Tenez, regardez le thermomètre, il indique 42 ° Celsius et il n'est que 11h du matin», se lamente une femme médecin installée à Ghardaïa, dont la fille est appelée à repasser pour la deuxième fois cette épreuve du baccalauréat dans la filière la plus touchée par la triche et les fuites, à savoir les sciences expérimentales. Elle se rendra avec les 7915 autres candidats dans les classes d'examen parsemées à travers la wilaya de Ghardaïa. Punition collective «Je me demande comment avec cette chaleur torride, jeûnant pendant 16 heures, donc le corps pratiquement en état de semi-déshydratation, avec des cerveaux embués par la faim et la soif, nos enfants pourront se concentrer sur leurs sujets et disserter en conséquence», s'interroge le médecin et d'ajouter : «Je trouve que les conditions climatiques et le timing en plein mois de Ramadhan ne se prêtent guère à une bonne attaque de cet examen. On leur demande trop à ces jeunes déjà bien traumatisés par le fait qu'on leur ‘‘ordonne'' de refaire les épreuves, ce qu'ils considèrent déjà comme une punition collective. Je ne serais pas du tout étonnée si le taux d'échec était élevé. A moins que les autorités décident de repêcher tous ceux qui approchent des moyennes ainsi que ceux dont les résultats annuels sont probants. Je crois que c'est la seule façon de montrer à cette cuvée 2016 que leur pays ne les sanctionne pas pour des fautes assez graves commises par d'autres.» Candidats déçus Bilal, un voisin de quartier, candidat dans la filière gestion au lycée Mohamed Lakhdar Fillali de Mermed, se dit très déçu par la décision des autorités de refaire les épreuves. «Comment voulez-vous que je ne sois pas déçu après tous les efforts que j'ai consentis en cours du soir et en révisions nocturnes, sans compter les sacrifices consentis par mes parents pour me payer ces cours de soutien qui coûtent très cher.» Amer, lui, n'en démord pas : «J'étais sûr d'avoir bien travaillé et que j'allais décrocher mon sésame pour l'université, exauçant ainsi le vœu de mes parents et après avoir totalement décompressé et m'être laissé aller à la joie de la farniente et des vacances bien méritées, notamment par de longues journées à la piscine, voilà qu'on brise mon rêve en me disant non, tu n'as pas encore réussi.» A la veille de l'examen, des candidats se disent totalement déconcentrés et qualifient la décision du gouvernement d'injuste. «Pourquoi devrais-je payer pour des actes que je n'ai pas commis ? Je ne suis pas un fraudeur et j'abhorre les tricheurs. S'il y a quelqu'un à sanctionner, ce sont eux», s'insurge Bilal. Redoutable canicule Nesrine, candidate dans la filière mathématiques au lycée de Sidi Abbaz, dans la commune de Bounoura, un tantinet fataliste, invoque, elle, «el mektoub». Dans ses yeux pleins de déception et de fatigue par le manque de sommeil, après des efforts intenses pour reprendre des révisions en cascade, s'inquiète de sa capacité physique à endurer la soif par ces journées de canicule intense. «Lors de la première session et alors qu'on avait entamé les épreuves le ventre plein et les bouteilles d'eau à portée de main, on avait du mal à nous concentrer à cause de la chaleur qui était bien en dessous de celle de ces jours-ci. Comment dans ces conditions notre pauvre métabolisme pourra supporter tant de souffrances physiques et biologiques ? C'est ma seule appréhension pour cette session et ces conditions particulières.» Jeûner ou ne pas jeûner ? Quid des fatwas autorisant les candidats à rompre le jeûne les jours d'examen et à les rembourser plus tard. Sofiane, blondinet aux lunettes cerclées sourit et répond en taclant : «Ma mère est diabétique et malgré toutes les pressions de son médecin et de la famille lui recommandant de ne pas faire le carême pour raison de santé, refuse mordicus d'arrêter le jeûne. Alors, comment voulez vous que moi, son fils, sain de corps et d'esprit, je fasse le contraire, impossible !» Ce n'est, en tout cas, pas l'avis de tout le monde car pour Mustapha il n'y a pas de problème à rompre le jeûne pendant la durée des examens puisque c'est autorisé par des fatwas reconnues par le ministère des Affaires religieuses et des wakfs : «Si Dieu me permet de me présenter à cet examen avec toutes mes facultés mentales, psychologiques et physiques, pourquoi m'en priver ? Je rembourserai ces 5 journées dès la fin du mois de Ramadhan, Incha Allah.» C'est dire que les avis divergent sur cette sensible question du jeûne. Mais ce qui est sûr et admis par tout le monde, c'est qu'aujourd'hui à 8h du matin, dans la wilaya de Ghardaïa, ce ne ne sont pas moins de 7916 candidats, dont 2028 qui concourront en candidats libres, concernés par la décision du gouvernement de repasser partiellement les épreuves du baccalauréat qui se dérouleront à partir d'aujourd'hui, et ce, jusqu'au 23 et auront à se présenter dans les 37 centres d'examen éparpillés sur 11 des 13 communes que compte la wilaya de Ghardaïa. Près de la moitié de ces candidats sont des filles, soit un total de 3852 candidates. 876 d'entre elles se présenteront en candidates libres et le reste, soit 2966, concourront en étant scolarisées. En fait, ces conditions particulières dans lesquelles vont concourir les candidats à la 2e session du bac (chaleur et jeûne) est une véritable épreuve (mentale et physique) dans l'épreuve. Engageant l'avenir de milliers de jeunes, le baccalauréat cuvée 2016 restera sans nul doute dans les annales de l'éducation nationale comme une tache noire, indélébile, œuvre d'inconscients à la citoyenneté douteuse.