Par Omar Zemirli Ancien éleve du Cheikh Ancien chef de service du fils Ali Parmi les personnalités marquantes et les notables de la société civile de la communauté de Tizi Ouzou et de sa région, celle qui s'est le plus distinguée dans plusieurs domaines de la vie et que tous ses élèves et ses collègues proches et amis appelaient respectueusement et affectueusement fut cheikh Saheb. Ce fut pour moi une reconnaissance de la part de ses enfants, en particulier un de ses fils le Pr Ali Saheb , chef de service ORL au CHU de Tizi Ouzou, qui a été mon premier collaborateur, d'abord comme maître-assistant, puis comme docent, et enfin, mon premier professeur au service ORL du CHU de Beni Messous, que je dirige, et une de ses filles, professeure de français au lycée, qui m'ont apporté leur contribution à la rédaction de cet article, en me fournissant des informations supplémentaires concernant leur cher et regretté papa. C'est dans la langue de Molière que j'ai l'insigne honneur, mais aussi l'exercice fastidieux et délicat, d'évoquer en quelques lignes la vie de cheikh Saheb, professeur en littérature arabe. Cheikh Saheb a enseigné pendant plusieurs années à des milliers d'élèves, au début de sa carrière dans l'établissement scolaire au collège moderne de Tizi Ouzou dès 1953, puis à Bouira, de 1954 à juin 1957.En 1958, il enseigna à Larba Nath Iraten jusqu'à la fin de l'année 1959, puis essentiellement au lycée Amirouche de Tizi Ouzou. Il interrompit sa carrière d ‘enseignant de 1967 à 1969, pour la fonction d'inspecteur de l'enseignement primaire. Sa carrière d‘enseignant fut interrompue suite à son arrestation par la police coloniale, il fut condamné pour soutien au mouvement de lutte pour l'indépendance. Il faisait partie de la cellule de collecte de renseignements pour le FLN de la Wilaya III. Il passera presque une année dans la funeste prison de Barberousse, où il subit des tortures, qui lui laisseront des handicaps physiques, dont il ne s'est jamais plaint et qu'il n'a même pas évoquées. A sa sortie, il constate que sa petite famille s'est enfuie et accueillie à Larba Nath Iraten, il continua à enseigner jusqu' a fin 1959, puis retour à Tizi Ouzou. Il s'inscrira et obtiendra un diplôme d‘adjoint technique de la santé à Aïn Larbi (ex-Gounod), du côté de Guelma, avant de reprendre l'enseignement (son rêve d'être médecin le poursuivait toujours). Il prépara son agrégation en passant avec brio le Capes à la faculté de lettres de la Sorbonne, major de promotion, ce qui lui permit d‘accéder au titre de professeur certifié en lettres arabes en 1960. J'ai eu le privilège d'avoir été un de ses élèves, je venais d'être admis sur concours en seconde au lycée Amirouche, après avoir fait toutes mes classes au collège Mouloud Feraoun, faisant suite à ma scolarité à l'école primaire indigène Jeanmaire. Les trois établissements que j'ai frequentés en un quart de siècle, après le cheikh Saheb, étaient mitoyens, l'école indigène Jeanmaire et le CEG Mouloud Feraoun se trouvent dans le quartier populaire de Aïn Hallouf. Il suffit de traverser une ruelle pour se retrouver au lycée Amirouche . Mon premier contact fut pour moi impressionnant avec cet établissement emblématique qui a vu défiler pendant la Révolution la crème de la jeunesse de toute la Grande Kabylie, dont plusieurs ayant rejoint le maquis sont morts les armes à la main. Ceux qui ont survécu sont devenus l'élite et les cadres de l'Algérie indépendante. Le lycée, après l'indépendance, constituait une source intarissable de jeunes intellectuels, qui ont pris la destinée du pays dans plusieurs domaines et plusieurs secteurs de la vie active. Tous ou presque avaient comme professeur d'arabe cheikh Saheb . Dans cette classe de seconde, où quand bien même le lycée était situé à la lisière des quartiers indigènes de la haute ville, dont mon quartier, j'avais l'impression que j'étais dans un autre monde. En effet, la classe était un microcosme composé d'internes venant de toute la Grande Kabylie et ceux venus de l'actuelle wilaya de Bouira, de la ville de Lakhdaria , de la wilaya de Boumerdès, Bordj Menaïel et Dellys et d'externes des différents quartiers de Tizi Ouzou, la basse et la haute ville et des villages environnants. Réservé, timide, de santé fragile, de corpulence frêle, j'avais