rue, qui est une importante source d'argent. L'ampleur des déplacements a exacerbé le phénomène. Il faut laisser le temps au temps. Peut-être le cercle vertueux arrangera-t-il les choses ?» signale Madani Safar Zitoun lors d'une conférence intitulée «Les villes algériennes aujourd'hui entre règne de l'informel et violence urbaine : des citadinités réinventés et précaires». Par l'expression «cercle vertueux», Safar Zitoun, qui s'exprimait, jeudi, lors de l'Université pour tous organisée par le Centre d'études diocésain les Glycines, entend parler des initiatives lancées dans les sites d'habitation par des résidants, ce qui permettrait à terme d'apaiser les rapports sociaux. Au cours d'une enquête menée (2003-2006) dans une nouvelle cité de Draria (617 Logements), Safar Zitoun s'est intéressé à une décision prise par un groupe d'habitants : installer un interphone. Objet anodin, l'appareil de communication suscite une belle émulation chez les résidants qui entretiennent des rapports conflictuels en raison de leurs origines diverses. Le travail sur la citadinité du chercheur est né d'un constat : la récurrence d'un discours sur la ruralisation des villes algériennes. «Nous héritons nos problématiques, nos façons d'approcher la ville, d'un patrimoine scientifique élaboré avant nous», déplore le sociologue, qui soutient que la recherche sur la sociologie urbaine en Algérie se situe au croisement de deux traditions : la première française, culturaliste, dont la figure de proue est Paul-Henry Chombart de Lauwe et par la suite P. Bourdieu aidé par Abdelmalek Sayad ; la seconde, endogène, s'appuie sur une tradition «maghrébine», avec deux précurseurs, l'Algérien F. Benatia et le Marocain M. Naceri. «Les analyses endogènes ont mis en exergue l'existence d'une sorte de citadinité qui serait consubstantielle, qui appartiendrait aux anciennes populations qui habitaient les villes précoloniales de l'Algérie. Ces approches évoquent des modèles (fassi, tunisois, etc.)», précise l'auteur. Les classes supérieures cherchent la distinction Selon Safar Zitoun, deux «vérités» continuent à alimenter le discours et les analyses prétendument savantes : la première se rapporte à un mythe répandu que la responsabilité dans la dégradation du bâti devrait être attribuée à une sorte de «déficit de citadinité» ; la seconde parle de rupture du lien communautaire. «Ce qui transparaît de ces deux explications c'est le procès en règle qu'on fait à une urbanisation qui contredit ce que racontent les sociologues de l'urbain. Je parle des fondateurs, à l'instar du sociologue allemand Georg Simmel, pour qui la ville c'est le progrès. L'urbanisation, selon lui, ne peut être que positive. La vie dans la ville casse les liens communautaires», signale le sociologue. Madani Safar Zitoun a fait référence dans sa communication à deux études ; l'une menée dans un grand ensemble d'habitat collectif situé à Alger (1985-1990) et la seconde a pour cadre la cité des 617 Logts à Draria. La première enquête, réalisée dans une cité de la périphérie accueillant des cadres de sociétés nationales et des administrations, a permis au chercheur de réfuter l'hypothèse de départ défendue par Abdelmalek Sayad (inculcation des valeurs résidentielles bourgeoises), en concluant que des transformations apportées dans les logements (décoration interne, changements fonctionnels, pose des barreaux, etc.) ont été prépondérantes chez les cadres supérieurs algérois. Par ailleurs, l'auteur, qui fait siennes les idées du sociologue allemand G. Simmel sur la rupture du citadin avec les liens communautaires, affirme que la citadinité n'est jamais acquise, mais qu'elle est un processus qui permet à l'individu de se couper sa communauté (individualisme, étrangeté, etc.).