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Mais dire ce n'est pas faire !
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Publié dans El Watan le 26 - 09 - 2017


Par Salim Guettouchi
Universitaire
Encore une fois, le secteur de l'éducation suscite la polémique et ses responsables font l'objet d'attaques de la part de certains cercles. En effet, après avoir soupçonné et accusé récemment les responsables de ce secteur de vouloir introduire l'arabe dialectal dans l'enseignement notamment pour les publics scolaires du premier palier, les mêmes cercles reviennent à la charge, ces jours-ci, pour crier au scandale en dénonçant, non sans véhémence, la suppression de la formule religieuse la «basmala» de certains manuels scolaires.
Il semble que, cette fois-ci, l'acte est perçu comme étant si grave que la polémique a tourné vite en une levée de boucliers, soulevant ainsi un tollé général et provoquant l'ire d'une certaine classe politique. Les responsables de l'éducation ont franchi, dit-on, le Rubicon. Il faut donc battre le rappel des troupes et mobiliser canaux d'informations, organisations politiques et structures culturelles et religieuses : médias, partis politiques, associations, zaouïas, mosquées, etc. pour mettre un terme à toutes ces actions, jugées comme des «agissements graves», voire comme une «dérive dangereuse» de l'école algérienne.
Cette énième polémique renseigne au moins sur une chose : l'affrontement entre la science et la religion, que le monde développé a dépassé depuis plus d'un siècle, n'est pas près de connaître son épilogue dans notre pays. Le religieux chez nous continue ainsi à se méfier constamment du pédagogue et s'arroge même le droit de juger ses moindres actes. Cette interférence et cette incompréhension sont dues au fait que la transcendance de la pensée et l'inamovibilité des savoirs qui caractérisent l'esprit du premier ne peut s'accommoder avec la vérité relative et l'impermanence des démarches dont se réclame le deuxième.
En effet, contrairement à l'essence religieuse, la science et particulièrement la pédagogie n'a pas honte de remettre en cause ses principes et ses démarches dans l'appropriation des savoirs. Introduire ainsi l'arabe dialectal dans l'enseignement n'est guère une vue d'esprit ou une tentative délibérée pour contrer un quelconque principe religieux. Elle n'est pas non plus une mesure pour concurrencer ou empiéter sur le terrain de telle ou telle langue — entendu par là l'arabe standard. Il s'agit bel et bien d'une recommandation faisant suite à des recherches approfondies en pédagogie.
Enseigner l'élève dans sa langue maternelle, notamment dans ses premières années de scolarisation, est aujourd'hui une nécessité. L'enfant, contrairement à ce que l'on pense, n'est point une feuille blanche lorsqu'il rejoint pour la première fois l'école. Il arrive avec autant de savoirs qu'il a acquis dans et à travers le prisme de sa langue maternelle. Ce sera alors un énorme gâchis si l'on s'entête à écarter ce précieux outil de communication du champ didactique et ne pas s'en servir pour transmettre plus de savoirs et de connaissances.
Mais ce qui reste surprenant et condamnable dans la réaction virulente des adeptes de l'immobilisme, c'est cette ignorance des faits entourant l'école algérienne et surtout cette promptitude à dénoncer une décision jugée sans précédent.
Or, dans la réalité, l'utilisation de l'arabe dialectal dans les salles de cours n'est pas chose nouvelle. Les enseignants de tous les paliers et de toutes les matières — y compris les profs d'arabe — y recourent souvent dans leurs pratiques pédagogiques de classe, et ce, depuis des années. Ils sont même nombreux à en faire une première langue d'enseignement. Il est inutile donc de se voiler la face puisqu'il est bien établi que beaucoup d'enseignants algériens ne se mettent à s'exprimer en arabe standard que lorsqu'ils entendent dans les couloirs du préau le bruit des pas d'un responsable pédagogique, tel le directeur de l'établissement ou l'inspecteur de la matière.
La proposition d'utiliser donc l'arabe dialectal en contexte didactique, si elle venait à être appliquée, ne tendrait qu'à déculpabiliser les auteurs d'une pratique déjà existante. S'élever alors contre une telle décision ne peut être assimilé qu'à un faux procès que l'on fait aux responsables de l'éducation, surtout qu'il n'a jamais été question d'enseigner cette langue en tant que moyen de communication mais de l'utiliser pour enseigner certaines disciplines comme le calcul, l'éducation scientifique et technologique, etc.
L'autre faux procès intenté ces jours-ci aux responsables de l'éducation est relatif à la suppression de la «Basmala» de certains manuels scolaires. Encore une fois, les détracteurs de ce secteur n'ont pas pris le soin de vérifier s'il s'agit bien là d'une première puisque d'anciennes publications scolaires comme les livres d'histoire et de géographie destinés aux élèves de 2e année secondaire ne comportent pas cette formule religieuse. Et pourtant, ils ont été édités en 2010 sous l'égide de l'ex-ministre. Pourquoi alors cette levée de boucliers aujourd'hui ? Il y a donc quelque chose de malsain dans toutes ces réactions virulentes cachant même des desseins inavoués, surtout que la polémique qui s'en est suivie est aussi stérile qu'improductive.
