La marche, qui devait servir en quelque sorte de soupape pour dégager le trop-plein de tension qui s'accumule dans le conflit entre Cevital et le port, s'est finalement terminée par un étouffement de plus. Des milliers de personnes ont marché hier dans les rues de la ville de Béjaïa, à l'appel du comité de soutien aux travailleurs de Cevital et aux investissements économiques dans la wilaya, pour remettre au wali une demande d'intervention destinée au Premier ministre. La marche, qui devait servir en quelque sorte de soupape pour dégager le trop-plein de tension qui s'accumule dans le conflit entre Cevital et le port, s'est finalement terminée par un étouffement de plus. Le wali n'a pas accepté de recevoir la délégation qui, à son tour, a fait savoir au secrétaire général du cabinet l'inutilité d'être reçue par lui. «C'est du mépris !» a crié Kaci Sayad, président du comité au sortir du siège de la wilaya. Cette suite rendue publique, a fait monter la tension parmi la foule de marcheurs, dont des voix ont appelé nerveusement à des actions radicales sur-le-champ. La tension était vive. Le conflit s'est exacerbé et la situation a laissé voir des signes inquiétants. Sur le parcours de la marche, qui a démarré vers 10h du siège de Cevital, à l'arrière-port, une grande banderole était accrochée avec un message qui participe des rapports de force dans lesquels les deux parties en conflit semblent s'enliser. «Les ports du pays sont solidaires avec le port de Béjaïa», dit l'énigmatique et orpheline banderole. Le bras de fer s'est engagé aussi sur les murs de la ville. Rares sont les affiches, placardées en deux vagues, appelant à la marche d'hier, qui sont épargnées par la destruction. Elles ont été soit arrachées, soit minutieusement noircies avec de la peinture. La marche a tout de même eu lieu, avec le renfort cette fois-ci des marcheurs mobilisés par des comités de soutien installés en dehors du chef-lieu de wilaya, notamment à Souk El Tenine, Adekar et Akbou. Munis du drapeau national et de pancartes, les manifestants ont crié tout au long de leur chemin des mots d'ordre glorifiant Cevital et prenant à partie le responsable du port, dont ils demandent, désormais, le départ. A la grosse foule, se sont joints les deux députés du RCD, Atmane Mazouz et Nora Ouali, et Khaled Tazaghart, député du Front El Moustakbal. Le comité a compté parmi ses rangs des représentants des syndicats comme le Snapap, SNTFP, Satef, SNTE, CLA, du comité des chômeurs, du comité de participation de Cevital et du mouvement du RPK. Lettre à Tebboune Kaci Sayad a entamé les prises de parole en demandant de saluer les travailleurs du port par de forts applaudissements pour dire que le conflit n'est pas à ce niveau. Une minute de silence a été observée sur place à la mémoire des martyrs de la Guerre de Libération nationale et de la démocratie en cette veille de l'anniversaire de l'indépendance. Yanis Adjlia, militant associatif, a été chargé de lire la déclaration destinée à Tebboune pour lui signifier que ceux qui composent ce comité, «citoyens soucieux de l'avenir du développement» de leur wilaya, «vivent une hantise de voir leur outil de travail disparaître». «Notre rôle se résume à défendre la pérennité des emplois dans notre région», précise le comité qui est convaincu que le blocage de l'unité de trituration de Cevital répond à «des raisons opaques et des procédés indignes d'un Etat de droit». Tebboune est informé que «des réseaux clientélistes veulent exploiter cette situation de blocage pour favoriser un déséquilibre concurrentiel qui mettra en faillite l'un des fleurons de l'industrie de notre région au profit de certains opérateurs qui se sont installés dans le même créneau». Le comité n'oublie pas de «saluer» la «disponibilité spontanée» du nouveau Premier ministre «à répondre favorablement à ce dossier». «Le sens de la responsabilité commande d'aller vers un règlement de ce conflit qui n'a que trop duré», écrit le comité qui met l'accent sur «une injustice qui a révolté la population». Ce sont ces inquiétudes et d'autres que le comité veut faire parvenir à Abdelmadjid Tebboune auquel il sollicite une audience. Leur répondra-t-il ? Du temps de Sellal, il n'y avait pas eu d'écho. «Laissez-nous travailler !» «Lâchez-nous les postes de travail !» crie Kaci Sayad. «Il n'y a aucun texte de loi qui autorise ce blocage», renchérit Mourad Bouzidi, vice-président du comité, qui vilipende le directeur du port qu'il accuse de «se transformer en président de la République». «Laissez-nous travailler !» s'écrie, de son côté, Yanis Adjlia, qui rappelle le droit au travail que consacre pourtant pour tout Algérien l'article 55 de la Constitution. «Ailleurs, on construit des usines, à Béjaïa, on nous érige des prisons», dénonce-t-il. Le gel de 140 projets, totalisant 3000 milliards de centimes destinés vainement pour la wilaya de Béjaïa, revient comme une arête dans la gorge des protestataires. Le Snapap a intégré le comité en «soutien aux travailleurs de Cevital», mais il n'omet pas de les inviter à se doter d'un syndicat. Son représentant n'est pas moins convaincu que «le directeur du port est soutenu d'en haut». Le RPK, le Rassemblement pour la Kabylie, qui investit ainsi le terrain, est aussi de la partie. Son porte-parole, Hamou Boumediene, a déclaré que «dès lors que le pouvoir touche à une entreprise en Kabylie, c'est toute la population qui doit se soulever». «Les travailleurs de Cevital ne demandent pas l'aumône», dit-il. Pour d'aucuns, le dossier relève du politique. C'est ce qui amènera d'ailleurs Khaled Tazaghart à réclamer la «levée de l'état de siège sur le développement de Béjaïa». Le message est adressé «aux vrais décideurs» à qui il demande d'assumer leurs responsabilités quant «aux suites fâcheuses» qui pourraient découler de ce blocage obstiné.