Comme beaucoup de cinéastes, Karim Moussaoui a été formé par l'amour du cinéma : c'est au sein de l'association Chrysalide, de ses discussions, de ses projections, de ses réalisations qu'il a formé son regard, qu'il s'est posé la question du pouvoir des images, de leur beauté et de la construction d'un récit cinématographique : Kiarostami est le premier nom qui émerge quand on lui demande les films qui l'ont marqué durant cette période de formation, mais aussi Tarkowski, et sur un autre plan Kubrick pour le mélange entre cinéma de genre et cinéma d'auteur. L'association est donc l'école qu'il n'a pas faite, mais la discussion entre passionnés de théâtre, littérature, de cinéma, d'arts plastiques y fut si intense qu'elle l'amena à se saisir d'une question de fond : comment raconter sans en dire trop ? L'Algérie contemporaine à travers trois récits Construire au cinéma une image de l'Algérie contemporaine, c'est, pour Karim Moussaoui, aborder à travers la diversité des situations sociales et le regard des hommes et des femmes une question fondamentale : le changement est-il possible ? La question est posée dès les premières scènes au sein d'un appartement bourgeois : le décor joue un rôle important, puisque le confort matériel contraste avec l'aspiration au changement exprimée par les deux personnages : l'admirable Mourad (Mohamed Djouhri) dans le rôle d'un entrepreneur honnête ayant réussi, et Sonia Mekkiou, dans le personnage d'une universitaire cultivée. La question du changement n'est pas qu'une question sociale, elle est, selon Karim Moussaoui, d'abord une question individuelle. Le personnage de l'entrepreneur confronté à une situation qui aurait dû l'amener à être solidaire d'une victime préfère ignorer ce qu'il a vu et laisser les choses en l'état. A partir de ce moment, la question du choix engendre un suspense qui va crescendo. Le film de Karim Moussaoui implique pleinement le spectateur : ce qui en fait une des forces. Le deuxième récit le confronte à un autre choix à travers le point de vue de deux jeunes gens, Djalil (Mehdi Ramdani) et Aïcha (Hania Amar) : l'amour qu'ils se sont portés doit-il disparaître au profit des conventions sociales, le mariage au sein d'une même classe ? La scène de la danse qui exprime l'intensité du désir préfigure celle de la transgression. La danse est l'appétit de vivre, elle est initiée par la jeune fille, comme la transgression précédée d'un long moment d'hésitation devant la porte de la chambre. Pour autant, Aïcha, qui semblait avoir choisi une voie individuelle, se sépare définitivement de Djalil et disparaît dans la maison de son fiancé. La transition avec le troisième récit se fait autour du personnage de Dahman, médecin aspirant à acquérir un statut social enviable à la fois sur le plan professionnel et sur celui du mariage. Alors qu'il est sur le point de réaliser ses rêves, une femme, victime d'un viol, demande son aide : celle-ci entre en conflit avec ses intérêts immédiats qu'il préfère même s'il tente d'apporter une aide mesurée. Quelle que soit la classe sociale à laquelle les individus appartiennent et quels que soient leur sexe et leur envie de changement, tous, hommes et femmes, évitent de choisir, préférant in fine le confort d'une vie conforme aux conventions. Mais ce constat fait pour la société algérienne n'est-il pas peu ou prou valable ailleurs ? Ni plus ni moins A 41 ans, Karim Moussaoui a acquis la maîtrise de ce qui le fascinait : les images et leur pouvoir évocateur. La diversité des images accompagne la diversité des points de vue : ce sont d'abord des images urbaines, d'Alger, de la nuit sur la ville, mais aussi de l'Algérie en construction, des chantiers. Ce sont aussi celles des immensités des plateaux des Aurès : la caméra se saisit des couleurs de la terre, des roches, suggère les routes qui n'en finissent pas. Elle excelle aussi à capter les noms de lieux, ou plutôt ces lieux de transit que sont les hôtels, et dans une moindre mesure les bidonvilles. Tout ceci apparaît sans fioritures. Même traitement avec les personnages : le regard du cinéaste est empreint de pudeur et d'empathie, quand il s'attarde sur le visage silencieux et fermé des deux jeunes filles à l'arrière de la voiture ou le jeu du foulard auquel s'adonne Aïcha, avec, sans, selon les identités qu'elle incarne. Même sympathie pour le personnage de Djalil, le jeune homme condamné à ne pas exprimer son désir mais dont seuls le regard ou la posture immobile sont saisis. Pour autant, ce traitement sobre est troué par l'irruption de scènes de danse : la plus inattendue est celle rythmée par le groupe Djmawi Africa, véritable message du film, dont l'énergie est une véritable ode à la vitalité de la vie. Coproduction associant Algérie, France et Allemagne, le film de Karim Moussaoui sera projeté aux festivals d'Oran, de Annaba et de Béjaïa et dans différentes salles en Algérie et en France. Un film à ne pas manquer.