Un meurtre perpétré dans un quartier de Hassi Messaoud a servi de prétexte pour une «expédition punitive» contre des femmes vivant seules, comme ce fut le cas en 2001. Jeudi 8 septembre, 14h30, une semaine jour pour jour après le drame d'El Haïcha, le préposé au bureau local du Croissant-Rouge algérien quitte calmement les lieux, la conscience tranquille, fermant à clé la bâtisse abritant des chambres qui restaient le seul espoir d'une dizaine de femmes dont les maisons ont été incendiées après un saccage et un pillage en règle, dans ce quartier populaire qui n'en finit pas d'en vouloir aux femmes seules. Le meurtre a été le prétexte à une nouvelle expédition punitive qui a ciblé une vingtaine de femmes de ménage habitant à la lisière du quartier, face au cimetière, derrière le marché au bétail. Le même scénario macabre qu'en 2001, où des femmes de ménage traitées de «p…» avaient été laissées pour mortes sous les décombres, vient d'être réédité en ce mois de septembre. Les femmes de ménage chassées de la maison de jeunes El Bouti qui les avait hébergées durant la semaine du 2 au 7 septembre sont accroupies devant la porte. Elles font partie des vingt familles concernées par la démolition opérée par l'APC de Hassi Messaoud au lendemain du drame qui a coûté la vie à Abdelkader B. un jeune homme de 26 ans, poignardé à la poitrine par sa voisine Mimi N. Elles dorment depuis à la belle étoile avec leurs enfants en bas âge. Sommées de rentrer individuellement à l'intérieur, c'est Fatma-Zohra, femme de ménage à domicile et mendiante connue du boulevard, qui est la première à en ressortir : «Je suis l'heureuse gagnante d'une aide à la location pour trois mois ! Mais personne ne veut me louer et les autorités n'y peuvent rien, selon ce monsieur.» Quittez Hassi Messaoud ! Cette maman de deux filles et quatre garçons a bien été hébergée mercredi soir par une dame qui a accepté le loyer et qui a fini par la chasser le lendemain. «Elle m'a rendu les 15 000 DA parce que je ne voulais pas me séparer de mes garçons comme elle l'exigeait», raconte Fatma-Zohra, accueillie pas ses copines de malheur qui ont passé la nuit dehors. «J'ai mis ma fille aînée à l'abri, elle a 16 ans et j'ai peur pour elle», dit-elle, en larmes. Classée famille nécessiteuse, Fatma-Zohra ne s'estime pas heureuse pour autant : «Les services de l'APC me connaissent, à quoi cela va m'avancer d'être estampillée pauvre si c'est pour me jeter à la rue ?» Pour ses compagnes d'infortune, auxquelles le CRA a pourtant refusé de payer le loyer, les locations sont chères en dehors d'El Haïcha et Toumiat. Ainsi, l'aide consentie par le CRA ne vaut que dans les quartiers où les femmes sont pourchassées. «Nos agresseurs ont demandé à la population de ne plus nous louer», hurle El Alia, mère de famille et grand-mère travaillant depuis 18 ans pour Ligabue. Accompagnée de ses deux petits-fils, des miraculés, sauvés in extremis des flammes par les pompiers, elle ne réalise toujours pas que le maire en personne supervise «cette démolition arbitraire survenue alors que des dizaines de jeunes ont attaqué nos maisons, volé nos affaires et brûlé nos vêtements et nos papiers». El Alia raconte qu'elle a entendu du bruit dans la rue au moment du crime, mais la police qui venait d'arriver lui a demandé de rentrer chez elle. Tant que le jeune homme était en vie, c'était calme. «Notre calvaire a commencé après sa mort. Vendredi matin, j'étais de service quand une voisine m'a téléphoné pour m'annoncer que ma maison brûlait, personne ne nous a notifié quoi que ce soit, ni qu'on était en situation illicite, ni que nos maison allaient être démolies.» Et d'ajouter : «Le maire nous a humiliées devant tout le monde, il nous a accusées d'avoir tué Abdelkader, Allah Yarhmou. Alors que nous sommes pour rien dans cette tragédie. Il nous a demandé de rentrer dans nos villes d'origine, alors que nous sommes des citoyens de Hassi Messaoud depuis vingt ans.» Stigmatisation La veuve n'est pas peu fière de son statut de salariée : «Je travaille pour nourrir ses enfants et si mon employeur me renouvelle mes contrats, c'est parce que je suis sérieuse.» Une citoyenne en règle qui vient de payer 9000 DA d'électricité à Sonelgaz «Ils m'ont bien placé un compteur, pourquoi mon logement est devenu illicite du jour au lendemain ? Voyez ce certificat de résidence signé de la main du maire... il est illicite ?» Sur l'acte authentique, Yacine Bensaci, président de l'APC de Hassi Messaoud, atteste que Mme Khelifi habite bien le quartier Bouamama, à Hassi Messaoud. Bouamama, c'est le nom officiel d'El Haïcha où elle vit depuis 15 ans. Aïcha quant à elle, femme de ménage à la base 24 Février, est détentrice d'un acte coutumier d'achat de terrain. «Je n'en reviens pas que ces gens en veulent à des femmes faibles et démunies. J'ai construit selon mes moyens pour loger mes six enfants, qui sont à ma charge depuis le décès de leur père.» Comme El Alia, Aïcha paye l'eau et l'électricité, documents à l'appui. Elle n'est pas dupe : «Je sais que l'APC n'avait pas le droit de démolir ma maison mais je n'ai aucune voie de recours. Hassi Messaoud est une ville hors la loi, c'est la loi du plus fort.» «Je suis à la rue, mes enfants ont une petite santé, on venait à peine d'acheter les fournitures scolaires... Mon Dieu que vais-je faire ?» s'écrie-t-elle, les mains sur le visage. Enfants sans