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Il faut créer des locomotives qui tireront l'économie vers sa diversification fluide et constante
Latifa Belarbi-Drij. Economiste et experte internationale en développement du secteur privé (approche clusters)
Publié dans El Watan le 29 - 09 - 2017

La politique des clusters, qui a déjà fait ses preuves ailleurs, serait, de l'avis de Latifa Belarbi-Drij, d'un grand apport dans ce cadre. A l'Algérie d'adopter sa démarche pour réussir et de faire sa propre politique pour développer les clusters. Et ce, en assurant certaines conditions, à savoir impliquer le secteur privé et encourager les acteurs locaux.
- En cette conjoncture économique difficile, on parle de plus en plus de la nécessité de diversifier l'économie. Quels sont les moyens les plus appropriés à cet effet ?
Il est dommage qu'on ait attendu d'être dans une conjoncture pareille pour se rendre compte de l'évidence. Il n'y a pas une approche unique pour diversifier l'économie et encore moins pour le faire du jour au lendemain, surtout lorsque notre économie dépend depuis longtemps d'une ressource naturelle. Néanmoins, il est tout à fait possible de repenser l'économie et de prendre des mesures tant au niveau macroéconomique que méso et microéconomiques.
En effet, vous trouverez dans notre rapport Nabni 2020 des mesures détaillées et dans le rapport ABDA des mesures d'urgence dans une approche globale indissociable. Nous procédons actuellement à la publication de papiers courts pour apporter notre pierre au débat sur la diversification justement. Ce qu'il faut retenir, c'est qu'en plus de la gouvernance, il faut créer des locomotives qui tireront l'économie vers sa diversification fluide et constante. Il s'agit d'encourager les secteurs connexes aux ressources hydrocarbures par exemple.
Il est paradoxal que dans un pays où on produit du gaz et du pétrole, on importe les polymères (plastique) et que l'industrie de la plasturgie et du caoutchouc soit timide et peu encouragée. Il n'existe ni plateforme de tests ni machines sophistiquées pour produire des articles qu'on importe dans des volumes importants. Nous exportons du brut et importons du transformé, ce qui nous coûte très cher. En parallèle, il faut bien évidemment encourager la valeur ajoutée dans des secteurs comme l'agroalimentaire, le textile et l'artisanat par exemple.
Il ne s'agit pas de «tout produire» ou d'être autosuffisant, mais de produire ce que nous pouvons produire pour notre consommation et pour l'export. S'il faut importer des tissus parce que nous n'avons pas le savoir-faire ou que ne sommes pas compétitifs face au Bengladesh ou la Turquie, rien ne nous empêche de nous positionner sur le maillon de la chaîne de valeur où il y a le plus de valeur ajoutée : design, qualité, labels et services (marketing, distribution).
Nous pouvons par exemple nous positionner sur la production de vêtements en laine ou en lin naturel avec un design de haute qualité, en sachant que ces deux matières premières sont disponibles en Algérie et très peu valorisées ; ce n'est qu'un exemple qui s'applique à beaucoup d'autres domaines comme le cuir, l'alfa, etc. Bien évidemment, la robotisation est une opportunité pour industrialiser des métiers mécaniques, sans valeur ajoutée et autrefois artisanaux : comme le filage ou le cardage par exemple. Ainsi, les ressources humaines travailleront davantage sur la création de valeur ajoutée, ce qui nous fait défaut aujourd'hui.
- Quid justement du développement des clusters en Algérie ?
Les politiques de développement de clusters sont une approche qui a fonctionné dans beaucoup de pays, même si là encore chaque pays a sa propre expérience, c'est peut-être à nous de faire la nôtre ! Le concept de clusters le plus connu est celui de Michael Porter, rendu célèbre depuis les années 90' et qui souligne l'importance fondamentale de liens et synergies pour la productivité et l'innovation entre les entreprises et les institutions liées.
Un cluster comprend de manière générale : (i) des industries de produits finis ; (ii) des entreprises de la chaîne de valeur (ex : des fournisseurs spécialisés) ; (iii) des prestataires de services spécialisés ; (iv) des entreprises et champions locaux et multinationaux ; (v) certaines industries connexes : ayant un nombre important d'activités, de compétences, de technologies partagées, et des chaînes communes ou des clients communs et bien sûr (vi) des institutions de soutien : finances, formation, recherche, etc.
