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«La pensée municipale», plafond de verre indépassable des années Bouteflika-Ouyahia
La semaine éco d'El Kadi Ihsane
Publié dans El Watan le 25 - 09 - 2017

Les réponses du premier ministre aux députés au sujet de son programme d'action ont été une occasion d'isoler le gène responsable de l'entropie algérienne. Les élus de l'opposition ont reproché à Ahmed Ouyahia d'avoir échoué à diversifier l'économie algérienne après plus de dix années passées au poste de chef de l'Exécutif.
Et le «nouveau» Premier ministre a eu une réponse qui fera date : «L'économie algérienne est diversifiée». Il en a pris pour preuve la part devenue modeste des hydrocarbures dans le PIB en 2016, plus faible que celle des services, à peine plus grande que celle de l'agriculture. Le problème ne serait donc pas, selon le Premier ministre, la diversification de l'économie qui l'est déjà, mais juste celle des exportations de cette économie, qui est restée mono-exportatrice.
Le plafond de compétence d'Ahmed Ouyahia comprime depuis de très longues années la modernisation de l'économie algérienne. Avec cette sentence brejnevienne, il éclaire le diagnostic algérien. Le pouvoir politique pense encore qu'en 2017 il existe une économie nationale en dehors de l'économie mondiale. La première serait diversifiée derrière ses frontières, mais sans pouvoir échanger avec la seconde autrement qu'en vendant des matières premières et en important tout le reste. L'économie soviétique, lorsqu'elle s'est effondrée, produisait une très large gamme de produits industriels. Ils n'avaient pas de place en dehors du Comecon, le marché commun des pays à économies publiques collectivistes de l'Europe de l'Est. Selon la grille de compréhension pré-globale d'Ahmed Ouyahia, l'économie algérienne était déjà diversifiée en 1986-1988 lors du 1er grand contre choc pétrolier .
Mais le reste du monde ne reconnaissait ni Sonacome, ni Sonelec, ni Enie, ni Sider, ni le CPA, ni l'ONAT. Il ne reconnaissait que Sonatrach. Ahmed Ouyahia vit dans le temps de ses exposés à l'Ecole nationale d'administration. Son univers mental a manqué quatre décennies de mise à jour. Pendant lesquelles les compartiments domestique-monde se sont dilués à très vive allure. Une filière d'activité qui ne peut rien exporter ne diversifie rien du tout. Elle gagne du temps. Tout comme le gouvernement algérien. La substitution à l'importation est un sas intermédiaire qui, nulle part dans le monde, depuis l'accélération de la globalisation il y a trente ans, n'a construit une performance économique décisive. Si une filière d'activité peut résister durablement sur son marché domestique à la concurrence mondiale, après la fin des aides et des protections publiques, c'est qu'elle a le potentiel pour aller conquérir une part de marché à l'extérieur. Il n'y a donc d'économie diversifiée qu'économie dont les exportations sont diversifiées.
Cette structure «sophistiquée» des exportations témoigne en arrière-plan de tous le reste : compétitivité industrielle, efficacité des services financiers, niveau des infrastructures, qualité de la formation. Ahmed Ouyahia n'en est pas à sa première sortie archéologique sur un thème contemporain. En 2008, voulant critiquer les assises de l'industrie organisées par Abdelhamid Temmar — le ministre «libéral» égaré dans le suivisme politique du président Bouteflika — Ahmed Ouyahia avait affirmé que le choix des activités à prioriser dans la stratégie de l'Etat ne nécessitait pas une telle prise de tête, et qu'il était simple : «Celles qui ont un plan de charge». Neuf années plus tard, le Premier ministre algérien n'est pas sorti de l'économie municipale.
Les Algériens le savent. Il n'y aura donc pas d'avancées significatives vers la diversification des exportations sous le gouvernement Ouyahia. Une illustration supplémentaire ? Le tourisme. Le Premier ministre reconnaît du bout des lèvres le potentiel de ce secteur pour qu'il devienne «peut-être dans le futur», le poste de revenus en devises de rechange pour le pays. Mais aussitôt il se heurte à son plafond de compétence pour retomber dans la pensée domestique qui borne son horizon. L'Algérie a opéré un spectaculaire rattrapage dans les infrastructures hôtelières depuis dix ans. Les chantiers ouverts dans la filière demeurent importants. «Mais cela ne suffit pas», reconnaît Ouyahia. Il y a aussi le management de l'activité. Pour la rendre utile au pays.
Et là, il attaque les agences de voyage qui ont le tort d'emmener les Algériens à l'étranger et de ne pas ramener d'étrangers en Algérie. Le Premier ministre ne dit pas un mot sur les politiques publiques qui construisent une grande destination touristique en dix ans. Au-dessus du plafond. Exportation de services par l'attraction de millions de touristes étrangers ? Trop complexe. Plus simple de faire de la substitution aux importations de services en taxant fortement les sorties à l'étranger des algériens. Economie de devises et captation de marché. Par l'autorité administrative. Ahmed Ouyahia a déboulé en politique en ponctionnant les fonctionnaires en 1996. 21 ans plus tard, il n'a pas changé sa vision de l'action publique. Il n'a pas appris à créer de la richesse en interaction avec le monde. Il sait ponctionner celle de ses concitoyens avec le sentiment qu'au fond c'est à lui et à la rente pétrolière souveraine qu'ils la doivent. Le paradigme du pouvoir politique algérien n'est pas différent de celui de son Premier ministre. Il est soudé sous un sarcophage idéologique fissuré, pour retarder l'ouverture sur la dangerosité du monde.
Lorsqu'on a construit 30 000 nouveaux lits en moins de dix ans dans l'hôtellerie et qu'on en attend 70 000 autres dans les cinq prochaines années, ont lance une politique de destination comme celle de l'Azerbaidjan, une économie pétrolière qui veut se diversifier. Et dans ce cas, on ne taxe pas ses citoyens qui veulent voyager, on rend gratuit un visa, délivrable en 5 jours aux étrangers qui veulent visiter l'Algérie.
Le ministre de la culture a laissé entendre plus d'une fois qu'il était favorable à la mise en concession des salles de cinéma gérées par les APC dans les grandes villes d'Algérie.
Les bonnes intentions de Azzedine Mihoubi commencent à dater. Sans effets. Une nouvelle génération de films algériens, fruit de coproductions internationales, arrivent en phase d'exploitation en salle. Elles ne trouvent pas de réseau de distribution domestique en Algérie. Salles détenues par les APC et pour la plupart fermées. Une trappe à valeur ajoutée. Confortée par la gestion décennale hyper étatiste de Khalida Toumi (plafond de compétence) qui a empêché l'émergence d'un réseau de multiplex lié à celle des hypermarchés. Les Algériens ne dépensent pas assez en loisirs et culture. Circulez, rien à taxer. Le lancement, jeudi dernier, à la salle Ibn Zeydoun à Alger du long métrage de Karim Moussaoui, En attendant les hirondelles, repose la question de la filière distribution de l'industrie du film en Algérie. Celui-là tient la promesse de réconcilier la production algérienne avec son univers intime. Mais pas de salles pour faire carrière. Qui est responsable ? Le logiciel de l'économie municipale. Il fait tourner les salles de cinéma fermées et le palais du gouvernement bétonné.


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