- Le plan d'action du gouvernement Tebboune, qui sera présenté demain mardi (aujourd'hui, ndlr) à l'Assemblée, laisse présager l'injection dès 2018 d'une nouvelle dose d'impôts. Il est ainsi prévu, entre autres mesures fiscales attendues, une révision des barèmes et taux d'imposition de certains impôts en vue de les adapter au niveau du revenu de chaque contribuable «dans une logique d'équité sociale». Y aurait-il, selon vous, une volonté inavouée de relever le taux de l'IRG ? De quelle manière l'Exécutif va-t-il s'y prendre ? Selon ma lecture, le plan d'action du gouvernement prévoit une progression annuelle de 11% des recettes prévisionnelles de la fiscalité ordinaire sur les exercices à venir, soit d'ici 2021. Or, ces prévisions étaient déjà établies par les lois de finances pour 2016 et 2017 et non réalisées pour des raisons objectives qui transcendent le discours politique. Malgré une dévaluation du dinar en taux moyen de 10% entre 2015 et 2016, les recettes fiscales ordinaires n'ont connu qu'une évolution de 7,3 milliards de dinars, en passant de 2557 30 à 2564,6 milliards de dinars, ne reflétant même pas l'incidence de la dévaluation sur les assiettes ciblées. L'IRG, représentant globalement 29% des recettes fiscales ordinaires, dont 25,5% pour les salaires imposés, ne reflète pas dans les faits les revenus perçus du pays, tels que recensés par l'ONS, pour 9000 milliards de dinars, dont 4900 pour les salariés, si on leur applique le barème progressif légal. Le montant global des recettes de cet impôt est estimé à 720 milliards de dinars pour 2016, dont probablement le tiers versé par l'Etat sur ses propres salaires bruts. Il ne rapporte au Trésor que 80 milliards de dinars sur l'ensemble des revenus des indépendants, ce qui paraît curieux quand on constate que sur 1,6 million d'entités exerçant officiellement une activité, 1,4 sont des personnes physiques. Et là, il faudrait peut-être se pencher sur le nombre d'entités imposées à l'IFU et la moyenne de recouvrement par entité ainsi que le rendement global de cet impôt mal conçu à sa genèse. Le gouvernement pense probablement à la révision du taux libératoire de l'IRG par application d'un barème progressif plus lourd pour les hauts revenus, à tous les revenus déclarés. Dans ce cas, une période de crise n'est pas le meilleur moment pour accentuer la pression sur des catégories mal appréhendées et laissées dans le flou comptable en période d'aisance financière. Et cela nécessite le retour à une comptabilité réelle pour la plupart des redevables de l'IFU, ce qui va encore poser des problèmes et contentieux. Et quand bien même cette opération serait apte à améliorer la fiscalité ordinaire, je n'y vois pas les 11% qui représentent 260 milliards de dinars, soit 4 fois les recettes actuelles globales de l'IRG, toutes assiettes confondues. - En taxant davantage les bons contribuables, notamment par le moyen d'une éventuelle hausse de l'IRG qui générerait environ 25% des recettes de la fiscalité ordinaire, le gouvernement ne chercherait-il pas une solution de facilité étant donné que les revenus de l'IRG sont garantis d'avance par le système de retenue à la source, plutôt que de s'attaquer au gros gisement de l'informel et de l'évasion fiscale ? Selon cette question, les bons contribuables en Algérie sont les contribuables forcés de payer, ce qui n'est pas tout à fait faux. Mais il existe une autre catégorie de redevables forcés que sont les consommateurs, sur les assiettes appréhendées au niveau des ports et en sortie d'usine, qui rapportent 40% des recettes de l'Etat en droits de douane et TVA, directement à l'entrée, mais qui disparaissent dans la nature juste après la sortie du port. Il est clair que les valeurs ajoutées internes, telles qu'appréhendées dans le PIB, reflètent une assiette potentielle de loin inférieure aux taux censés y être appliqués, tous impôts confondus. Et, à cet égard, parler de lutte contre l'informel en ce moment précis et à ce volume de fuites d'assiettes revient à dire que précédemment cet informel était plus ou moins toléré, et même considéré comme une résultante obligée d'un système d'imposition et de perception intégralement orienté vers la sphère formelle, volontaire ou obligée. L'économie informelle n'est pas un phénomène accidentel, exogène à la marche générale du système économique, mais une résultante