Les syndicats du secteur testeront, demain, leur capacité de mobilisation à la faveur du rassemblement prévu devant la centrale syndicale à Alger. Des syndicalistes accusent la ministre Houda-Imane Feraoun de fermer la porte du dialogue, tout en voulant s'immiscer dans leurs affaires. Le contrôle des fonds des œuvres sociales et de la mutuelle appartenant à quelque 45 000 travailleurs du secteur semble être l'enjeu principal. Pourquoi ? La question reste posée. C'est une démonstration de force que les cinq syndicats du secteur des postes et télécommunication, Algérie Télécom, Algérie Poste, Mobilis, ATS et Djezzy, comptent effectuer demain, devant le siège de l'Ugta (Union générale des travailleurs algériens) à la place du 1er Mai, à Alger, en ramenant les travailleurs de partout. L'objectif est de pousser la MPTTN (ministre de la Poste, des Télécommunications, des technologies et du numérique), Houda-Imane Feraoun, «à ouvrir les portes du dialogue». Qu'en est-il au juste ? Pour certains, l'explication de ce bras de fer n'est nullement liée aux revendications socioprofessionnelles, mais plutôt à une lutte d'intérêts au centre de laquelle se trouve le secrétaire de la Fédération nationale des travailleurs des PTTM (de la poste, des télécommunications, des technologies et du numérique), Mohamed Tchoulak. Fraîchement installé en août 2014, le comité de participation à Algérie Télécom a demandé à l'ex-commission nationale chargée de la gestion des œuvres sociales de procéder aux passations de consignes, mais elle a refusé. Un audit externe a été alors décidé par Algérie Télécom, et qui ciblait la gestion des œuvres sociales durant la période de 2013 et 2015, et qui a fait par la suite l'objet d'un contrôle par les inspecteurs de l'IGF (Inspection générale des finances). Gestion des œuvres sociales De nombreuses anomalies et irrégularités ont été constatées, et le secrétaire général, qui occupait les postes de secrétaire général de la Fédération nationale des travailleurs de la PTTM et de président de la mutuelle, est mis en cause. Il lui est reproché d'avoir transféré illégalement des fonds appartenant aux œuvres sociales d'Algérie Télécom relevant du ministère des PTTM à la mutuelle des travailleurs de la poste, qui elle dépend du ministère du Travail. Dans les conclusions du rapport d'audit par exemple, il est clairement relevé le transfert de fonds, sans aucun cadre juridique, des comptes des œuvres sociales aux comptes de la mutuelle. Raison pour laquelle Mohamed Tchoulak a été relevé de ses fonctions à la tête de la mutuelle, et le ministère du Travail a nommé un administrateur, tel que le prévoit la réglementation. Ce qui a poussé les syndicalistes et les travailleurs à exiger le départ de Tchoulak. Contre toute attente, la centrale syndicale a pris la décision de suspendre les activités de 11 membres du syndicat et du comité de participation, représentant 11 wilayas, y compris le président de ce comité. Nos interlocuteurs vont plus loin. Selon eux, le secrétaire général, Abdelmadjid Sidi Saïd, «a préféré défendre» Mohamed Tchoulak au lieu «d'exiger des comptes pour sa gestion. Il a appelé les unions de wilaya et mobilisé des bus pour ramener les travailleurs jusqu'à Alger, dans le seul but de détourner l'attention sur le problème syndico-syndical lié à la gestion des œuvres sociales et de le cacher par un pseudo-conflit avec la ministre des PTTM». Cette version est balayée d'un trait par Mohamed Tchoulak, qui met tout sur «l'ingérence» de la ministre des PTTM dans les affaires syndicales et qui souligne que les activités des onze syndicalistes «ont été suspendues par le responsable de l'organique de la centrale syndicale et non pas par Mohamed Tchoulak. Le problème est lié au refus de la ministre d'ouvrir les portes du dialogue. Elle devait prendre part à une réunion avec les syndicats et le ministre du Travail, et elle s'est rétractée deux jours avant en demandant le report. Depuis 2015, les événements ne cessent de s'accélérer. De 2003 à 2015, on ne s'est jamais intéressé à la gestion de la mutuelle et à l'argent des travailleurs. Nous avons tous les écrits sur cette période. Rien ne démontre qu'il y a eu un quelconque détournement. Tout s'est fait dans le cadre de la réglementation. Comment se fait-il que dès 2015, après le passage de plusieurs ministres, on décide de s'intéresser à la gestion des œuvres sociales et que l'on envoie une inspection de l'IGF à Algérie Télécom et Algérie