Il suffit de compter neuf mois en remontant depuis le 13 février 1946, date de sa naissance, pour comprendre quelle douleur et quel deuil régnaient sur le pays au moment de l'éclosion de Omar Mokhtar Chaalal dans le ventre de sa mère. L'immense blessure subie par tout un peuple durant les terribles journées de la répression aveugle, plus d'un mois durant, au lendemain du 8 Mai 1945, a sans doute nourri ses instincts dès les premiers instants de vie ainsi que son irrépressible révolte contre toute forme d'injustice. L'enfance, passée à comprendre et mesurer à quels sacrifices pouvait mener le besoin de liberté et de dignité, déboucha sur un vol d'arme à un soldat français, lui-même à peine sorti de l'adolescence, transi de peur, de froid et de fatigue, en faction devant un cinéma de Sétif par une nuit glaciale, et auquel Omar Mokhtar Chaalal finit par rendre son arme, façon de lui dire de ne pas perdre sa jeunesse en brimant celle des autres. Il avait quatorze ans... A près de vingt ans, alors qu'il commençait à découvrir ce que «militer veut dire», une autre forme d'injustice, celle imposée par des héros d'hier à l'égard de ceux qui avaient une opinion divergente, traitée de déviante, le pourchassa et l'opprima. Il en sortit une année plus tard, atteint physiquement, aguerri moralement, déterminé plus que jamais à poursuivre son chemin «vers la clarté». Il fut surnommé le Tigre par ses camarades, surnom qu'il gardera toujours. La rencontre avec Kateb Yacine, au détour de l'errance, à la recherche de certitudes et d'engagement, lui ouvrit les yeux sur les combats à mener et les moyens d'y parvenir. Le théâtre, sur les pas du poète, la poésie, sur les traces du guide... El aalem met'haouel (Le monde en transe), pièce écrite et montée par Omar Mokhtar Chaalal, jouée par des amateurs (dont deux poursuivent l'aventure à ce jour), captura l'attention de jeunes curieux pour mieux appréhender ce qu'ils vivaient tous les jours, voyaient à la télévision ou lisaient sur les journaux à travers un spectacle qui leur parlait, les faisait rire et réfléchir. Une décennie plus tard, au bout d'un parcours professionnel (mais aussi militant!), qui l'avait totalement mobilisé à la formation professionnelle, lorsqu'il lui fut demandé de diriger la maison de la culture Houari Boumediène de Sétif, il retrouva toute la richesse de l'itinéraire suivi, la puissance des relations nouées au gré des passions. Cela valut à la Maison de la culture de répondre aux attentes de ses publics au point qu'une partie d'entre eux y avait presque élu domicile. Jamais Sétif ne vécut plus faste période dans sa vie culturelle, avec les plus belles pièces du répertoire de Alloula, Benaïssa, Medjoubi et autres, des expositions diverses, un ciné-club de très haut niveau... Puis survint la nuit. Au réveil, fort d'un recul, d'une écriture, du temps pris pour son affinement et d'une rencontre avec de jeunes éditeurs (Editions Barzakh) subjugués par la force de son verbe et la puissance de l'introduction inédite de Kateb Yacine, son recueil de poèmes, Le Proscrit, sortit. A l'orée du Millénaire, avec le soutien des éditions Casbah, il se lança dans divers écrits et y prit goût. Sous le titre de Kateb Yacine, l'homme libre, il livra une chronique originale, non pas du grand écrivain mais de l'homme qu'il connut, dans la simplicité de la vie, la modestie des gestes et des préoccupations, la bonhomie de l'ami, du fils, du père, la force des convictions. Puis il récidiva avec Abdelhamid Benzine, autre figure emblématique l'ayant marqué, dont il raconta la jeunesse et les débuts en politique dans le roman historique Talghouda. Omar Mokhtar Chaalal a rejoint à son tour les ancêtres. Il laisse Yasmina qui jamais ne lâcha ses mains, des enfants épanouis et heureux, même si la vie ne sera plus jamais la même pour eux sans son imposante stature et une bande d'amis, Mohamed, Krimo, Abderrahmane et les autres, qui vivaient chaque soir ses coups de colère et ses engueulades sans suite, autour de la passion de la belote. Il était aussi mauvais perdant au jeu que loyal, et tellement dans le reste des rapports humains. Il laisse aussi une ville qu'il aurait voulu voir se réconcilier avec ses composantes les plus intimes, une ville en cours d'effritement inévitable, balayée par d'autres valeurs qui ont désormais pignon sur rue. Il reste à espérer, à partir du vœu de nombreux présents au soir de son enterrement, que le théâtre municipal de Sétif soit baptisé théâtre Omar Mokhtar Chaalal. Prière pour l'Absent.