Le camp des abstentionnistes grossit à Béjaïa au point de brouiller les plans des plus ambitieux des partis. Ils sont presque 431 500 électeurs à s'être abstenus de voter jeudi pour le compte des législatives, ce qui donne le criant taux d'abstention de 81,49%. Ce chiffre devrait se lire comme un signe de désintérêt à la chose électorale, vidée de son sens, ou à assimiler à l'acte politique de boycott, qui traduit un mécontentement, voire l'exaspération. Les deux sont porteurs de messages à décrypter tout comme le sont les 13 719 bulletins nuls comptés dans la wilaya. Ce n'est pas la première fois que le lot des bulletins nuls attire l'attention. Cette fois-ci, il a fait réagir, via les réseaux sociaux, les deux têtes de liste du FFS et du RCD. «Le wali de Béjaïa vient d'annoncer de faux résultats des élections. Il assumera les conséquences. Il a augmenté le nombre de bulletins nuls», a dénoncé Chafaâ Bouiche. «L'administration a gonflé le nombre de bulletins nuls à travers le vote des militaires pour permettre à ses affidés en Kabylie d'accéder au Parlement. Presque 14 000 bulletins sur 97 000 votants rien que pour Béjaïa. Une volonté sournoise de discréditer toute représentation nationale», a écrit, de son côté, Atmane Mazouz. S'il est bien en-dessous de celui déjà maigrelet de 2012 (25,11%), le taux de participation, cette fois-ci, a été de 18,51%. Il est élevé d'à peine un point par rapport au taux calculé en 2007. Pourtant, le 4 mai dernier presque toute la soldatesque partisane locale était de la partie, FFS et RCD en premier. Est-ce un vote qui sanctionne les partis ? Cela en a tout l'air. La campagne électorale n'a vraisemblablement servi presque à rien. Ou plutôt si, à reconduire sept anciens députés sur les douze qui siègeront désormais dans l'hémicycle jusqu'à 2022. Mais autant pour le FFS que pour le RCD, le scrutin n'a pas été aussi propre qu'on l'a promis. «Au rythme où vont les triturations des scrutins par le vote des militaires, les assemblées seront de simples casernes de supplétifs», considère Atmane Mazouz, tandis que Chafaâ Bouiche écrit que «le FFS est victime de nouvelles techniques de fraude». Bien qu'il reste la première force politique dans la wilaya, le FFS a perdu trois sièges et 4000 voix par rapport à l'élection de 2012. Il n'a récolté, cette fois, que 17 395 voix qui lui donnent droit à seulement 4 sièges, dont Chafaâ Bouiche et Rachid Chabati ne font que prolonger leur mandat. Le parti doit beaucoup à ses électeurs de Aït Smaïl, la commune qui a d'ailleurs voté le plus dans la wilaya (41,59%), à l'opposé de Feraoun, la commune qui a le moins voté (9,96%). A Aït Smaïl, le FFS a récolté quelque 1700 voix. La mise sur le maire de cette commune, troisième sur la liste du parti, semble être gagnante. Timezrit, d'où est issu Chafaâ Bouiche, a compté 3257 votants (29,27%). Le FFS en revendique 2356, mais, ailleurs, le parti a été confronté à ses dissidents qui l'ont, sans aucun doute, privé d'une partie précieuse de son traditionnel électorat, notamment dans la vallée de la Soummam. A commencer par la liste indépendante de l'ex-président de l'APW, Hamid Ferhat, qui a avec lui deux ex-élus du FFS, les maires d'Ouzellaguen et de Tifra. Ferhat n'est pas passé, mais a cumulé un total de 3750 voix, un manque à gagner pour son ex-parti. S'il est sorti vainqueur dans certaines communes (Beni Ksila, Semaoune,…), le FFS a été déclassé dans beaucoup d'autres communes dont celle d'At Melikeche qui, lui, a préféré un de ses dissidents, Khaled Tazaghart, qui rempile désormais sous les couleurs de son nouveau parti Front El Moustakbal. Tazaghart a