Bivouac sous des cèdres géants, au bord du Lac noir, en plein forêt de l'Akfadou, en Haute Kabylie. C'est le programme du week-end pour Yacine et ses amis, des amoureux de la nature, originaires d'Adekar, qui s'offrent régulièrement ce genre d'escapade en vert. Il faut dire que l'équipe est bien organisée : grande tente, matériel de cuisine, viande, fruits, légumes, boissons, quinquets et tout le barda et parfait campeur. Le repas mijote au-dessus d'un feu de bois qui crépite joyeusement et la fine équipe se prépare à passer un long moment de détente loin du stress de la ville. Il y a encore quelques années, personne n'imaginait passer la nuit dans un tel endroit. Au beau milieu d'une gigantesque forêt que l'on disait hantée par d'étranges animaux à deux pattes, poilus, armés et animés de très mauvaises intentions. Depuis qu'une relative sécurité s'est installée un peu partout dans le pays, ils sont de plus en plus nombreux à s'aventurer sous ses frondaisons pour une journée ou quelques heures. De la ville d'Adekar jusqu'au lac, il faut compter 12 km de piste ravinée par endroits. Aujourd'hui, c'est Yacine et ses amis qui hantent régulièrement ces lieux pittoresques, où les arbres son si hauts qu'ils empêchent de voir le ciel. Ces amoureux de la nature ne se contentent pas de jouir égoïstement de ce paradis bucolique. Ils veulent surtout le préserver et le protéger. Et pour cela, ils ont créé une association environnementale qui compte aujourd'hui près de 200 adhérents et un «club vert» de lycéens afin de sensibiliser autour de l'impérative et urgente nécessité qu'il y a de protéger ce magnifique patrimoine forestier. L'objectif déclaré de cette association est d'arriver à reclasser la forêt de l'Akfadou en parc national. Ni plus ni moins. Il s'agit surtout de réparer une injustice et un oubli. La France coloniale avait créé le Parc national de l'Akfadou par arrêté gouvernemental en janvier 1925, presque en même temps que celui du Djurjdura, Taza, Theniet El Had, Gouraya, des Planteurs, Aïn N'Sour, etc. Une belle futaie de chênes de 2115 ha sur les 25 000 que compte le massif avait été érigée en Parc national. Lorsque l'Algérie a créé ses propres parcs nationaux en 1987, elle avait repris pratiquement tous ceux créés par la France hormis l'Akfadou, injustement mis aux oubliettes. Pour la petite anecdote, la France avait créé des parcs nationaux en Algérie, bien avant de le faire sur son propre sol. «Tourisme sauvage et terrorisme environnemental» «Il ne s'agit pas de fêter la biodiversité mais de la protéger», s'insurge Yacine, contre tous ces carnavals qui, sous prétexte de protection de la nature, font dans le folklore et le tourisme de masse. «Les bus qui débarquent des cohortes de touristes bruyants au Lac noir pour fêter l'environnement et la biodiversité avec tbel et zorna» le révoltent. «Vous vous rendez compte ? Les gens viennent maintenant avec leur véhicule jusqu'au bord de la l'eau ! », s'étrangle Yacine. «Ils pétaradent ici avec des motos, ramènent de grosses sonos et font un bruit d'enfer. C'est du tourisme sauvage, du terrorisme environnemental ! J'ai moi-même retiré du lac 17 pneus usagés, sans compter les bouteilles de bière, les canettes e les poubelles laissées derrière eux par ces soi-disant touristes. A chaque randonnée, on ramasse dix grands sacs poubelle de tous les déchets», dit-il encore. «Le plus grand ennemi de la nature c'est l'administration des forêts», poursuit Yacine. «Voyez par vous-mêmes : ils ont rouvert cette piste et n'assurent aucun suivi ni contrôle. Au lieu de randonnées pédestres, les gens viennent jusqu'au bord du lac avec leur véhicule, avec tout ce que cela suppose de nuisances sonores et de pollution en tous genres. Nous sommes donc passés du surpâturage à la surpopulation et au tourisme sauvage», affirme Ghani, un écologiste auteur d'un mémoire sur l'écotourisme. Hamza Bounadi, de l'association Randonneurs de Béjaïa, lui, pense qu'il faut réglementer l'accès au Lac noir, de concert avec toutes les associations écologiques qui activent sur le terrain et en accord avec l'administration des forêts. Même s'ils ne tiennent pas vraiment à jouer aux randonneurs de leçons, l'idéal, selon eux, serait d'interdire l'accès aux véhicules ou de le limiter aux cas exceptionnels. «La forêt de l'Akfadou est le seul endroit où le singe magot est resté plus ou moins sauvage par manque de contact avec les humains. A Gouraya, il boit du coca-cola à même la bouteille et fume des cigarettes», dénonce Ghani. «Avec le retour des touristes dans la forêt, le cerf de Berbérie et le singe magot sont en train de s'acclimater de la présence humaine. Ce qui ne peut que nuire à l'équilibre écologique et à l'écosystème», dit-il encore. Il est vrai que la forêt de l'Akfadou et encore plus ce joyau de la nature qu'est le Lac noir est un milieu fragile qui ne peut supporter une pression anthropique trop importante. L'association Randonneurs de Béjaïa a été créée en 2010. Un noyau d'amoureux des randonnées pédestres s'est formé autour d'Aït Amar Abderrahmane, président de cette association et pharmacien de son état. Passionné par des questions de bien-être physique et mentales et de plantes médicinales, le groupe a commencé par de petites sorties dans le massif du Gouraya avant d'élargir ses horizons. Avec le jeu des accointances et des amis qui introduisent des connaissances, le noyau s'est élargi et l'idée de créer une association de randonneurs est née. Koh Lanta au Lac noir Autour d'une demi-douzaine de membres du bureau au sein de l'association sont regroupés près de 80 adhérents. En majorité des lycéens, des étudiants, des professeurs de lycée ou d'université. Le plus jeune est un élève du primaire déjà rompu aux longues marches et aux bivouacs en plein nature, alors que le doyen est un fringant cinquantenaire qui ne rate aucune sortie. Il faut trouver des sponsors pour ces sorties qui demandent une certaine logistique : bus, équipements, nourriture, etc. Le groupe a déjà fait Tlemcen, Timimoun, Tichy Haf, le mont Chelia dans les Aurès, le mont Chenoua et d'autres destinations encore. Pour la sortie du Lac noir, l'association a prévu un bivouac pour le week-end, c'est-à-dire deux jours et une nuit à la belle étoile. Un grand jeu, appelé Agueroudj, le trésor est organisé. C'est une sorte de jeu inspiré de Koh Lanta, la fameuse émission de téléréalité qui mêle jeu de groupe et d'alliance et aventure en milieu naturel. Les organisateurs ont divisé les participants en quatre groupes auxquels ils ont donné les noms des quatre éléments se trouvant dans la nature. Chaque groupe est conduit par un chef. Il y a un parcours d'obstacles et d'aventures, des jeux de mémoire et tout le monde s'en donne à cœur joie. Demain, avant de quitter les lieux, il faudra procéder au nettoyage du site et à la collecte des déchets pour ne pas oublier que le but premier de cette randonnée et d'inculquer le respect de la nature et de l'environnement. Pour que la forêt soit toujours vivante et belle et ne devienne jamais une poubelle.