Au fil des années, la foire du livre a gagné en notoriété, attirant un public toujours plus nombreux, jeunes et moins jeunes qui par passion, qui par curiosité. Mais de cet engouement, le SILA n'a pas toujours su en tirer prétexte pour faire rayonner la grande littérature algérienne et la mettre à la disposition de cet étonnant public. Pourquoi n'avoir pas osé aller vers Nabile Farès, décédé tout récemment, ce sociologue, psychanalyste et ethnologue qui a analysé avec lucidité tous les maux charriés par l'Algérie de la colonisation et de l'après-indépendance tout en vouant à son pays une grande passion ? Et également pourquoi le SILA n'a pas judicieusement saisi la journée du 28 octobre, date anniversaire du décès de Kateb Yacine – le 27e – pour un hommage à cet homme illustre qui ferait revisiter ce trésor qu'est Nedjma et son théâtre d'expression populaire dit en arabe maghrébin et à fort substrat amazigh ? La conjoncture s'y prêtait pourtant, du moins dans le discours officiel qui prône la «réhabilitation de la culture et des langues populaires dans le sillage de la révision constitutionnelle». Et sur la lancée, faire également redécouvrir cet autre monument de la littérature qu'est Mostefa Lacheraf dont les idées sur l'école et la culture sont plus que jamais d'actualité. Cet illustre bilingue, diplômé d'El Thaalibya et de la Sorbonne, avait écrit qu'«un jour on fera remonter la date fatale de la perte d'une algérianité ancienne et fervente qui nous a forgés et nous était chère, à l'intrusion dans notre société d'un malentendu dont l'école et le nationalisme allaient payer le prix le plus fort, l'égal d'une véritable catastrophe, celui d'un Baâth pur et sournois, idéologie minoritaire». Mostefa Lacheraf avait compris que derrière le drame de l'école se trouvaient surtout les idéologues étroits et conquérants du panarabisme. C'est ce que dit en substance l'appel tout récent de six intellectuels –Ahmed Djebar, Abderrezak Dourari, Mohamed Harbi, Wassiny Laredj, Khaoula Taleb Ibrahimi et Houari Touati – pour le sauvetage de l'école. On ajoutera le péril terroriste et le danger salafiste tant sur cette école tant décriée que sur la société algérienne dans son ensemble. Avec ses mots et son talent, Yasmina Khadra aurait bien pu en parler. Mais le SILA n'a pas jugé utile d'inviter l'auteur des Hirondelles de Kaboul et des Agneaux du Seigneur, il s'en est offusqué d'ailleurs publiquement mais pour la forme, sachant pertinemment qu'il était devenu pestiféré dès lors qu'il avait déclaré que le quatrième mandat présidentiel était «une absurdité». Et puis, la question religieuse, qui peut mieux l'évoquer aujourd'hui que l'œuvre de Mohammed Arkoun ? Ce penseur n'est pas en odeur de sainteté dans son pays du fait qu'il propose une lecture critique de l'islam et qu'il prône son accès à la modernité politique et culturelle. Last but not least, le SILA a raté l'opportunité de célébrer bien à propos le 1er Novembre loin des sempiternelles fanfares, en invitant l'historien qui a le mieux rendu compte de la réalité et de la complexité de la Guerre de Libération, en l'occurrence Mohamed Harbi. Le regard lucide et sans complaisance de ce dernier serait-il porteur de risques dès lors qu'il rame à contresens des «vérités» officielles, toutes les vérités ? En réalité, c'est là le doigt sur la plaie. Le SILA n'est qu'un exemple de ce qui est exigé, directement ou implicitement, des institutions étatiques : elles doivent «faire très attention» avec les intellectuels et les artistes qui peuvent être bien plus redoutables que des troupes d'émeutiers.