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La pratique médicale en Algérie avant 1830 (1re partie)
Publié dans El Watan le 18 - 11 - 2006

« La science est un gibier et l'écriture est le lien qui sert à la retenir. » (Hadith du Prophète)
La pratique médicale en Algérie est très ancienne et plusieurs écrits témoignent de cette activité bien avant la colonisation française. Cependant, la médecine moderne telle que nous la pratiquons actuellement est l'héritière de la médecine coloniale qui a débuté avec l'armée française qui a installé ses premiers hôpitaux dès 1831 et surtout avec la création de l'Ecole de médecine d'Alger en août 1857 qui deviendra faculté à partir de juin 1909. La période coloniale française en Algérie a précédé de quelques dizaines d'années les découvertes pasteuriennes, ce qui a permis d'ôter aux médecins français de la colonisation leurs derniers doutes quant à la supériorité de leur médecine sur les « grandes traditions » médicales arabes pour lesquelles ils avaient jusque-là un certain complexe et leur a permis comme à L. Leclerc de condamner par des formules lapidaires la médecine arabe lorsqu'il écrit : « De tout les Etats musulmans, le Maghreb fut le seul où la science ne prit pas définitivement racine et ne brilla que d'un éclat passager. » De même, E. Bertherand signale : « La triste situation de la médecine et son exercice dans les pays musulmans, ce ne sont que des empiriques d'une ignorance remarquable. » Ce médecin semble ignorer que la médecine occidentale avant l'ère pasteurienne ne disposait que de très peu de remèdes efficaces et ne guérissait globalement pas mieux que les pratiques traditionnelles.
La médecine en Algérie avant 1830
La maladie était jadis considérée comme un déséquilibre dans la production ou l'élimination des humeurs. C'était « la théorie des “humeurs”, le règne des barbiers et apothicaires, charlatans, devins, empiristes... L'empirisme, parfois le charlatanisme, voire la sorcellerie tentent de suppléer à l'absence de connaissances scientifiques. On soigne par les plantes, ce qui fait aussi rarement mourir et soulage parfois ». La guérison devait s'obtenir par la purification des organes et l'évacuation des humeurs peccantes. Cette théorie a établi pendant plusieurs siècles le règne de la saignée et du lavement. Ces traitements étaient parfois complétés par la sudation. En Europe, c'était les barbiers qui exécutaient la saignée. Pour rappel, le roi Louis XIII fut saigné 47 fois par son médecin en une année. De même, le grand Ambroise Paré rapporte avoir saigné 27 fois en 4 ans un jeune homme de 28 ans et en 1770, de purges en saignées, les médecins de l'époque ont laissé mourir l'empereur François Il d'Autriche. En France, le système de santé était pendant plusieurs siècles sous l'autorité de l'église et ce n'est qu'à partir de 1794 (36 ans avant le débarquement à Alger) que Fourcroy mit au point le décret qui créait l'enseignement médical (création des écoles de santé de Paris, Strasbourg et Montpellier). Cette loi prévoyait de lier le droit d'exercer à l'attribution du titre de docteur en médecine ou en chirurgie décerné par l'une des écoles de médecine ou de celui d'officier de santé conféré par un jury départemental. Avant l'occupation française, comme le rappelle Khiati, trois médecines se sont côtoyées en Algérie. Chacune d'elle adaptée à la population à laquelle elle s'adressait :
La médecine européenne réservée aux captifs en grande partie européens, était dispensée dans les hôpitaux qui furent érigés dans les bagnes et les lazarets.
La médecine des Turcs, orientée vers les aspects, militaires car les Turcs venaient en Algérie en tant que jeunes recrues, en pleine force de l'âge et en bonne santé et repartaient en Turquie une fois leur mission terminée.
La médecine populaire, continuation de la médecine arabe réservée à la population autochtone.
