C'est une sulfureuse affaire de faux et usage de faux que viennent de divulguer hier les services de sûreté de la wilaya d'Alger aux journalistes. Des cachets secs et humides de pratiquement toutes les administrations civiles et militaires de l'Etat sont fabriqués et utilisés par une bande de huit trafiquants, dont une femme. De la carte d'identité militaire, au cachet de la mairie de Lyon en passant par le titre de passage en douane (TPD), la mainlevée des centres de rééducation et casiers judiciaires vierges, les faussaires disposaient, depuis 2003, d'un véritable sésame qui leur ouvrait toutes les portes des administrations, y compris celles bien blindées de l'armée. « C'est un véritable Etat dans un Etat », lance, terrifié, Demouk Abdellah, un officier de la brigade de recherche et d'intervention (BRI) qui a découvert le pot aux… ronces.C'était hier, lors d'un point de presse organisé au siège de la sûreté de la wilaya d'Alger, pour rendre publique cette hallucinante affaire digne d'un polar de mauvais goût. Ses acteurs ? B.M., 32 ans, licencié en droit, basé à Staouéli, N. Sebti, 42 ans, analphabète, résident à Aïn Naâdja, L.A., 35 ans, habitant Baraki, et enfin une jeune femme âgée de 28 ans qui servait de « couverture familiale » à la bande en jouant le rôle de la femme de Sebti dont elle était en vérité la concubine. Depuis le mois de septembre dernier, les éléments de la brigade engagent une filature contre B.M. qui paradait à bord d'un bolide (une 307 cabriolet) immatriculé en France. Les soupçons des éléments du commissaire Khaoua ont été éveillés par le fait que cette rutilante voiture changeait constamment d'immatriculation. La filature a finalement permis de découvrir que la voiture et son chauffeur sont tous deux des faux… Circulant sous une fausse identité et avec un véhicule volé, B.M. sera arrêté par la brigade et sera contraint d'ouvrir son « atelier » de fabrication de tous les faux documents écoulés par ses autres acolytes. Zoom sur cette formidable machine de trafic en tout genre stoppé net par les éléments de la BRI. D'abord un constat : les quatre faussaires qui collaboraient depuis 2003 ne se connaissent que par téléphone, histoire de ne pas mettre en danger leur « bizness ». B.M., le juriste, est la tête pensante de la bande. Dans sa villa de Staouéli dont même les membres de sa famille ignoraient l'existence, la brigade de recherche et d'intervention découvre, après perquisition, tout le matériel high tech servant à la fabrication de faux documents quelle qu'en soit la nature. Un ordinateur, un scanner, différents faux cachets et une pile de documents (passeports, cartes grises, cartes d'identité…) entreposés en attendant qu'ils soient remis à N.S., le démarcheur. Dans la villa, la police a également trouvé un pick-up de marque Nissan volé à Tizi Ouzou. B.M., qui est immédiatement passé aux aveux, était déjà sous le coup de quatre mandats d'arrêt. Ses complices sont « cueillis » par la suite un par un par les éléments de la brigade qui ont profité des soirées du Ramadhan pour leur mettre la main dessus. Tour à tour, N.S., chargé de commander les « besoins » en faux cachets à B.M., fut appréhendé au volant de sa Clio alors qu'il faisait déjà l'objet d'un mandat d'arrêt. L.A., qui s'occupait de la vente des véhicules volés par la bande, tombera lui aussi dans les filets de la BRI, alors qu'il circulait dans sa 206 année 2005, volée à Khenchela, en plein centre-ville. Enfin, la jeune femme qui servait de « passe-partout » à N. Sebti dans les hôtels, grâce à un faux livret de famille, a été mise hors d'état de nuire. Ses traces ont été retrouvées notamment dans des hôtels à Tigzirt et à Tébessa où elle avait séjourné avec son concubin, N. Sebti. Les trois faussaires présentés à la justice ont été écroués, alors que la jeune femme – une intermédiaire – est placée sous contrôle judiciaire. Quatre autres intermédiaires impliqués dans cette affaire sont encore en cavale, précise l'officier Demouk Abdellah. Le responsable de la BRI, le commissaire Khaoua, qui a remarquablement réussi à démanteler cet important réseau qui possède des ramifications à Oran, Mostaganem, Tiaret, Tizi Ouzou, Khenchela et bien sûr Alger, affirme que l'enquête reste ouverte. Dans cette opération coup-de-poing qui a permis la récupération de huit véhicules et un impressionnant lot de faux documents, il subsiste encore une zone d'ombre : 21 photos de personnes – hommes et femmes – sont retrouvées dans plusieurs faux documents. Pis encore, la même personne porte plusieurs identités… ! « On ignore pour l'instant si ces personnes sont décédées, portées disparues ou carrément montées au maquis. » A la brigade de recherche et d'intervention, on prend très au sérieux ce réseau qui cacherait bien de mauvaises surprises.