Elle surplombe les hauteurs de la ville. La réserve de Djebel Ouahch occupe un site imprenable, ce qui fait d'elle un lieu de villégiature par excellence. «C'est le poumon de Constantine», aime à répéter la population, qui a de tout temps fréquenté les lieux, même dans les pires moments de son histoire. Cette réserve est située à 7 km au nord de la ville, à 1200 m d'altitude, et s'étale sur 19 hectares. Sa flore est des plus diversifiées. Selon les spécialistes, dont Kamel Bazri, enseignant à la faculté des sciences de la vie de l'université Mentouri, le site regorge de 15 familles et 43 espèces : «L'arboretum est composé d'espèces forestières et ornementales d'origines européenne, américaine et algérienne. On peut y citer les pins, cèdres, sapins, eucalyptus, chênes, érables acacias, peupliers, etc. Il abrite une pépinière, gérée par la Conservation des forêts, qui s'étend sur 1,80 ha et a une capacité de production de 85000 plants. Elle est, destinée à la sensibilisation et est distribuée gratuitement au profit des établissements scolaires, des collectivités locales, institutions publiques et privées, comités de quartier. Il y a aussi un parc animalier de 3 ha abandonné faute de prise en charge.» De cette description, il s'avère que c'est «l'un des endroits les plus attractifs de la région de Constantine grâce à la beauté de son paysage naturel, ses lacs et son parc d'attraction». C'est là en fait une présentation carte postale. L'état actuel des choses n'est pas des plus réjouissants. Lors d'un séminaire organisé par l'association locale, Le Flambeau vert de l'environnement, en mars dernier, Kamel Bazri a présenté l'état des lieux de la réserve à travers une communication. Il y a relevé de multiples menaces qui pèsent sur l'arboretum, souffrant déjà de vieillissement des espèces et qui est en voie de disparation. Et les mots sont pesés. «S'il existe une dispersion de pathogènes, dont les chenilles mettant ainsi en danger l'arboretum, l'être humain n'est pas en reste dans cette dégradation et menace. C'est devenu un lieu en délabrement en raison des coupes d'arbres et de branches, des signes de blessures sont souvent observés, négligence des touristes, piétinement des espèces vertes, déversement de plusieurs types de déchets et les incendies dont les touristes sont la cause principale, des constructions en ruine et d'autres abandonnées, devenues des lieux de prédilection pour les délinquants, abris et niches de l'ancien mini zoo délabrés ou saccagés et pistes dégradées», a-t-il égrené. Mobilisation tous azimuts Les pouvoirs publics ont, à plusieurs fois, tenté de faire renaître cette réserve de ses cendres. Mais elle n'est pas le phœnix. Il ne suffit pas d'effets d'annonce pour que ce qui a été ravagé pendant au moins une quinzaine d'années se remette en place comme par enchantement. Les stratégies à l'emporte-pièce, adoptées pour faire revivre ce lieu de villégiature, ont entraîné des échecs en cascade. Les appels d'offres pour son exploitation ont été pour la plupart infructueux. Les investisseurs ont raté le coche en raison de la défection de la population. Cette dernière a déserté les lieux par plusieurs fois, elle qui tient à ce plan de verdure puisqu'il y va de son bien-être. L'absence de sécurité est le premier écueil qui l'a contrainte à s'en détourner. Mais sans désespérer, elle s'approprie les lieux à chaque fois que l'occasion le permet, quitte à y mettre plusieurs années. Aujourd'hui comme par le passé, elle tient à Djebel Ouahch et veut le récupérer. Le terme est-il approprié ? Que oui et ce n'est nullement une lubie de quelques nostalgiques. Cette étendue verte, où les familles venaient pique-niquer, les enfants jouer au ballon ou faire du vélo, les pêcheurs du week-end taquiner les poissons des lacs, ou encore les joggeurs, est on ne peut plus menacée, car sur le plan sécuritaire, les choses ne sont pas au diapason. Ce maquis, puisque c'en est un, est devenu, durant la décennie noire, l'un des fiefs des groupes islamiques armés (GIA). Les séquelles de cette période traumatisante sont encore vivaces dans la mémoire des riverains. La terreur semée lors d'incursions dans les quartiers alentour a laissé des stigmates indélébiles. La région de Djebel Ouahch est devenue synonyme de coupe-gorge. Personne n'osait s'y aventurer même en plein jour. Bon nombre d'habitants ont préféré abandonner leur maison pour sauver leur vie. En 2017, il est évident qu'on est bien loin de cette période trouble. Certes, la situation sécuritaire a beaucoup évolué, mais elle pas totalement rétablie. Sporadiquement, il réside des accrochages entre les éléments de l'ANP et des groupuscules mobiles qui écument un triangle réparti sur trois wilayas, Skikda, Jijel et Constantine. Sans grands moyens, ni logistique, leur force de nuisance est très réduite, mais prise en compte. L'armée, qui leur livre une guerre sans merci, demeure en état d'alerte. Pas plus tard qu'en mars dernier, l'émir local de Daech, Laâouira Noureddine, alias Abou Al Hammam, et son acolyte ont été abattus lors d'un accrochage avec l'armée en