La wilaya continue d'étudier au cas par cas les recours introduits par les anciens habitants de la Baucheray, de Sonatro et de Fontaine fraîche, dans la commune de Oued Koreiche, suite à l'opération de la mi-juillet qui a porté en tout sur le recasement de 1087 familles. A la Baucheray, une quarantaine de familles occupent le rez-de-chaussée des immeubles de la nouvelle cité en attendant l'annonce de la nouvelle liste. uarante-cinq jours après le recasement de la population du site de transit colonial de la Baucheray, dans la commune de Oued Koreiche, des familles exclues de l'opération continue de vivre dans la nature. Elles sont une quarantaine environ à attendre que la wilaya déléguée de Bab El Oued statue définitivement sur leur cas, après étude de leur recours. Cet examen est toujours en cours et il se fait au cas par cas. Depuis que la wilaya les a chassés de leurs anciennes habitations, avant de les démolir pour rendre impossible le retour sur les lieux, les exclus, avec leurs bagages, occupent les rez-de-chaussée de la nouvelle cité de la Baucheray. Les deux sites sont mitoyens. Les rez-de-chaussée sont infects. De fortes odeurs d'eaux usées rendent impossible tout séjour sur les lieux. Les gravats et les ordures s'entassent dans tous les coins. Les meubles, démontés, sont laissés ici faute de mieux. Leurs propriétaires les surveillent pendant la journée. Le soir, quelques moments avant l'heure du f'tour, ils se rendent chez des proches, à Oued Koreiche ou ailleurs, afin de rompre le jeûne dignement et dormir en attendant des jours meilleurs. Cela est valable surtout pour les femmes. Les hommes, eux, y passent la nuit en gardien… Mais comment est-on arrivé là ? Un relogement qui tourne au cauchemar Dans le cadre de l'application du programme de résorption progressive de l'habitat précaire, la wilaya a fait évacuer tout le monde de l'ancien quartier la Baucheray, le 18 juillet. Celui-ci, à l'origine, est constitué de deux compartiments. Le premier, le plus ancien, date du début des années 1940. Il est constitué de maisonnettes en tuile. Le second, créé dès 1957, était une extension qui rassemblait des chalets. Avec le temps, par manque de logements et par absence de volonté chez la population de se trouver elle-même un toit sans compter sur les autorités, le centre a connu une excroissance rapide qui n'a pas été maîtrisée. Des gourbis ont été implantés à proximité de l'ancienne cité et ils servaient de lieu d'hébergement aux nouvelles familles, qui ne sont pas forcément issues de la Baucheray. C'était dans ce contexte qu'est intervenue l'opération de transfert de la population. Le 18 juillet donc, les familles – 229 selon le communiqué de la wilaya – ont toutes été orientées vers le parking du stade 5 Juillet où elles ont passé la nuit à la belle étoile avant d'être dispatchées dans les nouvelles cités des communes de la banlieue. Seulement, une partie de ces familles a été lourdement trompée. «On nous a dit mabrouk ! Et nous sommes montés dans les camions avec nos bagages, au milieu des youyous. Finalement, nous nous sommes retrouvés dans la rue, sans toit», raconte Laoubi Fatma-Zohra, qui retient difficilement ses larmes. Fatma-Zohra est née à La Casbah en 1941. Elle a été logée avec les siens à la Baucheray quand elle avait sept ou huit ans, pour une période transitoire de dix ans, et «on payait le loyer», précise-t-elle. Depuis, elle a passé toute sa vie dans la cité coloniale. Après l'indépendance, le loyer était de 12 DA le mois. Les locataires s'en acquittaient régulièrement jusqu'à ce que les autorités ont décidé, en 1983, de ne plus les faire payer. Avec son fils marié, elle fait maintenant partie d'une famille de cinq membres. La dame pouvait vous parler pendant de longues heures sur la vie quotidienne au sein de la cité dans les années 50 et 60. Elle se rappelle d'une foule de détails. Un exemple : «Chaque matin, à 8h30, il y a le contrôle qui faisait la tournée. L'agent passe devant les maisons. Si par hasard il découvre des ordures jetées n'importe où, il le signale sans avertir les locataires de la maison la plus proche, jusqu'au moment où une convocation leur est