Le logement social est devenu une question politique embarrassante pour les pouvoirs publics. A chaque distribution, des émeutes violentes éclatent pour dénoncer les listes des bénéficiaires, et contester dans le même temps l'injustice sociale établie par les responsables de l'administration locale. Il semble que la politique de logement social ait développé un marché informel juteux, qui a permis aux responsables locaux de construire autour d'eux des réseaux «mafieux» pour s'enrichir illicitement, au détriment des cas sociaux, laissés à l'abandon. En effet, ce constat s'est confirmé par la rapporteuse onusienne en juillet 2011. Elle pointe du doigt la politique gouvernementale du logement. «La politique algérienne du logement n'est pas étudiée (…). Des logements sont attribués illégalement à des personnes inéligibles. Ensuite, ils sont vendus à des prix exorbitants ou loués au noir.» Le rapport précise que «40% des logements sont attribués à des demandeurs âgés de moins de 30 ans, alors que ceux âgés de 35 à 50 ans sont dans un besoin de logement plus impératif et sont plus nombreux à le solliciter. 46,14% des demandeurs de logement sont âgés entre 35 et 50 ans et seulement 9,07% des demandeurs ont moins de 30 ans».(1) Nous entendons par là que la stratégie mise en œuvre pour réussir une politique sociale en matière de logements a produit un état d'esprit qui incite au développement du phénomène de la prédation. Le logement social conçu comme projet politique pour atteindre un objectif noble, à savoir la protection des familles nécessiteuses, est détourné par des «logiques prédatrices» qui façonnent la mentalité des responsables locaux et organisent les rôles des administrations publiques pour servir une partie de la société sans se soucier de la situation sociale de la majorité. Dans ce sens, le projet du logement social a bien été vidé de son rôle social et de son éthique humaine, car il est devenu une source de richesse. Aujourd'hui, les enjeux autour des projets de logements sociaux sont devenus colossaux et les manifestations violentes comme l'auto-immolation contre les listes préétablies des bénéficiaires par l'administration locale sont révélatrices. Les projets d'aide aux logements sociaux ont divisé la société en deux catégories, à savoir celle qui s'octroie le logement social et s'enrichit des quotas des programmes faramineux grâce aux relations qu'elle peut avoir avec des réseaux constitués autour d'un responsable influent, et celle qui se voit vivre sans «toit» et subir tous les aléas de la pauvreté à cause de l'absence de ce type de relation. Désormais, la richesse se construit en Algérie sur la base de la relation personnelle qu'on peut avoir avec des responsables dont la fonction est censée représenter les principes de l'Etat. Elle s'accumule donc chez certains au détriment des autres situations précaires que les décideurs politiques ciblent, d'une part, par un discours mystico-religieux pour les sauvegarder et exploiter, d'autre part, par les nouveaux opportunistes de la politique. Ces situations précaires sont devenues des «cartes» qu'on peut manipuler pendant les pseudo campagnes électorales pour faciliter aux riches véreux de s'enrichir plus des fonctions politiciennes réservées à cet objectif. Cependant, bien que l'aide aux logements sociaux ait été jugée par certains comme étant une idée positive, il n'en demeure pas moins que la gestion politique et financière de cet investissement «social» ait accentué les sentiments de frustrations aussi bien au niveau des familles besogneuses qu'au niveau des spécialistes de la question de l'habitat et de l'urbanisme. Dans cette situation, le slogan politique «construire pour loger» est tombé à l'eau. Au-delà du déséquilibre régional, la gestion désastreuse de l'espace et de ses fonctionnalités n'a fait que multiplier le sentiment de dépendance et de disparité sociale. Les bénéficiaires déclarent qu'ils n'habitent pas ces logements, car ils ne servent que pour dormir. Le président Bouteflika, l'initiateur de cette idée, l'a confirmé à plusieurs reprises. «L'Etat a injecté beaucoup d'argent dans les programmes sociaux, mais ces derniers ne répondent pas aux attentes. La construction de logements s'est souvent limitée à l'aspect quantitatif, ce qui a favorisé la négligence des aspects desquels dépendent le progrès des individus et la cohésion sociale.»