Le refus d'accostage d'un deuxième navire, même pas autorisé à pénétrer dans les eaux territoriales, chargé d'un complément de matériel pour le compte d'une usine de trituration de graines oléagineuses de Cevital à Béjaïa, exacerbe bien du monde. Des opérateurs économiques, syndicalistes, avocats, élus, cadres et militants de partis politiques (RCD et Avant-garde des libertés) et représentants du mouvement associatif se sont réunis, jeudi dernier, au siège de Cevital, à l'arrière-port de Béjaïa, en présence des membres du Comité de participation (CP), dont ceux de Cojek, Baticompos, Lalla Khedidja, entre autres filiales du groupe industriel. Ce sont autant de personnes qui constituent le premier noyau d'un comité de soutien aux travailleurs de ce groupe qui vient d'être lancé à l'occasion, et reste ouvert à de nouveaux émargements. Rendez-vous a été pris pour décider de l'action de rue à entreprendre afin d'amener les autorités à laisser tomber leur obstination à bloquer un investissement créateur de richesses et le premier pourvoyeur de la fiscalité communale. «Il faut une démonstration de force dans de brefs délais», a suggéré, bouillonnant, un vice-président d'Apc. «Cevital ne partira jamais», ajoute, calmement, un représentant d'une association. «Restons mobilisés jusqu'à réalisation de l'unité», appelle, de ses vœux, un opérateur économique. La rencontre a servi pour exposer les détails d'une affaire inquiétante, qui enfle sur fond de relents franchement politiques. «La direction du port n'est pas dans la légalité», affirme Kaci Sayad, président du CP, qui exprime «la peur» des travailleurs de l'usine. «Notre peur est légitime, notamment depuis les déclarations du PDG du port, affirmant que d'ici 11 ans, l'usine fermera pour cause de fin de concession», dit-il. Angoissés par cette menace à peine voilée, que l'on assimile à du chantage, les travailleurs avaient sollicité, lors de leur sit-in du 27 avril dernier, le soutien de la société civile qui commence à se sentir concernée par ce qui semble être un acharnement têtu, fait de blocages à l'investissement local et, partant, d'étouffement économique de la région. Les conséquences se font sentir dans la politique de recrutement du groupe Cevital. «Aucun recrutement depuis 2011», assènent des membres du CP. Le 26 mars dernier, la direction du port a refusé d'autoriser l'accostage d'un navire chargé d'un matériel destiné pour une usine de trituration de graines oléagineuses de Cevital. «La première fois, on nous a dit que le port n'a pas les moyens de manutention qu'il faut pour ce genre de matériel. La deuxième fois, on nous dit que le matériel est usagé», rapporte Kaci Sayad. Faux-fuyants ? Le projet semble déranger. Il s'agit d'une unité de tri de graines (soja, colza et tournesol) d'une capacité de 11 000 tonnes/jour, qui détient, entre autres autorisations, celle de l'Andi. Elle est prévue pour être implantée sur une surface libérée à cet effet, le site même de la raffinerie de Béjaïa. Dans un premier référé, le tribunal de Béjaïa avait rétabli Cevital dans ses droits en ordonnant l'accostage du premier navire. «La justice a fait son travail», estime M. Sayad. Sauf que, 24 heures plus tard, sur appel interjeté par l'EPB, la chambre des référés, avec «désignation d'un autre juge», a rejeté la décision. Tout le temps que le navire est resté en rade, Cevital a dû payer des surestaries de 20 000 dollars par jour, jusqu'à ce que le bateau reprenne sa route vers Anvers, où il a finalement débarqué sa cargaison. Ce blocage contraste avec les facilités qui accompagnent un projet similaire à Jijel et celles qui ont permis l'inauguration récemment d'une usine de trituration de 3000 t/jour, à Oran. «Pourquoi toutes les autorisations ont été données pour Jijel et Oran mais pas à nous», s'exclame Kaci Sayad, qui rappelle l'obtention, pourtant, des avis favorables de 17 directions, pour le compte de l'enquête commodo et incommodo, avant que ne tombe, quelques jours plus tard, l'arrêté défavorable signé par le secrétaire général de la wilaya. «C'est une unité agroalimentaire avec un équipement neuf ultra moderne, fabriqué en 2016, acquis sur les fonds propres de Cevital», assure-t-il. L'unité est projetée avec la perspective de créer 1000 emplois directs et 100 000 autres indirects. Son plan de développement repose sur des conventions, dont celles avec des agriculteurs, producteurs de graines oléagineuses. «Alors qu'elle se plaint d'une baisse d'activité, la direction du port se permet le luxe de refouler des bateaux», s'indigne Mourad Bouzidi, un opérateur économique qui réplique que «Cevital appartient à tous les Algériens». «C'est inadmissible !» s'écrie-t-il. Des membres du CP de Cevital ont évoqué un courrier que l'EPB a adressé au transitaire du groupe, Nashco, l'informant du traitement spécifique réservé à toute importation de Cevital soumise à un accord écrit de l'EPB, en précisant le moindre détail de la cargaison jusqu'à «la destination finale». Ce qui s'apparente à de l'espionnage économique. Mourad Bouzidi y voit «du piratage économique». La situation de blocage est maintenue et des demandes d'audience introduites, en mars, y compris auprès du Premier ministre, sont restées sans réponse. Cevital serait-il dans le viseur d'un clan du pouvoir ? C'est ce qu'invitent à croire les dernières déclarations du chef de cabinet de Bouteflika, Ahmed Ouyahia, qui, à l'occasion d'un meeting de campagne électorale pour son parti, le RND, a écorché la direction du port trouvant «anormal» ce blocage. Ce n'est pas la première fois qu'un projet de Cevital est emprisonné dans des blocages. C'est le cas du projet d'un village touristique (avec hypermarché et grand parc d'attraction) à El Maghra, sur la côte est. Le groupe a acheté un terrain de 182 hectares pour 900 milliards de centimes pour les besoins de ce mégaprojet touristique. Après l'obtention des autorisations nécessaires, les premiers coups de pioche ont été stoppés net par une décision de justice ordonnant l'arrêt des travaux de clôture. Entre-temps, 120 employés ont été recrutés. Ils sont, depuis, en arrêt de travail.