L'audit externe d'Algérie Télécom, réalisé en 2015, révèle de graves irrégularités et des anomalies dans la gestion des œuvres sociales à travers la mutuelle des travailleurs du secteur. Les montants des œuvres sociales des travailleurs de la poste et des télécommunications, cumulés de 2003 à 2014, s'élèvent à près de 400 milliards de centimes. L'Union générale des travailleurs algériens (UGTA) accuse la ministre de la Poste, des Télécommunications, des Technologies et du Numérique, Houda-Imane Feraoun, d'immixtion dans les affaires syndicales, mais aussi de refuser le dialogue. C'est du moins le message qu'ont mis en avant les organisateurs du rassemblement de protestation hier au siège de la centrale syndicale à Alger. Mais que se passe-t-il pour que l'UGTA, qui fait depuis de très longues années la courte échelle au gouvernement, s'attaque ouvertement à un ministre et dénonce un déficit de dialogue social ? Pour comprendre ce conflit, il faut remonter le fil des événements. Il y a quelques semaines, le président du Conseil des participations a révélé à la presse l'existence d'un rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) sur la gestion des œuvres sociales de ce secteur de la poste et des télécommunications qui compte plus de 60 000 travailleurs. Ce rapport, remis à la ministre du secteur, fait état de graves irrégularités et d'anomalies dont certaines sont passibles de qualifications pénales. Le rapport de l'IGF n'a pas été le fruit d'un contrôle de routine, mais il est la suite légale des conclusions de l'audit des œuvres sociales d'Algérie Télécom effectué par le cabinet CIEF relevant du ministère des Finances. Dans le rapport de synthèse de cet audit externe, que nous avons consulté, il est précisé que l'opération a été lancée le 29 septembre 2015 par la direction d'Algérie Télécom suite aux difficultés rencontrées dans la coupure de gestion à la faveur de la mise en place du comité des participations de l'entreprise pour la prise en charge de la gestion des œuvres sociales. Autrement dit, l'audit a été mené suite à l'absence de passation entre la commission provisoire en charge de cette gestion et le CP. Après un mois de travail, l'équipe du cabinet CIEF aboutit à des conclusions effarantes. Le rapport fait apparaître que l'accord entre Algérie Télécom et la mutuelle des PTIC, signé en 2003 et en vertu duquel Algérie Télécom a confié la gestion des œuvres sociales à cette mutuelle n'était fondé sur aucune base juridique. Le fait de confier la gestion des œuvres sociales à la mutuelle, alors qu'elle n'était même pas signataire de cet accord, est déjà contraire à la réglementation. Aussi, Algérie Télécom n'avait, en vertu de cet accord, aucun droit de regard sur la commission provisoire en charge de la gestion des œuvres sociales de 2003 à 2014. Autre irrégularité soulevée dans le rapport : la Fédération des travailleurs des PTIC, dont le mandat a été gelé faute de renouvellement de ses instances, s'est substitué de fait à la mutuelle en confiant sa gestion opérationnelle à la commission nationale des œuvres sociales, issue de cette fédération dirigée par Mohamed Tchoulak, qui conduit aujourd'hui la protestation contre la ministre des PTIC. Le rapport affirme que la fédération et la commission nationale ont géré en totale autonomie les œuvres sociales «sans aucune forme de contrôle ou coordination avec les opérateurs concernés». La politique des œuvres sociales a été menée de 2003 à 2014 par cette commission nationale provisoire dans la continuité de celle menée avant la restructuration du secteur. Le rapport a relevé une absence de comptabilité commerciale suivant les référentiels comptables, ce qui laisse présager une inexistence de contrôle interne et externe et un suivi des opérations comptables. Pour les besoins de la gestion de ces œuvres sociales, trois comptes ont été créés. Le premier, ouvert en 2003, constituait le fonds commun des différents opérateurs du secteur. Ce compte commun a été un véritable problème sur le plan de la justification des opérations financières, notamment celles relatives aux dépenses communes d'Algérie Télécom et d'Algérie Poste. Le deuxième compte est celui de la Mutuelle générale des travailleurs des PTT qui est normalement réservé aux opérations d'octroi et de remboursement des prêts à l'échelle nationale pour le personnel relevant des entités des PTIC. L'équipe du cabinet CIEF, dont les conclusions ont été confortées par celles du rapport de l'IGF, a relevé le transfert du solde du fonds des œuvres sociales vers le compte de la mutuelle. L'audit fait état ainsi de l'absence du solde des fonds des œuvres sociales, mais aussi d'informations sur les montants hérités de l'ancienne organisation du secteur, changée en 2003. Aussi, il n'y a aucune information sur les montants exacts des remboursements des prêts attribués antérieurement à la restructuration du ministère des PTIC. Le rapport fait état également de plusieurs mouvements sur le compte des œuvres sociales d'Algérie Télécom et d'autres transferts de fonds de ce compte vers d'autres comptes qui n'ont pas été déterminés. Après confirmation de ces irrégularités et anomalies, la ministre des PTIC a saisi en juin dernier le ministre du Travail, lequel a installé un commissaire aux comptes à la tête de la Mutuelle générale des travailleurs des PTIC. Sa mission durera 3 mois. Ces graves irrégularités constatées tout au long de la période gérée par Mohamed Tchoulak semblent ainsi à l'origine de ce «front» ouvert contre la ministre des PTIC. Cette dernière semble refuser de céder à la pression syndicale en voulant aller jusqu'au bout. Surtout que ce dossier concerne l'argent des travailleurs dont le montant s'élève à près de 400 milliards de centimes.