Permettez-moi de me faire le porte-parole de près de trente mille personnes auprès de vous. Ce sont les signataires d'une pétition, que j'ai initiée le 18 mai 2016. Cette pétition réclame à la France la restitution à l'Algérie des restes de martyrs algériens, actuellement détenus par le musée de l'Homme, à Paris. Elle a provoqué beaucoup d'émotion. La presse algérienne lui a donné un très large écho. Des médias français l'ont également couverte, entre autres France Inter, France 24, Beur FM, L'Humanité. La BBC, CNN, l'Agence de Presse Turque… lui ont consacré des reportages. Le gouvernement, par la voix de Monsieur Tayeb Zitouni, alors ministre des Anciens Moudjahidine, avait pris le dossier à bras-le-corps et promis une issue rapide. Force est de constater qu'il n'en est rien. Plus d'une année s'est écoulée. Le silence est retombé… Mais qui sont ces martyrs ? Dans quelles circonstances ont-ils perdu la vie ? La bataille des Zaatcha, une oasis de l'Est algérien, a mis aux prises en 1849 une colonne militaire et des résistants algériens opposés à la colonisation. Elle s'est soldée par un massacre abominable. Ne survécurent à la curée, selon les mots mêmes du général Herbillon qui commandait les troupes françaises, «qu'un vieil aveugle et deux ou trois femmes». Les leaders algériens, notamment Mohamed Lamjad Ben Abdelmalek, dit Cherif «Boubaghla», Cheikh Bouziane et son fils, Moussa El Derkaoui, Si Mokhtar Ben Kouider Al Titraoui… furent fusillés, puis décapités. Les dizaines de têtes issues du supplice sont venues garnir les vitrines du musée de l'Homme, à Paris. Elles ont été exposées au regard des foules pendant des décennies avant de finir dans des boîtes en carton, dans les caves du musée. Près de deux siècles après le supplice, elles y sont encore. Pour combien de temps, Monsieur le Président ? Notre peuple souffre d'un déficit de mémoire. Faute d'un récit crédible relatant ce que fut la colonisation et la résistance permanente de notre peuple, il y a un risque de banalisation de cette période de notre histoire, banalisation qui serait rien moins qu'une deuxième mort pour nos millions de martyrs et une absolution de fait pour les auteurs du crime. Le fait que la voix de l'Algérie ne résonne pas avec force pour réclamer les restes de ces valeureux résistants est extrêmement dommageable. Monsieur le Président, vous avez souvent mis en avant le beau mot de Karama, dignité. Vous manifestiez ainsi votre volonté de restaurer la dignité de votre peuple, mise à mal par 132 ans de soumission à un ordre injuste et mortifère. Rapatrier les restes de nos aïeux, leur rendre les honneurs, leur offrir une sépulture dans le carré des martyrs d'El Alia, ou dans une des grottes où se sont déroulées les sinistres enfumades, voilà qui serait une illustration concrète de l'exercice de cette volonté. Ce serait aussi le signe d'un changement profond. Cela marquerait symboliquement la fin du primat de la mythologie coloniale et contribuerait sans nul doute à la restauration d'un roman national rassembleur, qui renverrait l'épisode colonial à l'état de parenthèse dans la longue histoire de l'Algérie libre. Merci, Monsieur le Président. Je vous assure de ma très haute considération et vous souhaite plein de succès dans cette noble entreprise. Brahim Senouci, fils et petit-fils de chahid