(2) De ce point de vue, les problèmes engendrés par le projet du logement social au niveau de l'exploitation de l'espace qu'au niveau des relations sociales dépassent de loin les attentes souhaitées pour construire une vie d'ensemble cohérente. En plus de l'injustice pendant les distributions, les réalisations n'ont répondu ni aux besoins des familles ni encore moins aux exigences de la ville. Le cadre bâti est loin de produire la ville. Le peu d'espace réservé au logement et l'absence des équipements socio-éducatifs, culturels et de loisirs n'encouragent pas de construire une vie collective. Les membres de la famille et particulièrement les jeunes quittent les logements sociaux tôt pour errer dans les rues jusqu'au coucher du soleil. Ils n'entrent que pour dormir et pour ressembler aux morts. Les rêves ne prédisent aucune joie et les nuits ne se terminent que par des cauchemars. Ces logements n'offrent aucun confort et ne permettent d'édifier aucune vie privée. Le logement social est détesté, car son espace et sa conception ne permettent de construire aucun lien. Le cadre bâti ressemble donc à un cadavre sans âme. L'habitat, écrit M. Segalen, «relève d'une analyse relative au côté le plus privé, le plus intime de la famille. Il n'est guère du domaine dépendant du champ familial (…). L'espace résidentiel vous habite tout autant que vous l'habitez. La privatisation de chaque famille de son lieu d'habitation est un phénomène naturel. Ce lieu qui s'approprie par rapport à la nature sociale et culturelle de chaque famille intervient lui aussi pour modifier le comportement des membres qui l'habitent. L'un modifie l'autre.»(3) En ce qui nous concerne, les malfaçons et les hostilités que produisent ces logements sociaux ne sont pas considérées comme un crime contre la santé des individus. Les concepteurs et les réalisateurs ne se soucient ni de la justice de l'homme ni de châtiment divin. Ils vivent en toute impunité malgré les dégâts commis contre la nature et contre la santé de l'homme. Au-delà de la gabegie de l'argent public et du temps, les immeubles d'une architecture affreuse et effrayante continuent de pousser pour agresser plus davantage la nature et couper toutes les voies d'une vie sociale sereine. En Algérie, les dépenses publiques ne sont pas investies pour produire la vie, mais pour devancer les facteurs de sa naissance. Il suffit d'observer les immeubles qui apparaissent dans les campagnes et dans les villages reculés pour comprendre que les concepteurs de cette stratégie abominable l'ont faite soit par ignorance totale de la réalité de la paysannerie algérienne, soit pour couper tous les espoirs de sa renaissance. Visiblement, aucune pensée n'est consacrée à cette Algérie qui continue d'allaiter ses enfants malgré les coups morbides qu'elle encaisse. Bien qu'elle reste attentive aux besoins de ses nouveau-nés, les adultes continuent de la téter pour empêcher les petits de grandir. Ils demeurent nuisibles dans son propre espace pour qu'elle ne puisse guère s'isoler avec ses petits et les détourner de leurs regards. En l'absence du «père», ces adultes insistent à ce qu'ils l'accompagnent dans l'éducation pour surveiller ses petits et participent à leur «façonnement». Ceux qui ne suivent pas les règles préconçues n'ont d'autre choix que de «fuir» pour grandir loin des regards des adultes. Actuellement, la dépendance totale aux adultes est devenue la règle sacrée. Ce sont eux qui veillent à ce que cette règle fonctionne jusqu'au retour du «père». Tant qu'il n'est pas revenu, ce sont les adultes qui décident pour les besoins des petits et ce sont eux qui choisissent comment et où ils peuvent vivre en sécurité. Il n'est point question de discuter la règle car elle n'appartient à personne. En effet, personne n'est en mesure de changer la règle et tout le monde évolue dans l'état d'esprit des adultes pour préserver ce qui est recommandé essentiellement par eux. Malgré le vieillissement de la mère (Algérie), personne n'ose affranchir la règle et intervenir pour entretenir son visage et manier ses membres afin qu'elle puisse tenir debout pour fêter le retour du père. Malheureusement, l'attente a duré et les adultes s'acharnent de la faire vieillir plus encore pour qu'elle suive leur cycle de vie sans rendre aucun hommage qui peut la faire renaître à nouveau. De cette image symbolique découle la santé réelle de l'Algérie. Elle est affaiblie par une gestion désastreuse que tout le monde se décharge vis-à-vis des conséquences tragiques qu'elle subit. Le projet de logements sociaux suit la même règle. Il a produit des effets sérieux en matière de gestion et de développement durable. Le besoin des hommes en matière d'habitation, écrit l'un des spécialistes de l'habitat, «est un état et par extension un objet. Dire qu'une famille a besoin de logement, c'est définir un état particulier. Dire que le logement est un besoin primordial, c'est donner à un objet une place prioritaire. Or, confondre l'état et l'objet aboutit souvent à oublier l'état. Au lieu de parler du besoin de logement, on parle volontiers des besoins en logements. On établit alors un calcul, l'accroissement démographique, la dimension des familles, etc. Il faut étudier d'abord en quoi consistent exactement les besoins des familles. L'insatisfaction de l'espace habité entraîne des conséquences qui peuvent être graves pour la santé physique ou mentale.»