Du feuilleton d'audiences - séances de travail programmées par le chef de l'Etat avec les ministres - celle portant sur le secteur de la poste et des technologies de l'information et de la communication frappe encore plus par ses quantifications officielles de développement. Une mise en perspective vaut d'être tentée pour essayer d'entrevoir les méandres que dessinent de réelles avancées, voire une fulgurante croissance en termes d'équipement de la société algérienne, et un ancrage pointé à l'horizon dans « la société de l'information ». Mascotte, devenue tarte à la crème des discours d'experts qui voudraient toujours faire croire que les outils sophistiqués, et Dieu sait qu'il y en a toujours à foison et à prix plus réduits car souvent piratés, créent d'eux-mêmes des usages orientés vers cet idéal de société. Des questions sur les chiffres avancés peuvent permettre de relativiser la poudre aux yeux de certains chiffres ; sans négliger l'importance décisive de tendances structurelles lisibles dans la société algérienne mais aussi la démonopolisation en cours dans le secteur depuis 1998. A l'origine d'abord il y a à rappeler – alors que perdure encore le monopole d'Etat sur l'audiovisuel -, le décret exécutif n° 98-257 du 25 août 1998 définissant « les conditions et modalités de mise en place et exploitation des services Internet ». L'article 4 du texte réglementaire a ouvert la voie, à côté des opérateurs de droit public, aux « personnes physiques de nationalité algérienne d'être autorisées à assurer la mise en place et l'exploitation à des fins commerciales des services Internet. » Cette première brèche, même assortie plus loin d'une kyrielle d'alinéas contrôlant l'ouverture, a permis l'émergence des premiers fournisseurs d'accès, mais aussi des services annexes. Le « boom des télécoms » dont les chiffres ont été brossés récemment sont le fait d'une bureaucratie moins pesante et d'une demande sociale immense. Inexistante dans l'Algérie de l'an 2000, la large bande ADSL a atteint 700 000 lignes en juillet dernier ; le nombre de cybercafés a grimpé à 5900 lieux ; cependant que le nombre d'internautes est estimé à 3 millions de personnes. L'un des chiffres noirs qui parsèment le tableau est celui de 700 000 demandes de lignes téléphoniques fixes non satisfaites ; ces attentes déterminent la position de l'Algérie à l'arrière du peloton des nations dans l'entrée à l'Internet. Même si à une année du lancement de l'opération « Ousratic : un PC par famille » 700 000 nouveaux foyers s'en sont équipés. Un rapport élaboré par le Conseil national économique et social (CNES) sur « L'économie de la connaissance : facteur clef du développement : quelle stratégie pour l'Algérie ? » a pointé déjà, à l'automne 2004, le gap existant en matière de nombre d'internautes pour 1000 habitants entre respectivement l'Algérie (16,0) et le Maroc (23,6), la Tunisie (51,7) et la Jordanie (42,0). L'ombre noire, plus structurelle, est l'extrême indigence des usages de l'Internet au sein et à partir des grandes institutions publiques : ministères, administrations, offices publics et médias audiovisuels d'Etat. Le constat est que les entreprises de droit privées performantes se sont équipées et utilisent l'Internet de façon bien plus efficace que les acteurs publics : en illustration la comparaison des sites des grands journaux indépendants et ceux de l'ENTV ou l'ENRS est expressive. La rétention de l'information et l'opacité qui continuent de régner en ces territoires signifient à quel point le « passage » à la société de l'information demeure encore bien aléatoire. Le pessimisme est permis aussi quand au récent bilan chiffré du domaine est brandi l'ambitieux projet Meda II de soutien de l'Union européenne à l'Algérie, avec sa panoplie de chantiers : e-gouvernance, e-commune, e-école, et un Observatoire de la société de l'information, etc. N'oublions pas que le précédent programme de l'Union dit Appui aux médias algériens, daté du printemps 2000 a avorté pour diverses raisons, au détriment en particulier de la formation professionnelle des journalistes. Non pas qu'il faille systématiquement douter des avancées fulgurantes des technologies de l'information : leur accaparation par les divers segments de la société incite à l'optimisme, dont témoigne la fréquentation des nouvelles libertés proposées via les cybercafés . C'est plutôt du côté des décideurs d'impulsions de la puissance publique que résident les forces d'inertie. Parce que la transparence virtuelle portée par l'Internet est antinomique d'un régime politique fermé, frileux envers la libre circulation des idées, des opinions et des biens symboliques en général. C'est là où réside peut-être le nœud gordien des capacités de l'Algérie à tracer ses entrées et sa place dans l'Internet. Comment concilier des capacités formidables de la société à s'équiper en technologies de communication nouvelles et stimuler à travers elles l'injection d'une production locale à hauteur de cette propension ? C'est l'une des questions auxquelles nous convie toute recherche sur cette boîte noire appelée si souvent, et pompeusement, « société de l'information. » En gardant à l'esprit une réflexion importante de Daniel Bougnoux (*) : « L'essor, voire l'explosion des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) est évident, mais quelles relations pouvons nous tracer entre les innovations techniques et les usages sociaux, de nouvelles formes de culture et d'être ensemble ? Notre syntagme associe, sans penser l'amalgame, un fait matériel et un état social, une émergence instrumentale et une conquête mentale, une réalité technique et une relation pragmatique. Les liens sociaux ne sont pas fondés sur la connaissance mais sur des histoires partagées (essentiellement des mythes), sur des projections imaginaires, des valeurs et des mœurs. » * Penser la société de l'information, ouvrage collectif, Tunis : Institut de Presse et des sciences de l'information/ Fondation Konrad Adenauer, 2006