Scène du film «En attendant les hirondelles» Synopsis: aujourd'hui, en Algérie, trois histoires, trois générations. Mourad (Mohamed Djouhri), un promoteur immobilier, divorcé, sent que tout lui échappe. Aïcha (Hania Amar), une jeune fille, est tiraillée entre son désir pour Djalil et un autre destin promis. Dahman (Hassan Kachach), un neurologue, est soudainement rattrapé par son passé, sous les traits d'une femme victime du terrorisme (Nadia Kaci), à la veille de son mariage. Dans les remous de ces vies bousculées qui mettent chacun face à des choix décisifs, passé et présent se télescopent pour raconter l'Algérie contemporaine. Intéressant, le parti pris de Karim Moussaoui, dans son traitement de l'image, du cadre. Il relèverait d'une juxtaposition du montré et de l'exposé. Seul palliatif trouvé jusque-là pour échapper au plombant démonstratif. Qui est la tare la mieux partagée par nombre de cinéastes arabes, plus particulièrement. Sa démarche rappellerait, un peu, celle des frères Dardenne, en ce sens que le cinéaste algérien garde une équidistance, qui impose de voir sans... entendre! Sans comprendre. Forçant ainsi l'écoute.Moussaoui, dans «En attendant les hirondelles», place sa caméra à un point nodal, celui par où s'opèrerait la rupture ou bien se fixerait le noeud d'attache. C'est que le propos abordé par l'auteur contient son pesant de poudre, la mèche lente n'est pas loin! Mais elle ne sera pas utilisée, car il ne s'agit pas ici de tout faire sauter en l'air, pour changer des situations qui se sont entassées, au fil des années, en strates, guettées par une pétrification figeante. Le jeune cinéaste croit en l'homme, en cette part d'humanité, même gravement altérée par une absence de clairvoyance ou de conscience. On le décèlera notamment dans ce personnage, campé par Nadia Kaci, celui d'une femme enlevée par les hordes terroristes, violée, mise enceinte, et devenue ainsi mère d'un enfant, dont le seul cri primal, reste une sorte de feulement bestial, tel «l'Enfant sauvage» de François Truffaut... Détail peu anodin, ce personnage, le cinéaste, ne lui donne pas de nom, il la désigne par «la Femme»,une manière «englobante» de dire que les Algériennes ont, elles aussi payé un prix exorbitant dans cette guerre contre les civils, menée par les intégristes armés. Nadia Kaci dans une interprétation qui prend plus d'une fois des accents rappelant la tragédienne Maria Casarès, cette «torche embrasée» dans «Lady Macbeth», sauf que l'actrice algérienne dans ce film, porterait, elle, une torche qui ne demande qu'à être apaisée, telle une colère immense, mais sans haine apparente. Lobotomisée certes, elle n'en reste pas moins une femme en quête d'espoir, d'une lueur même dans l'oeil de verre d'un borgne. Elle lui dira sa rage, à ce Dahman (Hassan Kechach) d'avoir été laissée entre les griffes des terroristes, par ce médecin, kidnappé lui aussi pour leur prodiguer des soins et qui n'esquissa aucun moindre geste, devant le calvaire sans nom que subissait devant lui cette femme. Les yeux dans les yeux, elle dira à Dahman (étonnant Hassan Kechache) sa lâcheté, qu'elle finira par accueillir avec une froideur qui côtoie la compréhension. Se gardant de toute empathie, bien sûr, mais paraissant prête à accorder, à cet homme, un quitus, pourvu qu'il accepte de donner son nom à son fils, à qui l'état civil dénie jusque-là toute existence. Gilles Deleuze a répertorié, dans l'image-mouvement, au moins six types d'image, Karim en a usé d'au moins trois du genre: l'image-perception, l'image-pulsion et l'image-relation. Tout cela va investir l'image-temps avec la plus incroyable des inventivités, encore plus flagrante lorsque le réalisateur dans un clin d'oeil à la fameuse danse entre Travolta et Uma Thurman dans Pulp Fiction de Quentin Tarantino, mettra en scène une danse sur la piste du dancing d'un hôtel quasi désert... Raïna Raï, ou ce qu'il en reste, y est convoqué pour célébrer «Zina»... La jeune Aïcha (Hania Amar) déconcertante d'aisance exécutera une danse qui aura raison des dernières résistances, des réticences... Aïcha se défait de ces entraves qui l'ont, jusque-là empêchée de toucher ce garçon qui l'a aimée et qui l'a conduite aujourd'hui, sous bonne escorte paternelle, vers son nuptial destin... Là aussi le cinéaste s'interdit tout tutoiement de son personnage, il vouvoie, en cadrant large, comme s'il nous dictait le respect pour ce que cette jeune femme était en train de faire en direct, prendre en main son destin de jeune Algérienne, que le Code de la famille a officiellement placée sous tutelle depuis trois décennies. Moussaoui aura osé la beauté (du geste), il poursuivra sur cette voie en faisant surgir telle une apparition sur cette piste de danse de cet hôtel quasi vide, le légendaire hard-rocker du raï Lotfi Atar, avec sa mythique casquette en cuir. Cinquante ans de musique au bout des doigts de cet incroyable guitariste, planté tel un défi face au conservatisme ambiant et la bigoterie ravageuse. Karim Moussaoui s'est aidé d'un aîné (musicien) et de tous les autres protagonistes de cette chronique algérienne douce-amère, pour poursuivre sur la voie qu'il semble s'être tracée. Les hirondelles nous auront donc apporté de bonnes nouvelles: cette jeunesse refuse la haine, quête l'amour, mais n'est pas du tout prête à valider l'amnésie qui absout les coupables de leurs crimes et dissout les victimes dans leur douleur. Deux bonnes nouvelles en somme que ce film algérien ovationné au 70e festival de Cannes, nous a apportées: le cinéma de Karim Moussaoui est porteur d'une pensée. Sa génération, filles et garçons confondus, n'a donc pas l'intention de céder face à la laideur et l'oubli. Pas d'abdication. Ullach! Film à la structure éclatée comme autant de facettes d'une pierre précieuse que le temps polira au fil du temps, «En attendant les hirondelles» est décidément, le film de sa génération, messieurs les décideurs, écoutez-là!