opération de ratissage en ces lieux. Aussi épisodique que soit ce genre d'exactions, il pèse sur les décisions de réhabilitation de la réserve et sa réouverture au public. La population, qui continue de conjurer le mauvais sort, refuse mordicus de s'y résigner. «Avec l'installation d'un poste de sécurité, la quiétude reviendra et les familles réinvestiront les lieux», se disent les citoyens. Et ce n'est pas une vue de l'esprit. Il y a à peine quelques jours, des jeunes se sont adonnés à leur sport favori qu'est le jogging dans cette réserve et des photos ont été publiées sur les réseaux sociaux. Des téméraires ? Peut-être pas, puisque l'attachement de la société civile à ce patrimoine matériel a contribué à faire bouger les lignes. Projet écotour 25 Fortes de cette envie de récupérer la réserve de Djebel Ouahch exprimée par la population, les autorités locales se sont saisies du dossier. La mise en exploitation, encore une fois, du poumon de la ville, après une fermeture de deux ans, ne peut se limiter à une simple OPA. «Une fois certaines mesures mises en place, l'adjudication de la réserve sera lancée à l'effet de son ouverture à la population», a déclaré le wali, Kamel Abbas, en visitant les forêts de la wilaya pour leur réaménagement. La volonté des uns et des autres ne peut suffire que dans le cas où elle est traduite sur le terrain. L'association locale Le Flambeau vert de l'écologie a opté pour l'action. Elle s'est lancé un véritable challenge, celui d'inclure la réserve de Djebel Ouahch dans le circuit des agences touristiques, notamment ceux de l'ONAT. Ecotour 25, puisque c'est de ce projet qu'il s'agit, est pris à bras-le-corps par Farid Karboua, président d'association, et son équipe. «L'association Le Flambeau vert pour l'environnement, qui active depuis 2004, a tracé ses objectifs pour l'efficacité et la vulgarisation de son action. Elle vise dans cette optique la sensibilisation des associations du même acabit et les pouvoirs publics locaux à la richesse de la réserve et son importance et à favoriser la collaboration entre société civile et pouvoirs publics. Nous sommes conscients de l'efficacité du combat collectif, et nous tentons de fédérer les différents partenaires aux fins de créer une synergie entre eux», nous expliquera ce doctorant, ingénieur en écologie. Son association lutte dans son domaine de prédilection pour asseoir une culture environnementale accessible à la population. Elle a lancé les jalons d'une stratégie durable, basée sur l'implication du citoyen dans la préservation de son patrimoine naturel et touristique. Elle a déjà organisé des opérations de reboisement dans la forêt de Chettaba, à Aïn Smara, en faisant participer, notamment, les enfants. Une entreprise ludique, mais d'impact éco-éducatif inestimable. «C'est dans le cadre du projet Ecotour 25 que nous avons formé 12 guides écologiques, en perspective de la mise en place de circuits touristiques dans la réserve de Djebel Ouahch», ajoutera Farid Karboua. Les efforts consentis, entre autres, par le mouvement associatif, l'université et les autorités locales, dont la Conservation des forêts et les services de sûreté, ont rendu l'idée de réexploiter la réserve de DjebelOuahch très tangible. Selon Pr Bazri, le plan de réhabilitation est fort applicable. «Il est nécessaire de lancer une réflexion sérieuse afin de parvenir à une solution viable et de fond pour la bonne gestion de ce bien touristique et premier poumon de la ville de Constantine», a-t-il soutenu, avant de dévoiler les mesures à prendre pour la réussite de cette initiative : «En premier, il faudra redonner la vie au parc de loisirs et de détente et aux aires d'activités sportives. Viendra ensuite le classement de la forêt en aire protégée, en raison de sa richesse en biodiversité faunistique et floristique, réaménager les lacs et la retenue collinaire, préserver ses ressources naturelles et freiner leur dégradation, reprise du site zoologique et assurer un service de sécurité via l'installation d'un système de caméras de surveillance dans les différentes parties du parc.» Et ce ne sont que les premières suggestions posées comme conditions sine qua non pour la réouverture du site au public. Des mesures prises en considération par les centres de décision. La semaine dernière, le chef de l'exécutif a apporté une série de rectificatifs au plan de réhabilitation de la réserve exposé par le bureau d'étude en charge. Il a ordonné l'annulation de toutes les nouvelles structures prévues, la récupération de celles déjà existantes, l'utilisation de matériaux écologiques en harmonie avec l'environnement immédiat. Il a aussi insisté sur la préservation de la faune et de la flore du parc, ainsi que celle des 4 lacs qu'il faudra alimenter en eau à partir d'un cours d'eau, réaménagé à cet effet. Toutes les conditions favorables à la réouverture de la réserve ne sont peut-être pas encore réunies. Elles le seront les unes après les autres. Les efforts pluriels consentis par les différents partenaires convergent tous vers une ultime finalité : le bien-être collectif.