convaincu 4965 électeurs, plus que Smaïl Mira, son rival à Tazmalt dont la «transhumance» partisane l'a vêtu des couleurs du MPA qui ne lui ont pas été bienheureuses. Le maire de Tazmalt a calé au seuil des 5% exigés pour prétendre au partage des douze sièges. Tazmalt n'a pas vraiment voté (16,10%). C'est là le deuxième échec du genre de Smail Mira, le premier l'a dirigé vers la reconquête de la commune de Tazmalt sur laquelle il règne depuis des mandats. Le parti de Amara Benyounès perd ainsi doublement à Béjaïa, à la fois l'élection et des cadres du bureau de wilaya, démissionnaires à la confection de la liste contestée. Les près de 5 000 bulletins en faveur de Khaled Tazaghart sont, aussi, autant de voix volées au FFS. Ces duels auxquels a été entraîné le parti du regretté Aït Ahmed lui ont été fatidiques. Le RCD, aussi, a vécu son duel, intensément. Et il y a laissé des plumes. Avec deux sièges au final, il recule de la moitié de son score en 2007. La carte Atmane Mazouz, tête de liste, a été jouée dans une donne qui ne devait faire abstraction de la liste indépendante de Braham Bennadji, un ex du parti. La raison en est lourde ; c'est que les deux sont issus de la même localité, celle de Tinebdar, troisième commune la plus votante (32,42%) après Taskariout. Le RCD a récolté, en tout, 7907 voix et compte désormais deux députés dans la wilaya dont une femme avocate, Nora Ouali. Bennadji a réussi son premier test législatif et passe avec un siège. Dans sa sacoche 4402 voix, presqu'autant que le député Tazaghart. Il a gagné la bataille de Tinebdar et s'est imposé en tête dans cinq communes des Ath Waghlis, mais il semble que c'est la vallée de la Soummam qui lui a versé le reste des voix nécessaires et si précieuses en ces temps d'abstention gonflante. Cela dit, ces législatives ont fait de Tinebdar un champ de bataille électorale singulier puisqu'une troisième tête de liste a prétendu puiser de l'électorat de la région. Zina Ikhlef, épouse Ouagueni, Bougiote d'origine, est mariée à un Tinebdari. Ex-parlementaire du RND, elle passe désormais députée du RPR avec 4530 voix. Beaucoup ne croyaient pas en la réélection de cette ancienne syndicaliste que l'on n'a pas vue pendant la campagne électorale. Seule femme tête de liste dans les 18 listes dans la wilaya, elle semble avoir fait le plein dans la région des Ath Waghlis. A croire certaines indiscrétions, tout s'est joué dans la région de Taourirt Ighil où l'on a enregistré 1258 votants. Mais Zina Ikhlef a engagé son duel avec son ex-parti, le RND, dont les mésaventures dans ce scrutin étaient annoncées avant même la campagne avec la crise qui l'a secoué lorsque Kamel Bouchoucha a été désigné tête de liste. Il siègera pour un deuxième mandat à l'Assemblée nationale après avoir obtenu 6027 voix. Le FLN a, lui aussi, perdu un siège à l'issue de ces législatives qui lui en offrent deux avec 9 936 voix, soit la moitié que celles récoltées par le FFS, qu'il suit, d'ailleurs dans le classement. Pourtant, le parti a été le grand absent de la campagne électorale. Le PST a tenté de se placer avec sa seule liste engagée à l'échelle nationale. Avec 3610 voix obtenues, il a manqué quelques centaines de voix pour pouvoir participer au partage des sièges. Outre l'abstention, il faut dire que ces législatives permettent de tirer des enseignements comme l'éclatement du champ politique local, l'imposition de nouveaux sigles par la bénédiction de la migration politique et la prétention accrocheuse des islamistes qui restent aux aguets, bien que TAJ est à la queue du classement avec 1,38% des voix récoltées. Une queue qui se secoue.