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BCE est soupçonné de vouloir rembourser ceux qui l'ont soutenu lors de sa campagne électorale Tarek Kahlaoui . Ancien conseiller de Moncef Marzouki, professeur adjoint d'histoire et d'arts islamiques à l'université Rutgers dans le New Jersey (Etats-Unis).
Le 23 mai en Tunisie, les arrestations d'un homme d'affaires très connu et d'un ex-candidat à la Présidence ont donné le coup d'envoi d'une campagne anticorruption. Officiellement, le gouvernement veut en finir avec ce fléau qui a pris encore plus d'ampleur après la révolution de 2011. Une politique très critiquée par la société civile. On voit qu'il est beaucoup question de corruption dans le débat public en Tunisie. Quelle est la réalité de ce fléau ? Il existe quelques études sérieuses sur la corruption en Tunisie. Une des plus importantes est certainement celle publiée par la Banque mondiale, «Tout dans la famille» (2014), qui pourrait représenter la démonstration la plus méthodique de la corruption en Tunisie dans la façon dont elle a été mise en place avant la révolution, mais aussi dans la manière dont elle perdure après. Selon une de ses estimations les plus importantes, les 220 entreprises confisquées au clan Ben Ali fin 2010 représentaient moins de 1% de la masse salariale, mais accaparaient 21% des bénéfices du secteur privé (plus de 0,5% du PIB, soit une somme faramineuse de 233 millions de dollars rien que sur l'année 2010). Plus important encore : le «capitalisme de copinage» dépasse largement le simple cadre de Ben Ali. Selon le rapport, c'est un enjeu essentiel de développement auquel se heurte la Tunisie aujourd'hui. C'est une remarque fondamentale, puisque la forme de corruption la plus efficace et la plus systématique est celle des grandes familles bien connectées dans le réseau bureaucratique, ayant mis en place des moyens sophistiqués pour tirer profit du régime des dizaines d'années plus tôt. Je voudrais également mentionner une des dernières études qui s'est concentrée sur les affaires actuelles dans le milieu du business. Publiée en 2016 par l'Institut tunisien de la compétitivité et des études quantitatives (ITCEQ), elle décrit la corruption comme «principale cause de détérioration de la perception du climat des affaires en 2015». Parmi ses conclusions essentielles : «Classée en troisième position comme facteur défavorablement perçu, la corruption a accusé la baisse la plus substantielle de l'indicateur de perception entre 2014 et 2015 qui passe respectivement de 0,643 à 0,582 et constitue, de ce fait, la principale cause de détérioration de la perception portée sur le climat des affaires. Une telle évolution dénote l'amplification de ce phénomène dans le cadre institutionnel. En effet, seulement 9% des entreprises enquêtées déclarent que la corruption s'est relâchée par rapport à 2014, alors que 49% pensent qu'elle s'est accentuée.» Et le rapport de conclure que la corruption génère un coût difficile à estimer à cause de la dimension morale de l'acte. Pour les entreprises ayant accepté de répondre à la question, la valeur des versements non officiels est estimée à 0,62% de leur chiffre d'affaires. Le gouvernement tunisien a lancé une grande offensive contre la corruption. Du moins, entre les lois et les arrestations, il donne l'impression qu'il prend des mesures. Cela est-il efficace ? En fait, tout cela n'est qu'impressions et perceptions. Les perceptions peuvent être trompeuses et peuvent rapidement changer, et c'est ce qui est en train de se passer en ce moment. Il apparaît de plus en plus clair que ces actions contre la corruption sont limitées en nombre – elles affectent une dizaine de personnes. En termes de perspectives judiciaires, en revanche, rien n'est clair, parce que ces actions se fondent uniquement sur des procédures exceptionnelles de l'état d'urgence. A l'exception de Chafik Jerraya (un homme d'affaires), aucune des personnes arrêtées n'a été officiellement accusée. Mais la question la plus stratégique est : ces actions permettront-elles une lutte efficace contre la corruption ? Je pense que c'est le cas, mais dans certains «secteurs» contre d'autres. Plusieurs personnes ont insisté sur le fait qu'il s'agit aussi d'une lutte entre différents groupes de corruption, dont certains sont répartis sur une base régionale. Le dernier rapport de l'International Crisis Group souligne d'ailleurs cette dimension régionale (d'un côté, une élite économique établie originaire du Sahel et des grands centres urbains, de l'autre, certains membres d'une nouvelle classe d'entrepreneurs issus des régions marginalisées).