La médecine européenne
Elle était représentée à Alger par quelques médecins attachés aux consulats européens et qui donnaient des consultations aux notables de la ville, aux fonctionnaires turcs et à leur famille. Un médecin d'origine allemande était attaché à la personne du Dey. De même, existaient des établissements de soins où étaient pris en charge les étrangers et les captifs malades
La médecine turque
Les Turcs étant en nombre relativement modeste en Algérie, leurs besoins en matière de santé étaient relativement réduits. Un bech-djerrah, médecin-chef ou amin des médecins, assurait les fonctions de haut responsable de la santé. Ses bureaux jouxtaient la djénina, siège du gouverneur (au niveau de la place des martyrs actuelle). Les services de ce médecin-chef répondaient aux différents besoins de santé exprimés aussi bien par les dignitaires turcs que par les janissaires. Il était, en outre, responsable de la pharmacie centrale située près de la djénina et qui approvisionnait toutes les structures de santé en médicaments, plantes médicinales et prothèses. Des médecins militaires turcs venaient d'Egypte et de Turquie, pour assurer la couverture sanitaire du contingent des janissaires. Concernant les troupes militaires turques, les soldats non mariés et atteints de maladies graves étaient envoyés dans les hospices dépendants des mosquées. Les cas ordinaires étaient traités dans les casernes. Lorsqu'ils étaient mariés, les janissaires étaient traités dans leurs familles. Le gouvernement assurait les rations de vivres et le prix des médicaments. Si les médecins turcs exerçaient pour une durée déterminée en Algérie, certains d'entre eux ont exercé à titre privé, une fois leur service militaire terminé. Il faut signaler que les Turcs ont joué un rôle important sur le plan de l'hygiène publique à Alger et dans les grandes villes. En effet, ce sont eux qui ont réalisé les quatre aqueducs et les 120 fontaines publiques qui alimentaient la population algéroise. Parlant des eaux d'Alger, on peut lire dans le rapport du docteur De Pietra Santa (1860) : « C'est du coteau d'EI Biar que proviennent une partie des sources qui alimentent la ville ; les autres arrivent à la porte d'Isly, sous le nom de fontaine du Hamma, de la grotte du Petit marabout, de la fontaine Bleue. De magnifiques aqueducs distribuent ces eaux limpides et fraîches, digestibles, réunissant en un mot toutes les qualités d'une eau potable. » Les hammams d'Alger, de Tlemcen et de Constantine étaient réputés. La propreté de la ville était confiée à un organisme dirigé par un Caïd El Zbel qui s'occupait du ramassage des ordures ménagères et de l'entretien des canalisations des eaux usées. En Algérie, même si la population autochtone répugnait à se faire soigner dans les hôpitaux, plusieurs existaient avant la colonisation, en particulier à Alger, Tlemcen, Oran et Béjaïa. Ainsi, à Alger, en comptait au moins 5 pour les étrangers et autant pour les autochtones indigents. La première structure hospitalière turque fut construite en 1550 par Hassan, le fils de Kheir Eddine Barberousse. Cet hôpital continua de fonctionner après 1830 sous l'appellation d'hôpital Caratine (déformation de Kheir Eddine) ; Le nom d'asile était souvent donné à ces maisons de soins. Parmi ces structures on peut citer pour Alger
L'asile pour malades mentaux de la rue de La Flèche.
L'asile de la rue de l'Aigle qui abritait les Turcs impotents et les janissaires invalides.
L'asile de Boutouil qui servait de refuge aux indigents et qui était situé sur l'emplacement actuel du lycée Emir Abd El Kader de Bab El Oued.
L'asile de Sid Ouali Dada situé à la rue du Divan (en face de la mosquée Quetchaoua) qui recevait les handicapés et les malades et qui a continué à fonctionner jusqu'après l'occupation française.
La médecine populaire
Cette médecine traditionnelle tendait à chasser les maladies au moyen de remèdes simples : soleil, sable chaud, bains médicamenteux, air pur, diététique, tout ce qui facilite au corps sa propre rééquilibration. Elle était basée essentiellement sur l'utilisation des plantes médicinales recueillies localement. Parmi ceux exerçant l'art de guérir, on distinguait :
El tebib, praticien ordinaire.
El hakim, médecin savant, celui qui prescrit les remèdes grâce à une réputation acquise par des connaissances étendues et qui assurait un enseignement à des çanaâ.