Poste ? Depuis deux ans, le secteur vit dans une situation d'instabilité criante avec une cascade de limogeages et les nouvelles nominations sans qu'aucun bilan comptable ne soit établi. Mieux encore, la ministre a préparé un projet de loi sur les télécoms sans associer le partenaire social. Il a fallu faire pression sur elle pour qu'elle décide de faire marche arrière. Tous les travailleurs savent que ce projet de loi est inadéquat et ne répond pas aux aspirations des travailleurs». Tchoulak juge sa longévité à la tête de la fédération, plus de 20 ans, de tout à fait normale. Selon lui, le statut de l'organisation qu'il représente ne le lui interdit pas. «Mon éviction et mon maintien à ce poste relèvent des prérogatives de la base. Le 15 juillet, un congrès extraordinaire de la fédération se tiendra à Alger, et on verra si cette base veut toujours de moi ou non. Ceux qui mettent au centre le dossier des œuvres sociales se trompent. Les 132 milliards de centimes d'Algérie Télécom et les 142 milliards de centimes d'Algérie Poste, en guise de subvention des œuvres sociales de 2003 à 2015 ont été confiés à la mutuelle, du temps du défunt ministre Meghlaoui, en raison de l'absence d'un comité de participation. Il est tout de même anormal de remarquer que le problème se pose uniquement pour Algérie Télécom, où les représentants des travailleurs ont décidé de retirer leur confiance à l'ancien syndicat et d'élire un nouveau bureau que la ministre a refusé de reconnaître. Par sa décision, qu'elle explique par la plainte déposée par l'ancien bureau, elle a bloqué toutes les activités des nouveaux élus, en dépit de son engagement de ne pas s'immiscer dans les affaires syndicales. Raison pour laquelle il était important d'organiser ce rassemblement de demain». Anomalies et irrégularités Abondant dans le même sens, Sidali Doukhani, porte-parole du syndicat d'Algérie Télécom, accuse lui aussi la ministre de tourner le dos aux travailleurs du secteur. «Nous voulions que Mme la ministre ouvre les voies du dialogue pour discuter des problèmes socioprofessionnels que connaît le secteur. Lors de l'assemblée générale des cadres syndicaux organisée le 1er juillet à Oran par la fédération des technologies des télécommunications de l'information et de la numérisation, les participants ont rendu publique une déclaration finale, où nous avons réitéré notre appel à l'ouverture rapide du dialogue, et une réunion avait été programmée samedi 8 juillet regroupant l'ensemble des syndicats, avec les ministres des Télécommunications et du Travail et en présence du secrétaire général de l'Ugta, Abdelmadjid Sidi Saïd. Deux jours avant sa tenue, nous avons été informés de son annulation. Ce qui a mis les syndicats en colère. Nous devions entamer une grève générale, et après l'intervention de Madjid Sidi Saïd, nous avons opté pour un rassemblement de tous les travailleurs du secteur devant la centrale syndicale, mercredi 12 juillet. Ce n'est qu'une première action pour pousser la tutelle à ouvrir les voies du dialogue. Dans le cas où elle persiste à ignorer nos revendications, nous irons vers une grève générale. Sidi Saïd a été averti et il sait que c'est notre dernier recours…», déclare M. Doukhani. A propos des revendications, le porte-parole les résume en quelques points. «C'est d'abord la régularisation de nombreux cadres recrutés il y a des années dans le cadre de l'Anem (Agence nationale de l'emploi, ndlr), et qui au vu de la loi auraient dû être confirmés au bout de trois ans, avec des contrats à durée indéterminée. Il y a aussi le problème des nombreux stagiaires qui ont travaillé durant plus de deux ans dans les services techniques et qui maîtrisent parfaitement le réseau. Au lieu de les maintenir dans leurs postes, ils ont préféré parachuter des jeunes fraîchement sortis de l'université, sans aucune expérience. Nous avons proposé à ce que la priorité soit donnée à ceux qui maîtrisent le réseau et connaissent assez bien le travail au lieu de recruter de jeunes diplômés qu'il faudra former durant au moins deux ans avant qu'ils ne soient affectés». Entre les avis des uns et ceux des autres, il y a anguille sous roche. Le bras de fer entre la centrale syndicale et la ministre Houda-Imane Feraoun dégage une forte odeur d'argent. Visiblement, le contrôle des fonds de la mutuelle et des œuvres sociales appartenant aux 45 000 travailleurs du secteur des télécoms est l'enjeu majeur de ce conflit qui oppose la ministre à l'Ugta.