école Ne pas voir ses enfants aller à l'école comme les autres. Au-delà du sentiment d'injustice et d'impuissance exprimé par ces chefs de famille devant l'autorité réagissant le week-end, un vendredi matin, pour anéantir les logements de fortune de ces familles dont l'existence ne tient qu'à la résistance de femmes seules, divorcées ou veuves, c'est l'impossibilité de voir leur progéniture évoluer dans un cadre normal et jouir d'une rentrée scolaire ordinaire qui ronge ces familles rencontrées à la veille de l'Aïd. Salim, un voisin des 1850 Logements, se rappelle des événements de 2001 ; il déplore que «la situation n'ait guère changé à El Haïcha, l'ogresse qui chasse les femmes». Pour lui, «ce sont toujours les mêmes illuminés qui s'en prennent aux êtres faibles». Des femmes et des enfants qui espéraient rencontrer le président de l'APC au lendemain de leur expulsion de la maison de jeunes. Présent, il aurait exclu tout espoir de relogement, apprend-on auprès d'elles. Absent, «il pourrait prendre pitié de nous à la veille de l'Aïd». Mehdi Khouzem, chef de la daïra de Hassi Messaoud, s'est quant à lui abstenu de tout commentaire. Dans son bureau frais et ombragé, contrastant avec la chaleur infernale de l'extérieur, ce responsable a quand même tenu à souligner que «les autorités locales ont consenti deux formes d'aides à ces familles, l'une locative pour trois mois via le Croissant-Rouge, l'autre pour l'autoconstruction dans le cadre du logement rural, après vérification sur le fichier national FNAC». Représailles, détresse, danger de mort, injustice, précarité, sans domicile fixe. Des mots qui ne riment à rien pour le chef de daïra de Hassi Messaoud, qui affirme être « rentré de congé bien après les événements et que seul le président de l'APC endossait la responsabilité de la situation». Yacine Bensaci est pourtant le premier président d'APC à avoir instauré des rencontres de bilan semestriel publiques, organisées dans l'ancienne salle de cinéma de Hassi Messaoud, et où chaque citoyen a droit à la parole. Après une série de maires, tous traduits en justice pour mauvaise gestion pour les meilleurs, dilapidation de deniers publics pour les plus cupides, ce jeune élu FLN s'est distingué par une prise de position ferme, solidaire avec ses concitoyens. Il a exigé du gouvernement de lui laisser les coudées franches pour gérer sa ville ainsi que le dégel de la situation de Hassi Messaoud et des solutions concrètes au problème du logement dans cette daïra, classée zone à haut risque industriel depuis 2005. Ce même maire, resté impuissant devant l'anarchie qui règne dans cette ville pétrolière, a cédé à la pression de la rue qui exigeait la démolition des maisons des femmes de ménage comme préalable à l'inhumation du défunt Abdelkader, vendredi dernier. La confusion générale augure de nouveaux drames face à l'arbitraire. «Une décision au pied levé», commente un ancien élu de l'APC de Hassi Messaoud, qui affirme que «80% du tissu urbain de Hassi Messaoud est illicite, c'est donc toute la ville qui aurait dû être démolie». C'est d'ailleurs dans un cadre réglementaire reconnu par les propriétaires que des dizaines de démolitionS par la force publique ont été organisées depuis 2012 à Hassi Messaoud, mettant à plat des logements, des kiosques, des clôtures, des extensions et des bases de vie érigées sans permis de construire ou sur des terrains domaniaux. «Le problème qui se pose pour cette affaire est l'inexistence d'une base juridique. Aucune notification n'a été faite aux indus occupants, dont le quartier El Haïcha en compte encore beaucoup, et qui ne semblent pas inquiets de voir détruire leurs logements, du moins jusqu'à la prochaine alerte», souligne cet ancien élu. La non-conformité étant généralisée avec des R+X étages édifiés sans permis de construire depuis 2005, reste la sécurité des occupants qui, selon les lois algériennes, pourrait motiver l'acte de démolition. Mais était-ce le cas des logements d'El Haïcha, encore une fois, s'interrogent les familles, qui ont passé l'Aïd dans la rue, dans une tragédie qui ne semble émouvoir personne. Ali, directeur d'une entreprise de catering, a décidé quant à lui de loger ses femmes de ménage dans sa propre base de vie pour les protéger. El Alia Bakhta, Zekhroufa, Aïcha et les autres familles sans logement depuis la démolition de leurs maisons d'El Haïcha ont passé l'Aïd dans la rue. «Personne n'a demandé après nous depuis l'évacuation de la maison de jeunes. J'ai pour ma part été hébergée par une amie en ville, mais je vais chaque matin au Croissant-Rouge et à la mairie, rien de nouveau», explique Aïcha Ouameur. La semaine des fêtes a accentué la souffrance de ces familles, à la rue au moment où tout le monde se réunissait pour l'Aïd dans la douceur familiale. Les menaces de représailles se sont estompées à El Haïcha, où ces femmes n'ont plus mis les pieds depuis trois semaines. Aux dernières nouvelles, Bakhta se serait rendue à Relizane pour renouveler son carnet de famille et sa pièce d'identité brûlés dans l'incendie de sa maison. «Elle sera de retour cette semaine pour reprendre son travail. Quant à moi j'ai pris un congé pour garder mes enfants en attendant de pouvoir les loger dans de meilleures conditions», nous dit Kelthoum, sa fille. Cette dernière, mère de deux enfants, loue une chambre à l'auberge Senouci pour 750 DA la nuit.