(4) En effet, la construction des logements dans les milieux urbains ne présente pas un cadre bâti imposé ou construit d'une manière aléatoire. La mise en œuvre d'une politique urbaine en matière de construction insiste sur les données empiriques de la société. Elle se base sur des études techniques, architecturales et psycho-sociologiques. Négliger les données réelles établies par des études et des enquêtes produit une population déstabilisée et désordonnée. Loger des familles sans enquêter sur leurs besoins en matière d'habitat est considéré comme un acte irrationnel. Il ne peut y avoir une autre signification que celle d'une politique inconsciente sur la gravité de ce problème et les conséquences que peuvent agir. Le besoin d'espace domestique n'est pas lié fondamentalement à un état de nécessité. Il suppose une fin consciente ou non. Dans l'habitation, la notion de fonction, écrit P. H. Chambart de Lauwe, «revêt un double aspect technique et socio-psychologique. Les formes doivent exprimer les fonctions déterminées par les besoins des hommes…L'habitation moderne est faite pour un type de famille et non pour une famille déterminée. L'architecte travaille de moins en moins pour une personne, de plus en plus pour des groupes ou des catégories de personnes. L'architecte établit ses plans de façon fonctionnelle non pas d'après ce que les familles ont ou ce qu'elles ont eu, mais d'après ce qui leur est nécessaire pour vivre dans la société. Les besoins relatifs à l'habitation sont physiologiques, psychologiques, culturels. Il y a des besoins d'obligation, des besoins de détente, des besoins d'aspiration. Une famille ne peut pas vivre sans logement. Ce dernier doit satisfaire un certain nombre de besoins. Dans le logement, chaque membre doit trouver le moyen de se détendre à tout point de vue, depuis le repos physique jusqu'aux besoins culturels ; mais le logement doit aussi répondre à des aspirations soit d'extension de la famille, soit d'amélioration matérielle, soit de développement intellectuel, soit d'épanouissement affectif et spirituel.»(5) Cependant, bien que nos décideurs politiques préfèrent être conseillés par des étrangers que par leurs compatriotes, formés sur les questions stratégiques du développement de leur propre pays, il n'empêche que le peu de propositions efficaces restent hostiles aux vœux de nos dirigeants. En effet, en matière de logements sociaux et de leur gestion, l'experte en logement et urbanisme, Mme Ronilk, a conseillé le gouvernement algérien sur l'importance d'«une diversification dans la réponse au problème du logement en Algérie au lieu du ‘‘tout-construction se limitant à une offre de nouveaux logements'', option quantitative très lourde financièrement mais qui ne parvient pas à résorber le déficit. Une diversification qu'elle lie étroitement avec l'impératif de démocratiser le traitement du dossier en impliquant davantage la société civile qui pourrait, selon elle, remettre en question la rigidité uniforme des critères d'attribution, par exemple et éviter le cycle infernal des émeutes.»(6) Changer la règle afin de permettre à la société civile de se construire pour participer dans la gestion des affaires locales et particulièrement celle des projets de logements sociaux avec un dispositif spécifique, formulé sur la base de vraies enquêtes socio-économiques de différentes formes de familles pour maîtriser essentiellement l'outil de distribution et de transparence, reste un rêve qui ne peut être exaucé avec la mentalité de nos dirigeants. Visiblement, la défaillance d'une conception psycho-sociologique de logement social n'est qu'un aspect qui montre à ciel ouvert les échecs d'un pouvoir central qui continue de fonctionner malgré les dégâts réalisés. Bien que ce régime ait réussi à fragiliser les initiatives locales qui peuvent émerger pour exprimer les vrais besoins de leur localité et organiser en même temps les populations pour mieux s'adapter avec les nouvelles réalités, il n'empêche que les dommages commis ne lui ont pas servi de leçon pour comprendre que les décisions politiques dans les bureaux luxueux fermés, entre des bureaucrates orgueilleux, demeurent hostiles aux opportunités que peuvent développer les régions différentes et ne génèrent en fin de compte que de l'injustice et des conflits. En effet, la compréhension du problème de logement social est en rapport direct avec ce pouvoir central qui continue de maintenir les anciennes règles pour entretenir un pouvoir archaïque sur la société. La demande de logement comme la demande de travail ne trouve de solution que dans sa vision qui ne répond à aucune logique économique et ne suit aucune stratégie rationnelle. Elle vise essentiellement à maintenir la société dans un esprit de dépendance totale et qui, de son côté, continue de se mettre en scène publiquement en «victime» pour harceler le pouvoir par des émeutes pour jouir uniquement des avantages matériels qu'il peut leur distribuer quand il sent la peur de sa déchéance. Références : 1- N. M. Politique du logement en Algérie : «L'enquête onusienne objective» sur www.algérie360.com. 2- Journal El Watan du 09 février 2013. 3- Martin Segalen, 1999. Les familles dans la ville. Une ethnologie de l'identité, Toulouse. PUM, p 70. 4- P. H. Chombart de Lauwe, 1960. Famille et habitation, Paris, CNRS, p,17. 5- P. H. Chombart de Lauwe. ibid, p 17. 6- www.algérie360.com. Site d'informations et d'actualités sur l'Algérie.