C'est le récit de la vie d'un révolutionnaire pleine de soubresauts que nous livre L'Affaire Khider : histoire d'un crime d'Etat impuni paru chez les éditions Koukou et en librairie depuis avant-hier. De la précoce prise de conscience nationaliste, l'engagement politique, la lutte de libération, l'accession à l'indépendance, les luttes de pouvoir et leurs implications violentes jusqu'à ce triste jour de 3 janvier 1967 à Madrid, où ce héros national est froidement assassiné par les services spéciaux de son propos pays. Un livre plein de petites histoires humaines, de rencontres qui ont fait la grande Histoire. C'est le roman d'un homme dont le destin s'est confondu avec celui d'un pays. Un demi-siècle après, son fils Tarek, qui se bat depuis toujours pour la vérité sur l'assassinat de son père, restitue la terrible trajectoire d'un homme d'exception qu'était Mohamed Khider. Mais surtout, il met la lumière sur les circonstances de son assassinat et de l'enquête de la justice espagnole. Une enquête qui devait aboutir à l'éclatement de la vérité, mais qui a buté sur l'infranchissable raison d'Etat qui s'est dressée contre la justice et la vérité. Les enquêteurs espagnols avaient pourtant rassemblé toutes les preuves qui ont conclu à la culpabilité du pouvoir algérien. L'assassin a été identifié et condamné par contumace, un certain Youcef Dakhmouch, un truand retourné par la Sécurité militaire. Envoyé à Madrid où il «agissait sur ordre d'un certain Rabah Boukhalfa qui faisait office d'attaché culturel à l'ambassade d'Algérie à Madrid». Témoin-clé dans l'assassinat de l'opposant algérien, Boukhalfa s'est barricadé derrière son «immunité» diplomatique pour échapper aux enquêteurs. Abdelaziz Bouteflika, alors ministre des Affaires étrangères, aurait protesté contre la violation de l'immunité diplomatique de Rabah Boukhalfa. Le gouvernement espagnol avait présenté des excuses au gouvernement algérien. Au nom de l'immunité diplomatique et des intérêts entre deux régimes, celui de Franco en Espagne et de Boumediène en Algérie, la vérité sur l'assassinat d'un des chefs historiques est sacrifiée. Un crime d'Etat érigé en règle pour se débarrasser des opposants politiques. Elle est la victime permanente d'un régime politique fondé sur l'autoritarisme. L'impunité est de mise. Un mois après ce lâche assassinat, Hocine Aït Ahmed, exilé en Suisse, avait publiquement accusé «le régime de Boumediène d'avoir conçu, organisé et perpétré l'assassinat». Des années après, l'ancien patron de la Sécurité militaire, Kasdi Merbah, qui s'était pourtant engagé à «donner les noms des exécuteurs de Krim Belkacem, Khider et autres», est parti sans laisser son témoignage. Mais sa déclaration lâchée lors d'une rencontre à Ghardaïa en 1991 sonnait comme un aveu de l'implication de la Sécurité militaire dans la liquidation physique du chef du FLN combattant. Après le crime, la calomnie Spécialisé dans les manœuvres de la manipulation des masses, le régime de l'époque, rompu aux turpitudes, ne s'est pas contenté de l'effacement physique du leader révolutionnaire. Il lance une campagne politico-médiatique pour salir, déshonorer et avilir Mohamed Khider. Après le crime physique, l'assassinat symbolique. Présentant d'abord le meurtre comme un règlement de comptes crapuleux, la propagande du pouvoir ressort l'histoire du trésor du FLN pour attenter à la mémoire d'un des patriotes les plus sincères. Une campagne infamante qui cherchait aussi à briser la famille du patriote assassiné, surtout sa femme qui ne cesse de revendiquer la vérité. Digne et fière, la veuve de Khider, Fetta Toudert, ne courbe pas l'échine. Il fallait compter aussi sur le soutien indéfectible, entre autres, de Hocine Aït Ahmed et de Abdelhafid Yahia. Ces derniers assuraient que le trésor du FLN a servi en partie à financer l'opposition démocratique. Après moult tractations, pressions et chantages, la famille de Khider restitue le trésor à l'Etat algérien, mais cela n'a pas mis un terme aux calomnies que l'auteur du livre retrace avec force détails. Tarek Khider, qui remonte le fil du temps pour raconter le parcours de son père qui se confond tragiquement avec celle du mouvement national, de la guerre de libération et surtout de la dérive autoritaire, n'abandonne pas sa quête de vérité. Un demi-siècle après l'assassinat de Khider, l'Etat algérien doit dire la vérité. C'est un devoir moral et éthique. C'est une nécessité politique et historique sans laquelle la réconciliation ne peut se réaliser. Il doit lever l'embargo historique sur tous les assassinats politiques. Sans cela, le nom de Mohamed Khider continuera de hanter la mémoire nationale. Il est la mauvaise conscience d'un pays, d'une nation, mais surtout d'un régime politique qui porte la responsabilité juridique, politique et morale de l'assassinat d'un valeureux patriote. Aux côtés de Abane, Krim, Boudiaf, Mecili, Mohamed Khider repose au panthéon national qui a longtemps résisté au révisionnisme et aux vicissitudes de l'histoire.