obligée de cette marche. Et toute pression supplémentaire sur les segments visibles ne fera qu'augmenter les effectifs des invisibles et toute démarche agressive vers ces derniers ne fera que gripper les flux financiers dans le pays, en créant le résultat inverse de cette évolution attendue. - Dans le plan d'action du gouvernement, il est dit également que les bases d'imposition de l'impôt sur le patrimoine allaient être revues. Si le gouvernement mettrait concrètement sa promesse à exécution, quel serait le retour sur investissement que l'on peut espérer ? Le fisc a-t-il les moyens et les prérogatives nécessaires pour contrôler le patrimoine de chaque Algérien ? L'impôt sur le patrimoine, qui dans sa finalité est un impôt sur les revenus antécédents accumulés en actifs, est juste dans sa forme, mais problématique dans le fond. Actuellement, tous les impôts de cette nature déclinés dans les différents codes ne s'attaquent globalement qu'aux immobilisations matérielles visibles, essentiellement foncières et immobilières, les placements et autres valeurs financières n'étant pas touchés à ce jour. Or, nous sommes face à un système économique où des valeurs constituées il y a des décennies avec des revenus salariés souvent modestes ont connu une hausse exponentielle de leur estimation, et toute assimilation de ces biens à des signes extérieurs de richesse ou des bases d'assiette d'un éventuel impôt sur les immobilisations va toucher en premier lieu les basses strates de la classe moyenne locale, sur des détentions dues essentiellement à des circonstances passées plus favorables. Le gros des détenteurs de patrimoines réévalués et identifiés n'a pas comme revenus annuels cumulés 5% de la valeur estimée de leurs biens, surtout dans les grandes villes. Belaïd Abdeslam avait essayé quelque chose de ce genre en 1993 dans une démarche populiste et avait envoyé des formulaires alambiqués à toutes sortes de redevables, dont beaucoup de fonctionnaires, qui étaient aux fondations de leurs maison, et cela a été abrogé après son départ, en laissant des contentieux ingérables, résolus par une mesure d'abandon global des cotes fiscales. L'amélioration des rendements fiscaux passe par l'amélioration des assiettes appréhendées et non pas la découverte de nouvelles assiettes sur les mêmes revenus dont le statut change d'année en année et d'opération en opération. Et l'amélioration de l'appréhension des assiettes légitimement taxables passe par la réduction des pressions fiscales et un apurement des contentieux du passé en tant que mesures fiscales, mais aussi une autre politique monétaire et financière en tant que mesures d'ensemble. On ne peut pas exonérer le tiers de ses importations au port au motif d'accords de libre échange et courir derrière le cheminement des mêmes importations sur le marché interne et leurs incidences sur les revenus pour se rattraper sur les moins aptes à y échapper. - Le but de cette nouvelle réforme fiscale est de parvenir, à terme, soit en 2019, à couvrir l'essentiel des dépenses de fonctionnement par les revenus de la fiscalité ordinaire. L'objectif est-il réalisable et quels sont les sacrifices adéquats pour y parvenir ? Cette projection du gouvernement précédent paraît farfelue et ne répond même pas à ses propres prévisions budgétaires chiffrées pour cette période. De surcroît, jamais dans l'histoire fiscale du pays les recettes ordinaires n'ont réussi à couvrir les dépenses de fonctionnement qui, elles, ont toujours évolué en fonction des recettes pétrolières vers le haut sans jamais pouvoir revenir en arrière en cas de baisse. Ici, il s'agit de 4500 milliards de dinars de prévisions de dépenses et de 4600 si on s'en tient aux réalisations de 2016. Pour y arriver, il faudrait passer d'une fiscalité ordinaire de 2560 milliards de dinars en 2016 et probablement moins en 2017, à 4500 milliards de dinars au minimum en 2019, selon les prévisions du gouvernement, soit une augmentation de 80% en deux ans, donc un taux de progression de 33% par année, ce qui paraît aussi improbable que loin des prévisions de 11% du plan du gouvernement, elles-mêmes irréalisables. Il est clair que la solution pour le gouvernement est dans une formule intermédiaire qui passe forcément par une réduction de ces dépenses et non une recherche effrénée de recettes improbables en pleine récession non déclarée.