On connaît de Goethe qu'il est médecin, savant et penseur du XIXe siècle. Mais l'a-t-on suffisamment lu pour savourer son talent de pédagogue ? Son livre Années de voyage de Wilhem Meister nous donne à lire des idées pédagogiques novatrices, en avance sur son temps. Et elles sont toujours d'actualité. A travers les pages de cet ouvrage, le philosophe allemand nous invite à réfléchir sur l'art d'éduquer. Le personnage central (W. Meister) y révèle sa personnalité à travers les différents milieux qu'il fréquente et par l'effet de toutes les expériences qu'il a engrangées. Goethe lui prête cette phrase emblématique de son caractère : « M'extraire de moi-même, tel que je suis. C'était absolument mon désir et mon intention ». Nous décelons dans cette profession de foi des idées chères à l'auteur et qui fondent sa pensée pédagogique. A ses yeux, l'individualité est une donnée irréductible. De la sorte, il fixe à l'éducation le noble objectif d'épanouissement plein et entier de la personnalité. Par ses critiques à l'encontre de l'école de son époque, Goethe rejoint d'illustres devanciers. Avant lui, Montaigne, Rousseau – pour ne citer que ceux-là – ont stigmatisé l'enseignement verbal synonyme de bourrage de crâne et de dressage. En mettant l'accent sur le « trop parler », Goethe souligne la vanité, l'inefficacité, voire le ridicule d'un enseignement basé sur le seul verbalisme. Montaigne écrivait deux siècles avant lui : « Parler trop, c'est verser dans les têtes comme dans un entonnoir ». Dans ce sillage, on ne peut s'empêcher de leur rattacher la célèbre formule de Jean Jacques Rousseau : « Des mots ! Encore des mots ! Toujours des mots. » L'action par le dessin Toutefois, il ne se contente pas de dénoncer les travers de la pédagogie utilisée à son époque. Pour les éradiquer, Goethe préconise la voie de l'action précise et réelle. Selon lui, c'est par elle (l'action) que l'individu se réalise, s'exprime et se construit. Il a d'ailleurs laissé à la postérité cette célèbre phrase : « Au commencement était l'action. » A ce mal diagnostiqué, le savant allemand y voit un remède : « Dessiner davantage qu'on ne parle. » Il trouve le dessin plus efficace que la parole pour transmettre des connaissances ou exprimer des idées. C'est donc un instrument qui permet une transmission plus rapide et plus évocatrice ; un dessin suggestif fait parfois apprendre beaucoup plus à l'élève qu'un long discours. Aux yeux de Goethe, le dessin reflète l'âme, le goût et les possibilités du maître. Il pense à juste titre qu'il suffit au maître de savoir observer le dessin de son élève en fin psychologue. Il élève ainsi le dessin au rang de procédé d'enseignement en exigeant du maître d'école qu'il ait une maîtrise du dessin. Selon lui, ce serait là une preuve qu'il exerce sa profession avec art. Une institution scolaire qui accorde de l'importance au dessin est sommée d'outiller ses enseignants en conséquence. Leur formation initiale doit intégrer cette nécessité dans ses programmes. Un enseignant qui ne sait pas dessiner se discrédite aux yeux de ses élèves. Sur un autre volet, le philosophe vilipende les mauvais enseignants tout en rehaussant leur métier. Il écrit : « Pour le médiocre enseignant, ce ne sera qu'un métier. Pour le meilleur, ce sera un art. Il y verra le symbole de ce qui peut être bien fait. » Des pédagogues novateurs du début du XXe ont senti chez Goethe des idées intéressantes. Freinet avec ses textes libres invitent ses élèves à les illustrer avec des dessins. Utilisé avec intelligence, le dessin peut s'avérer un puissant instrument au service de l'éducation globale des enfants. Plus particulièrement au cycle primaire et préscolaire. C'est en ce sens que la géniale intuition de Goethe prend toute sa valeur. Elle est originale pour son époque caractérisée qu'elle était par l'enseignement livresque et dogmatique. Une intuition qui permet de mettre à jour chez le maître comme chez son élève les qualités d'observation et de finesse. Sans le dessin, ces qualités pourraient-elles se manifester ?