besoin de réconfort, de soutien et de protection et j'ai eu la chance de les trouver chez deux de mes professeurs, Ali Boubrit, jeune professeur, dont je n'oublierai jamais la gentillesse, l'affection, l'attention qu'il avait à mon égard. Il faut dire qu'il faisait partie d'une grande famille très proche de la mienne et habitant le même quartier. Et bien évidemment, cheikh Saheb, que je venais de découvrir grâce à mon camarade de classe, feu Dahmane Mesbahi, assis à la même table pendant toute l'année. Dahmane était le cousin du cheikh. Lien de famille et d'amitié oblige, je devenais par conséquent proche du cheikh. Et j'avais ce privilège d'être aussi bien noté que mon camarade Dahmane, certes nous faisions de grands efforts pour mériter les notes pratiquement équivalentes qu'il nous donnait. Le fait de savoir que cheikh Saheb et le Pr Ali Boubrit sont nés dans la même dechra que moi, avaient fréquenté les mêmes établissements m'avaient aidé, moi qui n'avait jamais quitté le giron familial et les quartiers de la haute ville, à m'adapter plus facilement à ce nouvel environnement socio-culturel hétéroclite avec des professeurs coopérants étrangers et me donnait une certaine assurance. Cheikh Saheb avait une personnalité et une attitude des plus simples , des plus naturelles , un langage sans fioritures parlant un arabe dialectal des plus compréhensibles et en utilisant des mots kabyles et des mots français quand il fallait pour la compréhension d'un texte, d'une phrase ou d'un mot. Bref, il avait l'art et la manière de nous faire aimer cette langue et la pédagogie de nous l'apprendre ou du moins les éléments essentiels la caractérisant. Il a en quelque sorte modernisé l'apprentissage de la langue arabe. En effet, la plupart des élèves, enfants de la guerre, avaient peu ou pas de notion en langue arabe, celle-ci étant bannie de l'enseignement pendant la colonisation dans les écoles françaises ou très peu enseignée, deux heures par semaine dans les écoles primaires indigènes. J'ai trouvé chez le cheikh des similitudes dans son parler, ses expressions, ses proverbes, son accent et ses intonations. Je baignais dans une atmosphère sociale et une ambiance intellectuelle des plus familiales, atténuant en moi le dépaysement que j'allais affronter, auquel je devais m'adapter au vu de la composante hétéroclite de nouveaux camarades. Cheikh était toujours très bien habillé, avec beaucoup de classe et «tiré à quatre épingles», tout en lui était distingué, costume sur mesure et cravate assortie étaient de rigueur, lui donnant une parfaite élégance, une allure olympienne, une haute prestance, jusqu'à l'odeur de son parfum se propageant tout au tour de lui le poursuivant et marquant son passage . Rien qu'à l'odeur de son parfum , on savait que cheikh Saheb a emprunté les escaliers, traversé le couloir et était déjà en classe . Il était en permanence de caractère jovial, plein d' entrain dans ses discussions avec le verbe haut et beau parleur avec une totale franchise dans ses propos . Il était simple, humble, plein de compassion et de modestie. Il exprimait son amitié sincère et la partargeait spontanément avec ceux qu'il appréciait, il avait une grande ouverture d'esprit et surtout de l'affection pour ses élèves qu' il considérait comme ses enfants . Cheikh Saheb est né entre les deux guerres mondiales, un 21 février 1924 à la haute ville de Tizi Ouzou, son père est originaire de Bouhinoun et sa famille maternelle, Mesbahi, est une ancienne et grande famille de la haute ville. A l'âge de 15 ans, cheikh Saheb apprend le décès de son père, il venait de mourir à Toulouse, où il fut enterré. C' est ainsi qu' il fut élevé par sa famille maternelle, entouré par la tendresse et l'affection de sa mère et l' éducation et la protection de ses oncles maternels dont les deux oncles Saïd et Ramdane, frères inséparables, sportifs et militants de la cause nationale, qui lui ont servi tout le long de sa vie d'adolescent d'exemple et de guide, le préparant à la rude vie d'adulte à l'époque très dure marquée par la crise économique, en particulier pour les indigènes vivant dans leur majorité dans la précarité, le plus souvent dans le dénuement. La famille Mesbahi possédait une boulangerie, l'une des plus anciennes de Tizi Ouzou et l'unique à la