Le conférencier a commencé son intervention en présentant des chiffres alarmants quant à la sécurité alimentaire, rappelant que «l'Algérie est le deuxième importateur mondial de lait après la Chine», tout en soulignant que notre pays importe en produits alimentaires une valeur de 11,5 milliards de dollars pour 40 millions d'habitants seulement alors que tout le continent africain importe, pour ses 600 millions d'habitants, une valeur de 35 milliards de dollars». M. Benadjila a regretté cet état de fait qui s'aggrave, selon lui, en raison de la baisse des capacités de production : «L'Algérie d'aujourd'hui ne nourrit même pas la population de 1962, en plus, nous avons perdu en rendement à l'hectare et la surface agricole utile par habitant est à 0,12 hectare». Pour le spécialiste, cette situation est due à plusieurs paramètres, dont la mécanisation incontrôlée et le manque de formation. Il explique : «Il faut savoir que la pluviométrie n'intervient qu'à hauteur de 40% dans les rendements, le reste est surtout une question de maîtrise. Par exemple, nous perdons jusqu'à 40% des blés à la moisson en raison de la non- maîtrise des moissonneuses, alors que celles-ci doivent être réglées à différents moments de la journée et d'un espace à l'autre. Je donne cet exemple car un conducteur de moissonneuse doit suivre une formation, en France par exemple, qui dure une année. En plus, nous avons dégradé les sols à cause de l'utilisation des machines. Il faut savoir qu'un millimètre de terre perdu met des dizaines d'années à se reconstituer.» Pis encore, l'expert agronome, qui a élaboré plusieurs rapports pour des organismes internationaux, s'inquiète de la venue des multinationales qui risquent de reproduire les mêmes expériences qu'en Arabie Saoudite, où les terres ont été saturées d'engrais et de pesticides, augmentant les rendements à l'hectare pendant deux ou trois années seulement, et ensuite abandonnées. Il détaille : «Les engrais chimiques sont un piège, car ça nous oblige à utiliser des pesticides par la suite, ce qui finit par tuer la vie dans la terre, à savoir les vers et autres insectes et champignons vitaux pour la qualité des sols. Les multinationales surexploitent les sols en les transformant en fabriques, une sorte d'industrialisation qui écourte la longévité des terres. Ces entreprises sont là pour se faire de l'argent et rapidement. Elles finissent par partir en laissant des sols dégradés et épuisés. Je ne sais pas pourquoi le forum des chefs d'entreprises est allé chercher des investisseurs en Europe, ou pourquoi les Américains sont-ils sollicités pour investir dans les Hauts-Plateaux, alors que les techniques qu'ils apportent sont décriées dans leurs pays.» Comme solution, M. Benadjila préconise le retour aux techniques ancestrales et à l'agro-écologie : «Il faut savoir que les techniques agro-écologiques prônent la diversité dans la biomasse et l'utilisation des semences adaptées au climat et au sol. C'est ce qu'on appelle ‘‘l'agriculture écologiquement intensive'', qui consiste à utiliser moins d'engrais, pas de pesticides, à consommer moins d'eau et surtout moins d'énergie fossile, donc revenir aux techniques anciennes et nous avons suffisamment d'expériences locales en Algérie, comme l'agriculture oasienne, qui a fait ses preuves durant des centaines d'années dans un des climats les plus extrêmes.» En somme, Sofiane Benadjila fait de la sécurité alimentaire une priorité et un droit collectif que les politiques de l'Etat doivent défendre en assurant une agriculture durable à travers la promotion de ‘‘l'agriculture écologiquement intensive'' tout en préservant les sols en disant non aux multinationales.