El djerrah, qui comme son nom l'indique est celui qui pratique l'acte chirurgical
El kabla : les femmes sont le plus souvent soignées par des tebibate ou des kablate (accoucheuses). Le tebib homme ne peut soigner une femme qu'en cas d'impuissance des tebibate femmes et à la demande expresse du mari. A ces différents corps, le colonel Bertherand signale qu'au Sahara, le khabïr qui conduisait la caravane faisait office de toubib. Il connaît l'hygiène à suivre selon les pays traversés, les remèdes contre les maladies, les fractures, la morsure de serpents et les piqûres de scorpions. A l'intérieur du pays, ce sont des personnes d'un âge avancé, vénérés dans chaque tribu ou village, ayant une longue expérience de la vie et une certaine sagesse qui pratiquaient la médecine. Outre les tebibs, la médecine était également pratiquée par des marabouts et des tolbas qui, sous le prétexte de la conduite des âmes, soignent le corps, habité par des djinns, à l'aide de herzs et de hdjabs (amulettes). Les médecins exerçaient le jour du marché. Les consultations étaient pratiquées en dehors ou sous la tente. Certaines tribus étaient également connues pour leurs connaissances en médecine, en particulier dans l'art de guérir les coups, les blessures et les fractures. La science des tebibs algériens se composait d'un mélange de conseils transmis par la tradition, ou par d'autres tebibs venus d'Orient ou d'Andalousie, par ceux ayant séjourné à Tunis et au Maroc, par la lecture des hadiths du prophète (QSSSL) et celles de livres de savants de haute réputation. S'il n'y avait pas d'enseignement organisé, les hakims ayant acquis une certaine réputation sont entourés d'apprentis toubibs (çanaâ ou toulebs, étudiants médecins) qui suivent pendant un certain temps la pratique de ces maîtres, moyennant une rétribution proportionnée à leurs propres ressources. Parmi les médecins célèbres de cette époque, on peut citer :
Ahmed Ibn Kassem El Bouni (1653-1726), originaire de Annaba qui a rédigé un traité intitulé L'âlem ahîou el kariha fi el adouya essahiha.
Khalil Ibn Ismaïl El Djazaïri connu pour son livre Les Trésors de l'âme pour pallier les maladies difficiles.
Abderezak Ibn Hamadouche El Djazaïri, né à Alger en 1107 de l'hégire, qui, après des études à Tétouan, Fès et Mekhnès et des voyages en Andalousie et en Orient revint à Alger où il officiait dans un magasin à proximité de la Grande-Mosquée d'Alger. Parmi les ouvrages qu'il a écrits, on peut citer : Lissane El makale fi ennaba ani ennsseb ouel haçal ouel aâl, Errihla (le voyage), Kechf erroumouz, où l'on peut noter sa parfaite connaissance des plantes médicinales de l'époque, Taâdil el mizadj bi sababi kaouanine el ilaâdj (modération du tempérament par les lois du traitement ), qui a été traduit par L. Leclerc et surtout, l'ouvrage en quatre tomes : El jawhar el maknoun min bahr el kanoun où il traite des poisons, des maladies et des plantes et drogues médicinales.
Ahmed Ibn Ali Erachidi, originaire de Ferdjioua, qui composa un dictionnaire médical El Minha el Koudoussia fi el Adwiya el Kamoussia Ahmed ben Belkacem, chirurgien qui vécut du temps d'Ahmed Bey de Constantine. Il excellait en neurochirurgie et traitait les fractures de la boite crânienne. Les Turcs avaient souvent recours à lui.
Benchoua, l'un des plus réputés médecins d'Alger qui exerçait encore son art pendant les premières années de l'occupation française reçut, en 1842, la visite du baron Dominique Larrey, grand chirurgien de Napoléon qui vint inspecter l'armée d'Afrique. Les ouvrages des tebibs d'Alger avant la colonisation (dont la plupart étaient répertoriés à la bibliothèque d'Alger) étaient représentés par :
Les hadiths du Prophète (QSSSL) qui constituaient l'ouvrage de référence des toubibs car contenant de nombreux conseils d'hygiène et de traitements des maladies.