haute ville. Ce commerce a permis de subvenir à toute la famille et d'employer certains membres, dont le frère cadet du cheikh Saheb, Rabah, qui a travaillé pendant de longues années chez ses oncles avant de changer complètement de métier. C'est ainsi qu'il deviendra manipulateur en radiologie à l'hopital de Bordj Menaiël et, hasard de l'histoire, après l'indépendance, Rabah a travaillé comme infirmier dans le cabinet du Dr Mohamed Boubrit, frère de l'enseignant Ali Boubrit, collègue de cheikh Saheb. Rabah n'a fait, tout compte fait ,que suivre l'exemple de son grand frère, cheikh Saheb, qui a exercé le métier d'adjoint technique de la santé pendant une année. Cheikh avait toujours voulu faire des études pour devenir médecin pour prodiguer des soins et soulager les patients. Le rêve de cheikh Saheb était en partie réalisé. Il le sera en totalité réalisé par ses propres enfants, dont la plupart n'avaient comme objectif principal que de devenir médecins et de surcroît spécialistes et davantage, professeurs en médecine et voir réaliser le rêve de leur père. Quand aux filles, elles ont tout simplement et naturellement pris et suivi le chemin paternel et ont fait une carrière dans l'enseignement. C'est ainsi que trois filles ont suivi la filière d'enseignant du père et les garçons ont suivi, pour la plupart, des études de médecine, dont trois médecins spécialistes et un immunologue. Les frères Mesbahi font partie des pionniers et de la première équipe indigène de la haute ville de Tizi Ouzou, le RCTO, et en compagnie de leur neveu Cheikh Saheb, âgé à peine de 21 ans, du premier bureau de la JSK. Cheikh Saheb avait de qui tenir, il ne pouvait que suivre l'exemple de ses deux oncles. C'est ainsi que pendant des années, il était un joueur incontournable de l'équipe de la JSK des années 40. Il a été joueur titulaire durant 2 saisons comme milieu défensif. Par ailleurs, sa carrière ne s'est arrêtée qu'en 1949, puisqu' il continua à jouer au football au mythique club des «intellectuels», le RUA (Racing universitaire d'Alger), tout en poursuivant et terminant ses études et obtenant une licence en langue arabe . Outre ses activités universitaires, cheikh Saheb a fait partie de la génération pour la promotion du sport dans sa ville natale, notamment dans la tentative de la première création de l'Association sportive de Kabylie (ASK) d‘aboutir et d‘en faire une fierté face à l'OTO. Motivé par le sens de l‘abnégation, le patriotisme, la volonté, de la jeunesse à laquelle il appartenait, celle de relever les défis et face au joug colonial, cheikh Saheb sera présent lors de l‘ assemblée élective de l‘actuelle JSK le lundi 29 juillet 1946 en plein mois sacré du ramadhan, aux côtés des Messieurs; Benslama (seule personne encore vivante et à qui on souhaite une longue vie mémoire vivante de la société Tizi Ouzienne )Iratni, Zemirli, Mesbahi et un futur collègue enseignant de mathématiques, Ali Stambouli . Cheikh Saheb a, par ailleurs, écrit un pamphlet sur une rencontre de la JSK (l'exemplaire se trouve chez Ali Benslama), qui l'a évoqué lors de l'émission «Hzem el ghoula» de la radio régionale de Tizi Ouzou, consacrée à la vie du défunt Saheb, en présence de deux de ses enfants. Il termina sa carrière dans ce lycée en 1985, à 61 ans, pour raisons de santé, il fut responsable de la bibliothèque, il aimait plaisanter sur son mal (diabète), en disant que sa mort serait sucrée. Il occupa sa retraite à achever sa petite villa en 1987, entouré de ses enfants. Il rendit l'âme à la suite de son intervention au service de neurochirurgie du CHU Mustapha, ses fils médecins étaient à son chevet jusqu'à son dernier souffle de vie . Cheikh Saheb s'est éteint un jeudi, 27e jour du mois de Ramadhan, et a été enterré le vendredi 20 avril 1990, à l'âge de 66 ans. Son physique de sportif, son allure de gentleman, son caractère jovial, son parler populaire, sa bonté, sa gentillesse resteront à jamais gravés en nous. Une foule impressionnante l'a accompagné à sa dernière demeure dans le cimetière de sa ville natale M'douha.Que ses amis, ses collègues ses proches, ses anciens élèves qui lisent cet hommage retraçant succinctement sa vie partagent avec son épouse , ses enfants et petits-enfants une pieuse pensée à Cheikh Saheb, notre professeur de lettres arabes.