Sofiane Benadjila, diplômé de l'Ecole nationale supérieure agronomique (Ensa), est un homme de terrain. Très tôt, l'ingénieur agronome s'est investi dans la production et l'élevage (de caprins), en s'impliquant également dans l'étude, le conseil et le soutien à la production, dans le système oasien et les périmètres de mise en valeur. Liberté : L'Algérie a célébré récemment la Journée mondiale de la biodiversité. Quels sont, d'après vous, les enjeux de la biodiversité et de l'écologie des écosystèmes des zones arides, semi-arides et sahariennes, dans un pays comme le nôtre ? Sofiane Benadjila : La diversité du vivant exprime la richesse du potentiel biologique dans la nature. Les milieux désertiques sont naturellement pauvres dans leur diversité biologique, mais ils se distinguent par la richesse d'un fort taux d'endémisme dû à l'isolement géographique. La biodiversité naturelle et celle cultivée sont l'héritage de la sélection imposée par l'aridification du Sahara. Dans les deux cas, elle constitue le socle biologique qui permettra de faire face à la croissance des pressions climatiques. Pour les populations sahariennes, l'agro-biodiversité se niche dans les oasis. On a constaté que les agrosystèmes oasiens sont en train de dépérir sous les effets de la pression démographique, d'une urbanisation non contrôlée, d'absence de projets de développement cohérents. La richesse de la flore a fait des zones steppiques, le foyer ancestral de l'élevage ovin. Là aussi, l'extension humaine s'est faite au détriment de l'environnement. Mais, on retiendra que c'est surtout le surpâturage, les labours sauvages des terres ayant un potentiel agricole (destruction des plantes ligneuses, érosion...) qui exercent la plus forte empreinte écologique. Généralement, toutes les structures écosystémiques sont ébranlées, certaines se sont effondrées, d'autres sont en voie de l'être. Mais, ceci a un coût économique, car il est certain que la relation trophique hommes-nature s'est rompue ; il reste à savoir dans quelle mesure le processus peut être inversé et à quel prix. Vous avez déclaré en 2014 que l'Algérie n'a pas assuré sa sécurité alimentaire. Avez-vous changé d'avis depuis ? Je crois que c'est surtout la lecture des chiffres qui permet à un technicien d'interpréter la réalité de façon objective. La dépendance alimentaire de l'Algérie ne fait que croître depuis le milieu des années 1970, et les chiffres restent accablants. À ce jour, l'agriculture de demain n'a pas encore été définie. En partant du principe que la nature prête mais ne donne jamais, nous sommes amenés à nous demander si nous avons toujours les capacités de répondre à la demande alimentaire d'aujourd'hui et de demain, ce qui n'est pas du tout évident. Il faut faire l'état des lieux pour pouvoir apprécier ce qu'il reste d'une longue exploitation minière, à la limite immature et irresponsable des ressources naturelles. Comparée à l'Algérie de 1962, il est clair que le potentiel du pays a chuté, puisque l'économie rentière n'a rien préservé et pratiquement rien bâti. On pourra juste constater que la capacité du territoire à supporter nos activités (biocapacité) aurait diminué par 6 en espace de 50 ans ! L'agro-écologie constitue-t-elle alors une alternative pour l'Algérie ? Contrairement à l'approche de la révolution verte, les techniques agro-écologiques prônent l'utilisation des semences les plus adaptées au climat et aux sols du terroir. De par le monde, l'approche agro-écologique, appelée révolution doublement verte (agriculture écologiquement intensive), semble s'imposer comme l'alternative unique à l'agriculture de demain. Face aux besoins croissants d'une population qui n'a pas encore fait sa transition démographique, il faudra créer en effet une agriculture qui produit plus, avec moins d'engrais, moins d'eau, moins de pesticides, moins d'énergie fossile... L'Algérie a tout intérêt à prendre le bon choix, tout en sachant qu'elle devra se lancer dans un développement agricole sous contraintes, où la réflexion dans un contexte d'abondance des ressources fossiles du XXe siècle, paraît obsolète, sinon suicidaire. Dernièrement, vous avez révélé que l'agriculture oasienne est un "héritage sûr pour un futur incertain". Que voulez-vous dire au juste ? Oui, c'est un héritage au sens propre du terme qui est sûr, du fait de sa conception agrobiologique ancestrale, et qui a montré sa durabilité par l'épreuve du temps, dans des conditions climatiques extrêmes. Contrairement aux autres agrosystèmes paysans, l'isolement géographique les pousse par-delà l'autosuffisance à aller vers l'autarcie. C'est aussi une ingénierie éco-centrée, qui implique une activité socioéconomique en boucle ou circulaire, dont le monde a besoin, pour répondre au défi alimentaire du XXIe siècle.