Kitab Haroun.
Kitab cheikh Daoud El Masri.
Kitab Aboukacem Abderahamane Ibn Ali Ibn Abou Sedik (commentaires des aphorismes de Gahien).
Kitab Abou El Fardj Ibn El Koufi (commentaires des aphorismes de Galien).
Kitab Abou El Hassan Ali Ibn Mohamed (extraits d'El Harounia et El Tarsi).
Kitab cheikh Douad El Antaki célèbre médecin du Caire du XVIIe siècle.
Traité de médecine par Moustafa Ibn Ahmed El Taroudi.
Kitab El Bouni, réputé chez les tebibs d'Alger.
Kitab El Kaliouni de médecine et de chirurgie.
Traité de médecine par Sid Ahmed El Zerrouk El Fassi le traité des poisons de Maimonide.
Des traductions de l'ouvrage de Discodoride (De materia medica) où était décrit à peu près toutes les essences connues. Certains tebibs étaient spécialisés dans le traitement d'une affection ou d'un organe :
Le tebib laâyounes (oculiste), voyageant de tribu en tribu, était très apprécié par la population. Certains de ces tebibs laâyounes avaient une adresse à opérer la cataracte fort remarquable en se servant d'un tube destiné à aspirer le cristallin par succion à travers la sclérotique de l'œil. Cette méthode avait l'avantage de ne pas léser la partie antérieure du globe oculaire et donc d'éviter l'épanchement et la perte de l'humeur aqueuse. Parmi ces oculistes, on peut citer le nom de Hadj Saïd Ben Abderahmane qui exerça à Tunis, à Tébessa et à Alger dans les premières années de l'occupation française.
Le tebib edrouss, comme son nom l'indique, procédait à l'arrachage des dents cariées ; activité qui était également confiée dans d'autres régions aux armuriers et maréchaux-ferrants.
Le tahar ou hadjam (pratiquant la circoncision ou khtana) était souvent le barbier.
Le hakim el sefra, médecin de la jaunisse. Généralement, la plupart des médecins préparaient leurs propres potions, mais dans la plupart des villes et également dans les souks on trouvait des apothicaires qui exécutaient les ordonnances prescrites par les tebibs. Ces marchands d'aromates (attar) et de plantes (biia eddoua) herboristes disposaient d'un vaste assortiment de remèdes à base de produits végétaux et animaux, et même de substances minérales, telles que le sulfate de cuivre employé pour favoriser la cicatrisation des plaies. Parmi les maladies qui étaient soignées, on peut citer :
Le cheggag (gerçures des pieds) : elles étaient soignées en oignant la partie concernée de graisse et en la cautérisant avec un fer rouge. Lorsque la gerçure était profonde et très large, elle était suturée.
El djedri (petite vérole, variole) : Lorsqu'elle est signalée dans une région, les parents d'un enfant à inoculer achètent un à deux boutons qu'ils coupent et dont ils frottent le contenu contre la région préalablement incisée entre le pouce et l'index de l'enfant non encore immunisé.
L'hypersudation ainsi que l'épilation des aisselles faisaient appel à :
frottement à l'aide de feuilles fraîches de souaq ennebi (mule).
application de chebb (alun finement pulvérisé) mélangé ou non à aoud el quomari (bois d'aloès) dans l'aisselle. En matière d'honoraires, le malade paie une partie de la somme due au tebib qui représente le coût des médicaments. Si le malade guérit, il doit compléter la somme. Dans le cas contraire, il ne paie que le coût de la médication. En cas de blessure occasionnée par un individu à un autre, le salaire du médecin ainsi que le prix des médicaments sont à la charge du coupable. Il en était de même durant la période ottomane où le bech-djerrah (chirurgien-chef) touchait en plus de sa solde, une indemnité (haq eddem. Les médecins étaient, par ailleurs, exemptés de certains impôts par le caïd de chaque circonscription. (A suivre)
L'auteur est Professeur à la faculté de médecine d'Alger


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