Dans ce retour au bercail, c'est l'initiative entrepreneuriale qui prime. Ce ne sont pas les idées qui manquent dans ce cadre. C'est ce que montre justement une enquête de Aziz Nafa, chercheur au Centre de recherches en économie appliquée au développement (Cread) qui conclut que les TIC, l'ingénierie et le conseil aux entreprises, l'agriculture et l'agroalimentaire sont les secteurs dominants. L'analyse des résultats de l'enquête en question fait apparaître une prédominance du secteur tertiaire avec 65% des projets réalisés, suivi par le secteur quaternaire avec 28% et, en troisième position, le secteur secondaire qui regroupe 7% de l'ensemble. M. Nafa explique cette prédominance par la formation de base des personnes enquêtées, à savoir essentiellement les sciences économiques et de gestion et l'informatique. Un acquis auquel s'ajoute l'expérience professionnelle accumulée dans les pays d'accueil. Cependant, ces connaissances sont souvent sous- exploités par manque de volonté mais aussi en raison des innombrables entraves sur le terrain. Vient en pole position le climat des affaires entachés par les lourdeurs administratives. C'est du moins ce qu'a conclu l'enquête de Aziz Nafa menée auprès de 174 entrepreneurs de la diaspora via 136 questionnaires. «Trop de souffrances» En effet, pour les freins à l'investissement, la bureaucratie, la politique instable et la corruption sont les principaux points soulevés par les entrepreneurs. C'est ce que nous avons également tiré des témoignages recueillis entre succès story, échec et déception. Morgane, la trentaine, une Algérienne immigrée de troisième génération titulaire d'un MBI nourrie en agroalimentaire et dans son enfance par l'amour du pays, est rentrée en Algérie pour lancer une unité de transformation de légumes et de fruits à Oran. Elle était motivée par l'accès au financement et les potentialités dans ce domaine, mais elle s'est finalement retrouvée face à des difficultés. «En plus des blocages administratifs, la ressource humaine n'est pas disponible dans l'agriculture. Il y a un manque de qualifications. Les personnes ayant un vrai savoir-faire sont trop chères et rares», résumera-t-elle, regrettant le fait «qu'on ne laisse pas la diaspora apporter ce qu'elle a appris à l'étranger». Si c'était à refaire «je pense que je n'aurais pas tenté l'expérience, car il y a trop de souffrance et même la santé en pâtit», se plaigne-t-elle. Une réponse similaire émane de Mourad Kolli, directeur général de Kollirama, une entreprise spécialisée dans le rayonnage implantée à Béjaïa dans la localité de Oued Ghir. Mourad expliquera son retour également pour des raisons culturelles et religieuses : «Si j'étais à la place des étudiants voulant partir étudier en France, j'aurais fait pareil.» Une manière de noter que le parcours d'entrepreneur n'est guère facile en Algérie. Pour ce Franco-Algérien, patron depuis 17 ans d'une entreprise familiale lancée en 1996 (elle emploie 50 travailleurs), qui active également au Maroc et en France, c'est plutôt l'absence de culture de création de richesses qui freine tout essor entrepreneurial. «On ne se fait pas d'illusions, deux grandes difficultés bloquent l'investissement en Algérie : l'administration et le rapport qu'ont les gens avec le travail. On est plus dans le laxisme», résumera-t-il. «Ça commence avec la compréhension de l'entreprise. Le problème se pose jusqu'aux hautes sphères de l'Etat. Dès que quelqu'un avance, il y a suspicion. Regardez juste ce qui se passe avec Rebrab, pourtant il travaille», donnera-t-il comme exemple, avant de relater le cas d'un autre immigré recruté comme chercheur et qui a vu son salaire diviser par deux. «On est capable de payer un joueur de foot à 10 000 euros mais pas un chercheur à 5000 euros. Tout simplement, parce qu'on n'a pas envie qu'ils viennent. Si l'Etat faisait l'effort de garder le même salaire, ils seraient restés», poursuivra-t-il, pour rappeler que ceux qui choisissent le retour, ce sont plutôt les entrepreneurs qui sont entre les deux rives et souvent dans le transnational. Le cas de Mourad, tout comme celui de Morgane, est à inscrire parmi ceux déçus par les conditions d'accueil. «Se plier aux exigences algériennes» Contrairement à eux, en dépit des couacs du terrain, Sophienne Aubry, ce Franco-Algérien de 36 ans né à Paris et a vécu à Aïn Taya jusqu'à l'âge de 12 ans pour repartir par la suite avec ses parents en France (pour fuir le terrorisme des années 90) est différent. Certes, il relèvera tout comme les précédents exemples la complexité des affaires en Algérie avec comme point commun les blocages administratifs, mais il affichera sa ténacité. «Beaucoup de gens sont repartis face aux entraves. Je suis tenace», confiera le patron de Jumia Algérie, un site de vente en ligne, qui a réussi à bien se placer dans le e–commerce. Racontant son périple, il dira : «J'ai sillonné le monde, je me suis dis pourquoi pas l'Algérie mon pays d'origine. Je suis venu en 2011 avec plein d'idées novatrices, je suis resté six mois. J'ai eu la chance d'être très bien orienté. J'ai rencontré les bons relais. Au bout de quelque temps et après moult contacts, j'ai opté pour un projet de partenariat en lançant avec les allemands Jumia Algérie vers la fin 2014 après un long périple», racontera Sophienne, en précisant : «Il faut se plier aux exigences algériennes. Le processus n'est pas si compliqué que ça. Il est juste illisible. Mais entre 2011 et 2017, il faut reconnaître qu'il y a eu des évolutions. Ce qui devrait libérer les énergies entrepreneuriales». S'affichant optimiste, Sophienne, qui est également cofondateur du site d'éducation en ligne iMadrasa, ne manquera pas de relever : «L'Algérie est une terre d'opportunités. Il y a beaucoup de choses à construire. Il faut être positif.» Un esprit qui encourage le n°1 de Jumia Algérie à penser à d'autres projets. Pourvu que les difficultés soient levées, à l'image de la disponibilité de la ressource humaine. Car pour l'heure, pour faire face à ses besoins, l'entreprise, présente dans 43 wilayas et qui emploie 150 personnes, a du mal à recruter. «On est obligé d'assurer des formations internes», nous confiera-t-il, pour dire qu'en Algérie, il y a beaucoup plus de travail à faire par rapport à d'autres pays pour réussir son projet. Ce qui constitue une perte de temps pour les entrepreneurs. Une situation dans laquelle se retrouvent également les opérateurs nationaux. Là, c'est toute la question du climat des affaires à prendre en charge. Idem pour le cadre de vie. Lequel freine, selon les témoignages, le retour de nos émigrés. «Nous nous sentons souvent différents de ceux qui ne sont pas partis. Il n'y a pas cet écosystème contrairement au Maroc. Mais on y travaille, on a notre réseau et on se retrouve régulièrement. On aide même ceux qui veulent rentrer en Algérie», conclura Sophienne Baudry.