adressée afin qu'ils se présentent aux services de la commune pour payer une pénalité.» Fatma-Zohra soutient qu'elle n'a pas bénéficié de logement après le recasement de ses voisins. Pourquoi ? «Il n'y a personne pour nous donner une explication. Nous avons frappé à toutes les portes. Nous avons contacté les gens de l'APC, le wali délégué de Bab El Oued et même le procureur. Aucune explication ne nous a été donnée à ce jour quant à ce qu'il faut faire face à cette exclusion. Personne n'est venu nous dire ce qu'on fait ici», soutien-t-elle. Fatma-Zohra n'est pas seule dans cette situation. Nakib Fatma, 60 ans, Karnouk Aïcha, 72 ans, y vivent également depuis les 50 dernières années. Elles sont toutes là, dans la nouvelle cité, parce qu'elles n'ont pas où aller. Après les avoir trompées le jour de l'opération qui a touché aussi les gens de Sonatro (Diar El Kaf) et Fontaine fraîche, relevant de la même commune, les autorités les ont abandonnées dans un chantier à la sortie de la commune des Eucalyptus. Près de 200 familles y ont passé quatre jours à la belle étoile dans des conditions des plus éprouvantes. Le scandale était tel que la wilaya déléguée de Bab El Oued, qui a orchestré cette déportation, a annoncé une nouvelle liste de bénéficiaires. C'était à la fin du quatrième jour. Après une première étude des recours introduits, 38 familles étaient invitées à récupérer les clefs de leurs appartements. Sur les 38 nouveaux noms, 21 sont originaires de la Baucheray, 9 de Sonatro et 8 de Fontaine fraîche, suivant un autre communiqué de la wilaya. Les autres ont été immédiatement sommés de vider les lieux. En quittant le chantier des Eucalyptus, les exclus ont eu le réflexe de regagner leurs quartiers d'origine. D'ailleurs, à Diar El Kaf, des émeutes ont éclaté dans la même nuit et ont duré jusqu'à la mi-journée du lendemain. Pour la Baucheray, on a choisi d'occuper le rez-de-chaussée des immeubles de la nouvelle cité. Une cité conçue initialement pour eux ! Une «opération tiroir» enterrée Les familles restées à ce jour sans toit ne cessent de se poser une question essentielle à leurs yeux : «Pourquoi la wilaya nous a intégrés dans le programme d'éradication de l'habitat précaire ?» C'est que, auparavant, les habitants de la Baucheray bénéficiaient de logements dans le cadre d'une «opération tiroir». Autrement dit, ils accèdent à des appartements construits sur le même site. La mécanique est la suivante : chaque fois qu'une partie de la population est logée, les maisonnettes sont démolies et un nouveau programme de logements lancé. Le plan a été annoncé par le wali à la population en 1989, se souvient-on. Par conséquent, elle ne pouvait pas bénéficier de logement en dehors de cette opération. Le lancement effectif du projet a eu lieu au début des années 2000. C'est ainsi qu'au cours de l'année 2005, 42 familles ont quitté le centre de transit colonial. A l'époque, 150 logements dont la construction était supervisée par l'OPGI étaient déjà en souffrance. Deux ans après, le gouvernement arrête un vaste programme d'éradication de l'habitat précaire. Dans la capitale, un recensement des occupants de ce genre d'habitat a été aussitôt effectué. Sachant que leur cas dépend de «l'opération tiroir», des familles de la Baucheray n'ont pas répondu favorablement au recensement et, par conséquent, n'ont pas déposé de dossier. Aussi, ils étaient surpris de se voir concernés par le programme inauguré par la wilaya en mars. Pour les mettre devant le fait accompli, il a été décidé de loger des familles étrangères à Oued Koreiche dans les nouveaux bâtiments de la Baucheray. L'«opération tiroir» est de ce fait définitivement enterrée. La suite ? Les initiatives sont nombreuses. «Nous avons adressé une lettre ouverte au secrétaire général du FLN afin que le parti se penche sur notre situation sachant que l'APC est sous son contrôlé», indique-t-on. Les exclus croient savoir qu'une autre liste sera lancée incessamment à l'issue de l'étude de tous les recours. Ils tendent l'oreille au moindre bruissement qui leur parvient de l'APC. Par contre, ils se refusent à mener des actions communes : il y a parmi eux des intrus.