Le salon Batimatec, qui s'est ouvert ce dimanche à la Safex, concentre le déclin rapide du modèle de croissance par la dépense publique, qui a animé les années Bouteflika. Les dépenses d'équipement sont passées de 3908 milliards de dinars dans la loi de finances de 2015, à 2291 milliards de dinars dans celle de 2017. Les entreprises du secteur du bâtiment et des travaux publics qui exposent au Batimatec font donc face à la disparition brutale en deux années de 1617 milliards de dinars d'investissements publics, environ 14 milliards de dollars de bons de commande disparus. Une partie de cette contraction du volume d'affaires du secteur est subie par les entreprises étrangères, chinoises et turques en particulier. Mais l'essentiel retentit dans le tissu des PME de la filière. La réponse budgétaire du gouvernement Sellal au contre-choc pétrolier de 2014 a cessé d'être silencieuse en 2016. Elle est devenue un risque systémique en 2017. Des centaines d'entreprises de réalisation algériennes souffrent des impayés de l'Etat et de ses démembrements. Avant même d'être touchées par la baisse des commandes, elles subissent une contrainte létale en trésorerie. Dans le même temps, les acteurs de l'industrie des matériaux de construction, qui ont grandi grâce la forte croissance de la production du secteur des BTP entre 2006 et 2015, sont tout aussi inquiets. Lafarge Holcim Algérie annonce un excédent de production de 10 millions de tonnes de ciment dès 2019, avec l'entrée en exploitation de nouvelles cimenteries en 2017 et 2018. Le lancement de l'aciérie de Bellara, confrontée à la montée en production de l'acteur turque basé à Oran, peut générer rapidement le même scénario pour le rond à béton, si le financement des investissements d'équipement ne se renouvelle pas dans les deux prochaines années. Le Batimatec est en fait l'occasion de révéler l'urgence d'une transition rapide vers les partenariats publics-privés et le soutien de l'endettement, pour maintenir le rythme de développement des infrastructures en Algérie. Et le rendre plus endogène. Cela tombe un peu mal. Boudjema Talai, le ministre des Transports et des Travaux publics a la tête ailleurs. A ferrailler à Annaba pour faire élire à l'APN le plus de colistiers du FLN. Sachant que son premier colistier, Bahaeddine Tliba, incarne copieusement le modèle importateur rentier de la prime à la devise subventionnée par la Banque d'Algérie. Il y a des chances qu'il ait plus d'influence que les entreprises de réalisation en BTP et de production de matériaux de construction pour moderniser le financement des investissements publics. Son autre donneur d'ordre public, Abdelmadjid Tebboune, est, lui, pris par un accès de fièvre bureaucratique classique dans le contre-choc. Celui que provoque cycliquement le commerce extérieur algérien. C'est justement Abdelmadjid Tebboune qui a signé la première sortie de route de la trajectoire budgétaire triennale proposée par le gouvernement pour la période 2017-2019. Il veut réduire de 15 milliards de dollars le flux de marchandises entrant et revenir à 30 milliards de dollars d'importations au cours de l'année en cours. S'il le réalise vraiment, il pourrait approcher l'équilibre de la balance des paiements dès cette année, pour un prix moyen du baril de pétrole de 50 dollars, c'est à dire proche de celui du premier trimestre de 2017. Mais la réduction du déficit budgétaire à moins de 5%, prévu pour l'année terminale du plan triennal, elle, serait bien sûr totalement manquée. Il ne faut pas être spécialiste en commerce extérieur pour comprendre qu'un choc de réduction de près de 30% des importations sur une année a des conséquences récessives sur l'activité économique l'année suivante. Même si cela touche pour l'essentiel des produits finis. L'économie de la distribution de ces produits serait sinistrée. On le voit avec les réseaux des concessionnaires automobiles. Une partie de ces produits finis –engins, machines-outils, pièces de rechange, retarderait l‘investissement productif. De même les services importés, cible prioritaire et souvent fortement dommageable pour la croissance. Les revenus budgétaires vont pâtir d'une telle coupe dans les importations, à la fois par la chute de la TVA prélevée à l'entrée, que par la perte fiscale générée par l'effondrement des filières liées aux produits et services bannis. Les économistes de la task force auprès du Premier ministre ont oublié au début de 2016 de convier Abdelmadjid Tebboune à leur délibération. Le très «colbertiste» (mercantilisme du 17e siècle) ministre de l'Habitat, devenu grand mufti du commerce extérieur, aurait pu leur expliquer tous les bienfaits d'un tel choc à la baisse des importations sur la croissance économique et les recettes fiscales ordinaires, prévues justement pour être le grand recours au tassement tendanciel historique de la fiscalité pétrolière. Le commerce extérieur est pourtant le front le plus stratégique de la confection d'une économie forte. L'expert, Mouloud Hedir, est encore venu le rappeler, à son corps défendant, dans un entretien cette semaine sur RadioM. Le Conseil des ministres de l'Algérie a demandé de manière solennelle la réévaluation commune de l'Accord d'association avec l'Union européenne. C'était en novembre 2015. Il en est absolument rien sorti. Coup d'épée dans l'eau. Le calendrier et le contenu du processus de démantèlement tarifaire va se poursuivre. C'est ce qui posait problème à Alger après l'effondrement du prix du pétrole. Mais surtout, l'analyse sous-entendue du déséquilibre, selon laquelle les Européens auraient profité de l'Accord d'association au détriment de leur partenaire algérien (pourtant criant dans le flux des bien manufacturés), n'a pas été retenu dans le document final publié sur le site de l'UE. Si la contrepartie en investissements européens en Algérie n'a pas été au rendez-vous, c'est la faute aux autorités algériennes, qui ont introduit des barrières à l'investissement à partir de 2009, ont poliment rétorqué les Européens. Le gouvernement de 2017 est sans arguments techniques pour corriger à la fois les légèretés algériennes de 2001-2002 de la négociation qui a abouti à l'accord et celle de la loi de finances complémentaire de 2009, qui a abîmé l'attractivité des IDE en Algérie. Il est allé, la fleur au fusil, dans une réévaluation de l'Accord d'association, d'où il sort humilié. Il lui reste à déployer une politique de contingentement, qui vole du temps au temps. Sans lendemain. Marqueur de la déliquescence souveraine dans la conduite des négociations multilatérales, la fanfaronnade de Pascal Lamy. L'ancien directeur général de l'OMC s'est attribué dans son récent livre un rôle de bon Samaritain pour l'Algérie dans ses discussions jamais abouties pour l'accession à l'organisation qu'il dirigeait dans les années 2000. «Une des raisons pour lesquelles l'Algérie s'est coincée dans son processus d'accession à l'OMC, est qu'elle fait deux concessions exorbitantes lors de la négociation autour de l'Accord d'association». Elle a accepté des taux de consolidation très bas pour les produits agricoles et l'octroi du traitement national généralisé aux entreprises étrangères dans les services. Elle s'est retrouvée contrainte d'accorder l'équivalent à tous les membres de l'OMC. Deux dossiers qui auraient pu ne pas figurer dans l'Accord d'association et être reportés à la négociation OMC. Mouloud Hedir l'a rappelé dans une lettre ouverte. C'est l'ami qui lui voulait du bien, Pascal Lamy, qui a obtenu de l'Algérie ces concessions, lorsqu'il était commissaire euro-péen du commerce. Et c'est Abdelhamid Temmar qui les lui a attribuées généreusement, sur instruction du président Bouteflika, pour boucler la négociation avant fin 2012. Dans le sens mondialiste, comme dans le sens souverainiste, les excès algériens sont d'abord une ruineuse incompétence politique.