L'un des intellectuels algériens les plus prolifiques, Mostefa Lacheraf, a été accompagné, hier, à sa dernière demeure, à El Alia en présence de certains membres du gouvernement, de sa famille proche, de ses amis ainsi que de ses compagnons de lutte. L'auteur d'“Algérie, nation et société” est décédé, samedi dernier, des suites d'un accident cardiovasculaire cérébral (AVC) à l'âge de 90 ans. Il avait été admis le 23 décembre 2006 dernier à l'établissement hospitalier spécialisé (EHS) du Dr. Maouche Mohamed Amokrane, (ex-Centre national de la médecine sportive), situé à Clairval, dans la commune de Bouzaréah. Difficile de parler de l'homme que fut Mostefa Lacheraf tant ses activités politiques, révolutionnaires, historiques, diplomatiques, littéraires, culturelles, sociologiques sont intenses. Personne ne pourrait donner un qualificatif définitif à cette grande personnalité qui fut tout bonnement un intellectuel aussi éclairé qu'engagé. Natif de Sidi Aïssa dans le sud-est algérien, Mostefa Lacheraf était diplômé de la médersa Tha'àlibiyya d'Alger et de l'université de la Sorbonne à Paris. Très jeune, il rejoint le mouvement nationaliste et collabore à la presse clandestine du PPA-MTLD. Arrêté le 22 octobre 1956 lors du détournement par les autorités françaises de l'avion qui transportait la délégation du FLN en compagnie de laquelle il effectuait le vol de Rabat à Tunis, il ne sera libéré, pour raison de santé, et placé en résidence surveillée qu'à la fin de l'année 1961. Il parvient à sortir clandestinement de France et gagne Le Caire et Tunis. Membre du CNRA (Conseil national de la révolution algérienne), il participe à l'élaboration du programme de Tripoli. Ambassadeur de carrière à partir de 1966, Mostefa Lacheraf est nommé ministre de l'Education nationale en 1977, avant de revenir à ses fonctions diplomatiques en 1979. En 1986, il prend finalement sa retraite qu'il interrompt lorsqu'en 1992, le président Boudiaf le désigne en qualité de membre du Conseil consultatif national. Le prolifique a toujours défendu toutes sortes de liberté, et prôné même la libération des structures mentales du conservatisme chauvin. Une libération qui, selon lui, ne peut s'établir qu'à travers le savoir, c'est-à-dire l'école. C'est ainsi qu'en 1977, et en tant que ministre de l'Education nationale, il a tenté de mettre en place le système du bilinguisme, avant d'être “ appelé à d'autres fonctions ” après le décès du président Houari Boumediène. Le défunt n'a été contre l'arabisation, mais contre la méthode avec laquelle elle allait être conduite. Lacheraf s'est beaucoup inspiré de la pensée khaldounienne, en défendant la paysannerie qui, dans les années 60, représentait 80 % de la population algérienne. La paysannerie et la question de l'identité nationale ont souvent été au centre de ses recherches et de ses textes littéraires enseignés jusqu'à aujourd'hui dans les universités de lettres, en tant que références dans le module, “Littérature et société ”. Lacheraf, le révolutionnaire Universitaire connu pour ses essais sur la Révolution algérienne, Mostefa Lacheraf a vu son destin lié aux figures politiques de la guerre de Libération nationale, suite à son internement à la prison de la Santé (France), en compagnie de Mohamed Boudiaf, Ahmed Ben Bella, Hocine Aït Ahmed et Mohamed Khider. Vers la fin des années quarante, marquées par la crise du PPA de 1949, Lacheraf s'est manifesté par des contributions régulières aux revues Esprit, Les Temps Modernes, Les Cahiers internationaux et Présence africaine, où il a publié ses premiers écrits sur l'histoire du nationalisme algérien. Militant actif du Front de libération nationale (FLN) dans l'émigration, il est devenu membre de la Fédération FLN de France avant de rejoindre l'Espagne vers la fin septembre 1956. En Espagne, il a rencontré Mohamed Khider, membre de la délégation extérieure du FLN, qui activait à partir du Caire. Ce dernier lui a demandé d'intégrer la délégation officielle du FLN devant se rendre au Maroc et en Tunisie. Membre du Conseil national de la révolution, le défunt Mostefa Lacheraf qui a participé au Congrès de Tripoli, a défendu avec ferveur la notion de “ la Révolution démocratique et populaire ”. Ex-rédacteur en chef du quotidien El-Moudjahid, Mostefa Lacheraf a également occupé des postes diplomatiques après l'indépendance, dont celui d'ambassadeur en Argentine à partir de 1965. Il a collaboré à la rédaction de la Charte nationale (1975-76) et il a aussi exercé comme ambassadeur au Mexique (1974-1977), avant de prendre sa retraite en septembre 1986, après avoir été ambassadeur (1984-1986) à Lima au Pérou. La dernière contribution écrite du défunt était une réflexion sur l'histoire de l'Algérie à partir de la toponymie, à travers son livre Des noms et des lieux.