Le dernier rapport de l'ICG souligne justement combien, depuis la révolution, le système tunisien tel qu'il a été mis en place par Ben Ali n'a pas changé. Etes-vous de cet avis ? Certainement, quand le rapport de l'ICG explique que le système économique et social tunisien n'a pas changé. Toutefois, le système politique, lui, a changé, essentiellement en rendant possible le changement de gouvernements par des pressions politiques, en utilisant des moyens démocratiques garantis par la Constitution, ce qui inclut des élections ou des élections anticipées, et la liberté d'expression, dont des campagnes pacifiques menées dans la rue. Cette marge de manœuvre politique fournit des outils et des méthodes essentiels pour lutter pour le changement du système économique et social, et combattre la corruption. Mais comment le gouvernement pourrait-il concrètement attaquer une corruption quand elle est structurelle ? Si nous voulons attaquer le problème de manière méthodique, alors nous devons attaquer le système. Cela suppose une série de lois et une application sérieuse des lois existantes qui ciblent très clairement le nerf de ce système de corruption et ce qu'il a engendré, c'est-à-dire le monopole des principaux contrats publics par des groupes et des familles spécifiques au mépris de la transparence et de l'égalité des chances. Nous avons aussi besoin de cibler les traditions du conflit d'intérêt, rendu possible par l'influence écrasante du système de corruption dans la politique. A ce niveau, il est urgent de légiférer pour un contrôle rigoureux des ressources financières des partis politiques, et de leur fournir davantage de fonds publics, sur la base de leurs représentants élus. Le projet de loi d'amnistie pour les crimes financiers est très critiqué, notamment par la société civile qui considère qu'il entrave le travail de l'IVD. Pouvez-vous expliquer cela ? La loi a été rédigée par le président tunisien et soumise à la discussion au Parlement depuis 2015. Béji Caïd Essebsi a été incapable d'obtenir un vote bien qu'il ait le soutien de Nidaa Tounes, le premier parti du pays. En résumé, la loi autorise le pouvoir exécutif à désigner une commission qui peut accepter des demandes d'amnistie dans des cas de fraude et de corruption par des représentants de l'Etat et des hommes d'affaires. Cela remet en cause certains des principes très basiques de la justice transitionnelle, en particulier l'indépendance de la commission. Plusieurs observateurs estiment que ce que BCE est en train de faire, c'est de rembourser ceux qui l'ont soutenu lors de sa campagne électorale, en les autorisant à encore plus de corruption en leur donnant l'immunité pour corrompre. D'autres observateurs, en particulier économiques et financiers, voient dans cette loi l'absence du principe d'égalité des chances pour les investisseurs. En parlant de l'IVD, on a vu, fin mai, le neveu de Leïla Trabelsi témoigner dans une sorte de repentance censée montrer sa bonne foi et sa volonté de tourner la page. Comment ce genre de sortie est-il vécu par les Tunisiens ? Les Tunisiens ne peuvent pas être surpris par l'implication notoire d'Imed Trabelsi dans ce système de corruption. Toutefois, les détails donnés par l'un des symboles de l'un des membres les plus connus du clan Ben Ali étaient choquants, en particulier quand Trabelsi a souligné que certains de ses associés – dont l'un s'est présenté comme candidat aux élections de 2014 – sont toujours présents et que leur influence est de plus en plus grande.