Selon un représentant du FMI qui séjournait récemment à Alger, s'appuyant sur une étude réalisée par son institution, les subventions énergétiques sont mal réparties en Algérie : 20% de la population la plus riche en bénéficient six fois plus que les 20% de la population la plus pauvre. Quelle lecture pouvez-vous en faire ? Effectivement, le FMI vient de souligner, dans une étude concernant l'Algérie, le cas des subventions énergétiques dans lesquelles 20% de la population la plus riche en bénéficient six fois plus que 20% de la population la plus pauvre. C'est un fait frappant, mais aussi, faut-il souligner, les subventions non ciblées font accentuer les disparités de développent territorial, les grandes villes et centres urbains en profitent plus que les régions rurales pauvres et isolées. La question se pose également en termes d'opportunité des subventions accordées aux activités économiques. Sont-elles orientées stratégiquement au développement d'une activité ou à une remontée de filières susceptibles de tirer la croissance économique et de créer l'emploi ? A souligner aussi qu'une étude de l'ONS (2013) a souligné une concentration excessive de la dépense de consommation au profit d'une minorité, et ce, durant la période allant de 2000 à 2011. L'enquête, à titre d'exemple, a montré que 20% des ménages les plus riches ont dépensé 7,4 fois plus que les revenus des ménages les plus défavorisés. De fortes disparités des dépenses sont aussi à relever entre les zones urbaines et rurales. Cette situation ne fait, d'ailleurs, qu'aggraver l'injustice dans la répartition des revenus entre les populations. Autrement dit, la concentration de la richesse entre les mains d'une minorité au détriment de la majorité pauvre est favorisée par la défaillance du système des subventions. La politique des subventions généralisées est insoutenable et inéquitable. Il est temps de faire le diagnostic et de savoir à qui profitent réellement les subventions qui s'élèvent à environ 20% du PIB. La révision des subventions a depuis toujours été conseillée par le FMI, qui y voit une injustice tant il est vrai qu'elles profitent aussi bien aux riches qu'aux pauvres. Pour le gouvernement, l'instrument permettait plutôt de maintenir la paix sociale. Pensez-vous que l'Exécutif pourrait aller encore plus loin dans sa refonte des subventions ? Effectivement, la révision des subventions a depuis toujours été conseillée par le FMI, voire par des experts algériens, mais il ne faut pas perdre de vue que cette question a été souvent réduite à son aspect technique et économique. Les subventions ne doivent pas se limiter à une volonté d'acheter la paix sociale. Elles nécessitent un large consensus politique qui doit impliquer également le modèle économique et social du pays. Dans l'Etat social actuel, les subventions arrangent plus les riches et certains milieux d'affaires qui ne peuvent évoluer que dans le captage des subventions de l'Etat. D'ailleurs, à un moment donné, l'investissement a été orienté vers les filières qui captent les subventions. Le gouvernement est sous une double pression des acteurs de l'informel et des couches sociales défavorisées. C'est pourquoi le FMI lui a recommandé de faire une transition «en douceur». Se pose ensuite la question de savoir si l'on peut oser la suppression des subventions et passer à la réalité des prix au moment où les disparités sociales ne cessent de s'aggraver. Je pense que dans un contexte de montée de la précarité sociale et d'instabilité politique régionale, il est plus qu'indispensable de faire un effort de justice sociale. Y a-t-il, selon vous, un mécanisme approprié susceptible de protéger les couches vulnérables de la société tout en remettant en cause la politique volontariste et populiste de l'Etat ? D'abord, il ne faut pas recourir, sous l'effet de la crise, à une thérapie de choc, mais travailler progressivement pour un meilleur ciblage et une justice dans la répartition des revenus et des subventions. Dans un premier temps, il faut mettre en place des outils statistiques fiables, capables d'identifier les populations éligibles aux subventions. Mais l'action nécessite inévitablement des réformes structurelles susceptibles de réduire le poids de l'informel dans l'économie. L'Algérie souffre de pratiques informelles à tous les niveaux qui structurent l'opacité comme un mode de gouvernance. Les dispositifs techniques de ciblages sont intéressants pour une meilleure redistribution, mais nécessitent d'être ancrés dans un environnement juridique et institutionnel et une forte adhésion des ménages et des entreprises. L'Etat social ne se limite pas à l'achat de la paix sociale et à la redistribution des revenus, mais assure la préservation des grands équilibres économiques et sociaux du pays.