Un cluster peut être organisé (sous format d'associations par exemple, comme c'est le cas en Italie, pays phare des clusters endogènes avec préservation du savoir-faire local, mais également de districts industriels) ou sans organisation particulière. Mais il reste un groupement d'entreprises existantes. Alors qu'il est difficile de «créer» un cluster ex-nihilo à travers des politiques publiques ; il est recommandé d'accélérer la croissance et renforcer un cluster existant à travers ces politiques publiques.
- Quelles conditions assurer dans ce cadre ?
Les conditions qu'il faut assurer sont nombreuses. Il s'agit notamment d'impliquer le secteur privé et les différents acteurs lors de la conception des politiques publiques, tout en privilégiant les programmes intersectoriels. Des ateliers multi-acteurs permettent cette concertation et ont prouvé plus d'impact et de résultats de court terme. Il est essentiel d'encourager les acteurs locaux et de stimuler certaines régions défavorisées.
Pour autant, cela ne devra pas passer par la conception de programmes locaux «figés» qui ne permettent pas de collaboration entre les régions et empêchent la mobilité des facteurs de production. Des programmes nationaux de clusters peuvent tout à fait être couplés à des mécanismes de financement ciblés (fiscalité, primes de l'innovation...) pour des impacts orientés sans empêcher les interactions endogènes (entreprises locales et entreprises étrangères par exemple).
La formation étant un volet important, il est souhaitable de s'appuyer sur les compétences et les formations proposées localement pour permettre aux clusters de recruter tant à l'international que localement. L'Algérie dispose de plusieurs atouts et des formations de haut niveau pourront être développées selon les besoins. Nous détaillons ces conditions dans notre papier qui peut être consulté dans la rubrique Blog de notre site nabni.org. Les Blogs Nabni ont pour objectif d'ouvrir et nourrir les débats justement.
- Sur quel secteur faudrait-il miser pour réussir les clusters ?
Il y a des méthodes analytiques qui permettent d'identifier les secteurs qui peuvent être porteurs et prometteurs, je pense à des outils comme l'avantage comparatif révélé (ACR en anglais), ou encore l'index de complexité du produit (PCI), mais encore faut-il qu'on produise et qu'on ait une qualité irréprochable en termes de données.
Haussmann, par exemple, a des travaux qui démontrent comment des pays ont fait évoluer leur production au fil du temps mais ces outils permettent de voir cela de manière précise a postériori et peuvent difficilement être utilisés dans des économies comme la nôtre. Cependant, il en ressort que ce qui a permis la diversification dans la plupart des cas, c'est le passage à des productions/produits qui demandent un savoir-faire déjà existant.
C'est de là qu'il faut commencer à mon sens. Je travaille en ce moment sur le développement d'une méthodologie innovante et combinée, qui porte sur des clusters de savoir-faire et de fabrication communs au-delà des secteurs et chaînes de valeur classiques en combinant le savoir-faire local artisanal ou industriel (processus, avec approche terrain), le savoir-faire local unique (RCA et PCI par exemple) et les activités où ce savoir-faire (know-how) peut être plus largement distribué ou converti.
Un exemple concret serait le processus de fabrication des fibres. Il implique une connaissance commune (processus) pour plusieurs secteurs : vibration, défibreur, presse, humidification, étuvage. C'est le même savoir-faire dans plusieurs chaînes de valeur : laine, bois, alfa ou encore le verre avec des savoir-faire très proches dans le câblage également.
Le gain d'opportunités ici porte tant sur l'investissement en machines, en savoir-faire (ressources humaines) que dans la maintenance et la réparation, tout en tenant compte d'une demande internationale en évolution rapide. Cela permet à une économie d'avoir des clusters inter-solidaires sans que ce soit les mêmes chaînes de valeur. Ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres. Avec Nabni, nous prévoyons de travailler sur des plans d'action sectoriels bien ciblés en Algérie.


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