Outre la beauté de ses paysages de carte postale, le bruit de l'eau est la première des choses qui frappe le visiteur qui arrive à Toudja, petit village blotti au pied du mont Aghbalou, à quelques encablures de Béjaïa, la ville presque sainte. Sainte, car autrefois, le voyageur qui arrivait dans cette cité renommée pour ses savants devait faire ses ablutions à Bir Slam, à l'entrée de la ville, avant d'y poser les pieds. A Toudja, l'eau est partout. Elle chante, ruisselle, murmure, gronde, tombe en cascade et accompagne les voix des hommes et le chant des oiseaux. Jamais village n'a autant attaché son nom à celui de l'eau au point d'en devenir synonyme. Célèbre depuis l'Antiquité, la grande source de Toudja, dont le débit moyen est de 850 litres/seconde, est une véritable rivière souterraine qui a choisi de rejaillir à l'air libre sous le promontoire rocheux qui surplombe le village. En faisant tourner la roue de l'histoire et celle des moulins hydriques, ses eaux miraculeuses ont fait la renommée des lieux, mais également l'abondance et la beauté de ses vergers, la richesse de ses ruches, le parfum de son miel, et la succulence de ses fruits, notamment ses oranges. Si le nom de Toudja est intimement lié à celui de l'eau, il l'est autant à celui de Nonius Datus. Evidemment, dans l'Algérie d'aujourd'hui, où la renommée sourit plus aux footballeurs et aux prédicateurs barbus, le nom de Nonius Datus échappe complètement au grand public. Il n'évoque quelque chose qu'à de rares historiens et aux spécialistes férus de livres d'histoire. Pourtant, il y a un peu plus de 18 siècles, ce Librator, (ingénieur militaire), vétéran de la IIIe légion Augusta, a accompli une véritable prouesse de génie civil. Pour alimenter en eau la ville de Saldae (Bougie), alors en pleine expansion, il a eu l'idée de capter les eaux de Toudja avant de les acheminer par monts et par vaux, à travers un aqueduc de 16,5 km jusqu'à la cité des légionnaires retraités. Pour ce faire, il a dû construire le fameux pont de Tihnayine, dont il reste encore des vestiges et un tunnel de 428 m, encore intact aujourd'hui, avant d'aboutir à de grandes citernes construites au-dessus de la ville. Quand on connaît les problèmes récurrents des réseaux d'AEP dans l'Algérie d'aujourd'hui, on ne peut qu'admirer l'exploit réalisé par Nonius Datus. Ce qui a permis à son nom de rentrer dans la postérité, c'est la célèbre inscription retrouvée dans les ruines de Lambèse (Tazoult) en 1865. C'est cette célèbre inscription que l'on peut aujourd'hui admirer en face du siège de la mairie de la ville, qui retrace les péripéties rocambolesques liées au creusement du tunnel d'El Habel, lorsque les deux équipes chargées du creusement, de part et d'autre de la montagne, n'arrivaient pas à faire jonction. Le musée de l'eau (akham n ouamane) Non loin de la principale place du village, qui abrite d'ailleurs la célèbre source, un très original musée de l'eau retrace de manière pédagogique l'histoire de la région à travers ce fluide vital. Il n'est pas aisé pour le touriste ou le visiteur de passage de visiter la Source, car le local qui l'abrite est fermé à clé. Par contre, le Musée de l'eau de Toudja, unique en son genre en Algérie, est un lieu incontournable. Implanté au cœur même du village, dans un ancien Souk el fellah désaffecté, permet au visiteur de suivre le cours de l'histoire de la région, de l'Antiquité à nos jours, au fil de l'eau, comme un cours d'eau. L'exposition thématique regroupe des espaces à caractère historique, culturel, scientifique et touristique. Elle réserve de larges places à la construction de l'aqueduc, aux thermes romaines de Tiklat, mais également à la mise en valeur du savoir-faire local en matière de gestion des ressources hydriques, comme la répartition de l'eau, l'utilisation des moulins hydriques et de la poterie. Réalisé dans le cadre d'un projet ONG II, le musée a été piloté essentiellement par l'association Gehimab (Groupe d'études sur l'histoire des mathématiques dans la Bougie médiévale), les collectivités locales de Toudja et Béjaïa et l'Union européenne. Aujourd'hui, la grande source est toujours là. Elle rugit au printemps et s'écoule plus calmement à la fin de l'été ou lorsque le ciel se montre avare en neige et en pluie. Les piliers du pont de Hanaia sont toujours debout, même s'ils sont pris en otages par la route et les maisons d'un village. Ses vestiges rappellent que les œuvres majeures survivent longtemps à leurs créateurs. Exploré récemment par des archéologues, le tunnel est dans un état parfait. Un homme de moyenne corpulence peut y circuler sans courber l'échine. Un filet d'eau y coule encore.