La 13e édition du Festival international du cinéma du Sahara occidental était aussi une occasion pour le peuple sahraoui de réitérer son droit à l'autodétermination. Coïncidant avec le 41e anniversaire de l'Union nationale et la commémoration des événements de Gdeim Izik, les participants, comme les réfugiés du camp de Tindouf, ont vécu une semaine mouvementée. Reportage. Les hommes et les femmes étaient mobilisés depuis l'aube, brandissant haut le drapeau sahraoui. Des mines intrépides, débordant de détermination. Tous attendent les gendarmes dépêchés par le royaume du Maroc pour démanteler leur camp installé à quelques kilomètres d'El Ayoun. Soudain, les fronts se crispent, les visages se durcissent et l'ambiance s'électrifie à l'approche de ces hommes en uniforme. Ces derniers assiègent le camp et saccagent tout ce qu'ils trouvent sur leur chemin. Les tentes des Sahraouis prennent feu sous les regards des enfants. Les femmes et les hommes courent dans tous les sens, fuyant les coups de bâton ou essayant d'empêcher ces hommes en tenue verte d'incendier ces bouts de tissu qui leur servent d'abri. La confrontation n'a duré qu'une vingtaine de minutes avant que le temps s'arrête et que le silence ne s'installe. Essoufflés, les Sahraouis marquent un moment de répit, échangent des regards froids. Ce n'était, bien évidemment, qu'une mise en scène, une démonstration de ce qu'avaient vécu, selon les autorités sahraouies, «30 000 personnes du camp de Gdeim Izik, dans les territoires occupés d'El Ayoun, un certain 8 novembre 2010». Ici, nous sommes en réalité au camp de Tindouf, six ans plus tard, à la 13e édition du Festival international du cinéma du Sahara occidental, FiSahra. Organisé du 12 au 15 octobre dans la wilaya de Dakhla, Fisahra a coïncidé avec le 41e anniversaire de l'Union du peuple sahraoui et la commémoration des événements tragiques de Gdeim Izik. «C'est pour la mémoire que nous commémorons chaque année ces événements. Nous campons encore sur nos positions. Vive le Sahara libre et indépendant», scande le Premier ministre sahraoui, Abdelkader Taleb Oumar, devant la foule. El Ayoun L'histoire de Gdeim Izik est connue de tous ici. Elle est celle d'un groupe de militants politiques et de défenseurs des droits humains sahraouis qui décide, le 10 octobre 2010, d'installer un camp de résistance au lieudit Gdeim Izik, à 20 kilomètres d'El Ayoun. L'objectif de ces activistes étant, selon Omar Boulsane, secrétaire général du ministère de l'Information sahraoui, rencontré au festival, de «dénoncer les conditions de vie des Sahraouis dans les territoires occupés» et de «demander leur droit à l'autodétermination». «Le nombre de nos compatriotes qui s'étaient installés là-bas avait atteint, en quelques jours seulement, 30 000 personnes, affirme-t-il. Le royaume, surpris, n'avait que deux options : fermer les yeux et s'exposer au risque de vivre un soulèvement populaire au cœur d'El Ayoun, ou le détruire, ce qui constituerait un crime contre l'humanité. Il a choisi la deuxième.» Omar Boulsane parle de «plusieurs victimes recensées et de dizaines d'activistes interpellés». «Les gendarmes marocains ont écrasé des activistes avec leurs véhicules et tiré à balles réelles sur plusieurs autres. Des dizaines de militants ont été interpellés et détenus dans des centres où ils étaient torturés. Au final, 23 militants connus des autorités marocaines ont été emprisonnés. Accusés, sans preuve, de l'assassinat des 11 gendarmes marocains par le royaume, ils ont été jugés dans des tribunaux militaires et condamnés à des peines exorbitantes allant de 20 ans de prison ferme à la perpétuité», s'indigne-t-il. Mohamed Dadache, surnommé le Mandela du Sahara après avoir passé 24 ans dans les geôles marocaines, en sait quelque chose sur les conditions de détention au Maroc. «Nos militants se trouvent dans des conditions pénibles. Privés de soins, de livres et de toute visite familiale, ils n'attendent qu'une chose, leur libération ou leur jugement par un tribunal civil», témoigne-t-il lors d'une conférence animée en marge du festival. ONU Ahmed Tandji, 28 ans, est l'un de ces Sahraouis venus des territoires occupés pour assister au festival du cinéma. Résidant à El Ayoun où il active depuis son jeune âge, il est l'initiateur, en 2009, de Equipe Média, un groupe médiatique militant qui a pour objectif de «casser, selon lui, l'embargo médiatique imposé par le Maroc aux territoires occupés». Rencontré dans son atelier où il forme, avec l'aide de jeunes étrangers, une vingtaine de Sahraouis aux techniques de la vidéo, il ne cache pas sa lassitude : «Nous vivons sous embargo dans les territoires occupés. Nous parlons d'une région où le Maroc interdit toute activité journalistique et refuse l'accès à toutes les organisations de défense des droits de l'homme et aux observateurs de l'ONU. Le Maroc commet ces exactions en l'absence de témoins, raison pour laquelle nous avons créé ce groupe médiatique afin de dénoncer ce qui se passe réellement chez nous.» L'emblème national sahraoui autour du cou, Ahmed, salué par tout le monde ici, parle des «journalistes détenus». «Beaucoup de journalistes sahraouis ont été condamnés par la justice marocaine. Je cite par exemple Bachir Khedda condamné à 20 ans de prison ferme et Mohamed Bombari qui a été condamné, quant à lui, à 6 ans de prison ferme. Notre groupe était aussi pris pour cible. Deux de nos collègues, en l'occurrence Saïd Amidan et Brahim Laadjil, ont aussi été mis sous mandat de dépôt», s'indigne-t-il. Et d'ajouter : «Nos photos et vidéos sont prises dans une totale discrétion de peur de finir en prison. Ce n'est vraiment pas facile.» Gaboula Si les Sahraouis vivant dans les territoires occupés déplorent leur situation, ce n'est pas le cas des réfugiés du camp de Tindouf et des territoires libérés qui semblent apprécier leur vie paisible. Gaboula, qui situe son âge entre 38 et 40 ans, avoue savourer la vie qu'elle mène «avec ses deux garçons et ses quatre filles à Dakhla». Bachir, son cadet, est en 3e année primaire. Brahim, 18 ans, rejoindra un lycée de la wilaya de M'sila l'année prochaine. L'aînée des filles, mariée, habite à côté de chez elle. Seule une fille vit avec elle au camp. Quant aux deux dernières, elles sont déjà dans un lycée à Djelfa. La plupart des familles vivent grâce aux aides alimentaires et habitent dans des maisons construites en terre. Devant chaque maison, une tente, symbole de la résistance sahraouie, est installée systématiquement pour accueillir les invités. Durant ce festival, des centaines d'étrangers, dont beaucoup d'Espagnols, ont débarqué pour participer au festival et marquer leur solidarité avec le peuple sahraoui. Des Européens, des Américains, des Latinos et beaucoup de sympathisants venus d'Afrique. Le choix porté sur les films diffusés n'était pas fortuit : ils illustrent tous des luttes de peuples pour leur reconnaissance ou pour leur indépendance. Du Kurdistan à Papua de l'ouest, de l'Australie en passant par les Quechuas du nord de l'Equateur, ces films ont certainement réduit les distances et rapproché les peuples. Gaboula, comme toutes les autres femmes sahraouies, prend part à toutes les activités organisées. Avec sa démarche fière, son regard perçant et sa détermination, cette femme d'une bonté infinie, heureuse de voir sa région submergée par des gens venus du monde entier pour signifier leur solidarité, symbolise à elle seule la force de la femme sahraouie. Elle et beaucoup d'autres n'hésiteront pas à partager tout ce qu'elles ont, sans rien attendre en retour. A Dakhla, les jeunes Sahraouis partagent une toute autre réalité. L'un d'eux, Omar Yahiaoui, 32 ans, titulaire d'un magistère en journalisme obtenu à l'université d'Oran, vit mal la situation dans laquelle se trouve son peuple. Courts-métrages Omar Yahiaoui n'est pas le seul d'ailleurs à nous l'affirmer, la plupart des jeunes rencontrés ici avouent avoir le désir de «prendre les armes contre le Maroc». «Nous avons vécu la guerre et nous savons ce que c'est que de vivre sous l'occupation. Ici, nous ne rêvons que d'une chose, voir notre pays indépendant, quitte à prendre les armes pour ça. Si notre armée nous le demande, je serai le premier mobilisé», insiste-t-il. Omar annonce son mariage pour mars 2017. Ici, la tradition veut que les femmes qui s'apprêtent à se marier prennent du poids, ce qui est considéré chez les Sahraouis comme un critère de beauté. «Ce n'est pas mon cas. J'aime ma femme comme elle est», nous confie-t-il en souriant. Mais ni l'un ni l'autre n'intéressent Fatimatou Mohamed Mouloud, 27 ans, une jeune réalisatrice sahraouie. Avec son long métrage intitulé Pays divisé et plusieurs courts métrages, Fatimatou a déjà un pied dans le domaine, mais elle affirme vouloir plus : «Je souhaite devenir une réalisatrice internationale pour pouvoir porter le message de mon peuple à travers le monde.» Malgré ses succès, Fatimatou, connue de tous, reste humble parmi les siens. En dehors du boulot, son quotidien est partagé entre la cuisine et le bétail. Fatimatou n'est pas une exception, car tout paraît ordinaire ici. Mais pour changer d'avis, il suffit juste de tendre l'oreille pour découvrir des merveilles. Rencontrés lors d'une soirée organisée dans les dunes à la sortie de Dakhla, Boubakar, 10 ans, et Mrabih, 11 ans, font partie de ces prodiges que cache le Sahara. Adorateurs des Verts, de Justin Beber, la star mondiale de la chanson pour adolescents et du rappeur américain d'origine sénégalaise,Akon, ces deux écoliers connaissent par cœur toutes leurs chansons. Ce n'est pas tout : leur voix magique a même détourné les gens de la scène principale. C'est ici qu'on apprend la simplicité, la modestie et la joie de vivre malgré les conditions difficiles. Le sourire ne quitte guère les visages, avec un seul rêve porté au front : «Voir les territoires occupés libérés un jour.» Fatimatou leur avait rendu visite en compagnie de son père, une seule fois dans sa vie, en 2011. Ce dernier n'avait revu ses cinq frères et sœurs depuis 35 ans. «C'était la première fois que je voyais mon père pleurer. Assister aux retrouvailles m'a bouleversée. Savoir que j'avais autant de cousins m'a surprise. C'était émouvant.»