Si nous ignorons, jusque-là, si cette suppression a été prise volontairement ou par inadvertance, il va sans dire toutefois qu'il s'agit, d'un point de vue strictement pédagogique, d'une décision n'ayant aucune incidence sur l'efficience de l'acte éducatif en lui-même.
Les sciences de l'éducation prônent depuis quelques années l'apprentissage par l'acte et non pas par la parole.
«Apprendre c'est faire, on apprend en faisant» ; cette citation est admise par tous les pédagogues qui recommandent ainsi que tout apprentissage doit impliquer une pratique, une activité et un effort. Il y a certes l'importance du désir qui doit accompagner l'acte d'apprendre, mais ce sentiment ne doit en aucun cas être confondu à une prononciation d'une quelconque formule quand bien même religieuse. Aujourd'hui, toute pratique de classe doit répondre à un objectif. L'improvisation, la gratuité des actes et bien entendu les confessions de foi sont donc exclus du champ de la pédagogie.
La prééminence de «faire» par rapport au «dire» est donc patente dans le domaine de la pédagogie. Mais qu'en est-il de la religion, ou plutôt des représentations sociales que l'on construit autour du fait religieux ? Et existe-t-il une dissension d'approche, telle qu'elle pourrait soulever tout ce brouhaha à cause de la suppression de cette formule religieuse ?
La place de la religion dans la société et les représentations que les individus en font diffèrent d'une période à une autre et d'une société à une autre. Entre le Malaisien, le Saoudien et l'Algérien, le fait religieux est différemment appréhendé. Dans notre pays, l'idéologisation de l'islam a fait son chemin depuis quelques années, ce qui explique les grandes difficultés à moderniser cette religion pour qu'elle soit en symbiose avec les valeurs universelles, notamment avec ce triptyque qui garantit le progrès et le développement, en l'occurrence la science, le travail et l'effort.
Et à défaut d'une évolution qui sied au contexte historique d'aujourd'hui, nous sommes tombés dans un gouffre noir, où notre conception du fait religieux est aussi confuse qu'anachronique. L'une des conséquences de cette chute se traduit par tous ces discours et prêches qui valorisent beaucoup plus le «dire» que le «faire». Prononcer telle formule ou telle expression équivaudrait à un tel nombre de «hassanate» (bons points déterminants qui pèseraient lourd au moment du jugement dernier et qui permettraient d'accéder au paradis). Il existe toute une littérature de mots et de formules que l'on doit apprendre et prononcer avant ou après des actes, aussi anodins soient-ils, comme le manger, l'éternuement, le sommeil et même le soulagement d'un besoin.
Il y a lieu de préciser que notre propos ici n'est pas tant de récuser ce genre de pratiques langagières, mais de relever seulement qu'elles sont pompeusement valorisées, à telle enseigne que l'on a fait du musulman un chien pavlovien pour ainsi dire, utilisant sa langue et sa salive pour empocher plus de «hassanate».
Depuis le déclin de la civilisation arabo-musulmane, le musulman vit une situation de désarroi. Face aux difficultés de la vie, il se tourne ainsi vers l'au-delà, vers la vie éternelle. Cela lui permet, pour paraphraser Kamel Daoud(1), de consoler ses infériorités, ses échecs et ses sous-développements.
L'islam est réduit, sous la poussée de l'islamisme, à un marché lucratif d'expressions et de formules religieuses. La réaction des adeptes du «dire» à la suppression de la «Basmala» peut trouver son explication dans toutes ces représentations. Mais si l'Algérien prononce à longueur de journée les «Sobhane Llah», «Aâoudh bi Llah», «hamdou li Llah», «Incha Llah», a-t-il réussi, ce faisant, à élever son sens du désintéressement, d'engagement, d'indignation et de piété ?
L'école républicaine ne peut se substituer à une quelconque autre structure. Sa mission est d'aider l'enfant à se socialiser et à affronter la vie professionnelle. Elle ne peut avoir comme but de le préparer au jugement dernier.
En conclusion, la présente réflexion n'est qu'une réaction à un débat, voire à une polémique qui, normalement, ne devait jamais avoir lieu. Et quelle que soit l'opinion des uns et des autres sur le sujet, il est évident que «dire» ce n'est pas «faire», n'en déplaise à Austin(2) qui, lui, dans son ouvrage Quand dire c'est faire, lui concède toutefois une seule situation d'énonciation.

S. G.

1)- Kamel Daoud, Le fond du problème algérien va au-delà du politique, dans Jeune Afrique, 12 septembre 2017.
2)- J. L. Austin, Quand dire c'est faire, ouvrage publié en 1962 et traduit en français en 1970.


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