Retour sur une édition très décevante et d'abord pour les deux films maghrébins. Pourtant largement ovationnés par le public de la salle Debussy, les deux films maghrébins de la sélection officielle sont repartis bredouilles. En attendant les hirondelles de l'algérien Karim Moussaoui et La Belle et la Meute de K. Ben Hania n'ont tout simplement pas comptés pour le jury qui les a scandaleusement ignorés. Les deux œuvres sont réalisées avec intelligence et talent et tout le monde ou presque pensait qu'elles avaient de solides chances d'être primées. Fiction sérieuse mais aussi distrayante (voir le voyage magnifiquement filmé vers le sud et qui restera dans les mémoires), le travail de Karim Moussaoui est une approche sociologique de l'Algérie sans discours pesant, une sorte de panorama critique d'une situation passablement complexe. Trois histoires parallèles qui se rejoignent de maintes manières. D'abord l'univers pas très drôle d'un entrepreneur en bâtiment faisant face à la bataille géante qui se déroule dans le pays pour obtenir un contrat (il s'agit ici d'un projet d'hôpital). Dans Alger quasi déserte, la nuit il n'est pas non plus conseillé de se mêler d'une scène de violence. Sous les barres d'immeubles, on a l'impression que personne ne se soucie vraiment des permis de construction. Il faut remplir les espaces vides. Pour les hôpitaux, on verra... Ensuite une histoire qui tire pleinement partie du talent de deux acteurs étonnants : Hania Amar dans le rôle de Aïcha et Mehdi Rammdani dans celui de Djalil. Amoureux depuis l'enfance, voici que les deux tourtereaux s'embarquent dans un voyage vers les paysages fascinants des routes de Biskra. Mais en fait le destin d'Aïcha l'amène vers un mariage combiné, c'est à dire d'intérêt. A la tristesse de son regard et ses coups d'œil furtifs vers Aïcha, on sent que Djalil ressent une sombre confusion. La douceur et la beauté du paysage contrastent avec son chagrin visible car c'est lui qui conduit la voiture qui emporte Aïcha et marque l'abandon définitif de tout son espoir pour le jeune homme. Mais avec la danse, la musique raï, on voit soudain se profiler des jours proches forcément joyeux. Peut-être un retournement total de la situation pour les deux personnages. Enfin, tout aussi captivant mais très triste, la suite d'un drame épouvantable. Dahmane (joué par Hassen Kachach, acteur impressionnant) est un neurologue qui, à l'approche de son mariage, doit affronter la fatalité de la sombre décennie des années ‘90. Un enfant est né dans le maquis terroriste où Dahmane est amené de force pour soigner des criminels. La mère (jouée par Nadia Kaci, impériale dans sa douleur) lui demande, des années après, de reconnaître l'enfant afin qu'elle puisse lui donner un nom. Moment de panique, de profonde déchirure pour Dahmane qui fait finalement preuve de compassion. En attendant les hirondelles est un travail de mise en scène, de direction d'acteurs, de dialogues, de photographie, de montage nettement brillant et attachant. Il était impensable que le jury d'UCR (Un certain regard) ne le voie pas. Il est pourtant passé à côté en ne lui décernant pas même un des prix de second plan. La Belle et la Meute est un tableau très noir et très cruel de la Tunisie. Est-ce du temps de la dictature Ben Ali ? On ne le sait pas. La cinéaste Kaouther Ben Hania ne le dit pas. On voit Mariam (Mariam El Ferjani, superbe actrice) faire preuve de courage et de ténacité pour défendre son honneur et son intégrité. Toute une nuit, dans le huis-clos hallucinant d'un poste de police, la jeune femme cherche à déposer une plainte après avoir été violée... par des policiers comme elle le découvrira ensuite. Le sujet est très fort et la mise en scène haletante. Le dernier film de Ben Hania, Zaineb n'aime pas la neige, avait décroché le Tanit d'Or du film de fiction aux JCC 2016. La presse française est abusive. En plus de la Caméra d'Or, les premiers prix de la Semaine de la Critique et de la Quinzaine des réalisateurs, elle voulait aussi pour la France la Palme d'Or que le jury de Pedro Almodovar a attribué au film suédois The Square de Ruben Ostlund, portrait violent, chaotique et absurde à la fois de la Suède de Bergman. Une distinction sans doute réfutable. On dit que le cinéaste a bouclé trop vite son travail pour venir à Cannes et ça se voit dans son film truffé de défauts. Beaucoup d'autres œuvres sélectionnées ont subi la colère de la critique. The Hollywood Reporter résume l'opinion générale : «Jour après jour, nuit après nuit, un film décevant après l'autre… Tout artiste a ses hauts et ses bas. Il semblerait que la plupart d'entre eux ont connu une très mauvaise période en même temps cette année». Allusion éloquente à de nombreux films visionnés et dont on se demandait ce qu'ils faisaient là, en compétition dans le plus prestigieux des festivals de cinéma. Un film idiot sur Godard, un autre médiocre sur Rodin, deux films américains ennuyeux signés Sofia Coppola et Lynne Ramsey mais qui ont décroché des prix. On attendait mieux pour marquer cette 70e édition. Sur la Croisette, la bravoure des journalistes levés aux aurores est mal récompensée.