Ancien membre du Conseil constitutionnel, ex-premier président de la Cour suprême et député membre de la commission juridique, Azouz Naseri a déclaré, dans l'entretien qu'il nous a accordé, qu'il y a un grave problème de contrôle interne au niveau des banques publiques. Selon lui, la justice peut être la solution aux dilapidations des deniers publics, à condition de lui donner les moyens d'agir. La loi 01-06 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption a revu à la baisse les peines encourues en matière de détournement de deniers publics, laissant apparaître un déséquilibre entre les sanctions pénales et les montants ayant été détournés des banques publiques. Quel est votre avis ? Les détournements de deniers publics ne sont pas nouveaux. C'est un phénomène qui a toujours existé. La seule différence entre avant et aujourd'hui, ce sont les montants détournés, lesquels ont atteint des seuils effarants. Ce qui est intrigant, c'est que ces derniers sont détournés au moment où les banques sont engagées dans la réforme financière. Cela veut dire que le contrôle est tellement efficace qu'il est impossible de revivre les scénarios des détournements au niveau des banques durant les années 1980 et 1990. Je pense que nous n'avons pas tiré les enseignements des nombreux scandales, d'autant qu'ils ont secoué toutes les banques. Pourtant, les auteurs de ces dilapidations utilisent les mêmes opérations d'escroquerie et, à chaque fois, la seule réaction vient de la justice... S'agit-il de complicité ou de négligence de la part des banquiers ? Les deux en même temps. Les mécanismes de prévention au niveau des institutions bancaires devraient normalement clignoter au rouge lorsqu'il y a une toute petite opération financière douteuse. Qu'en est-il ? Pourquoi les inspections de contrôle ne décèlent rien ? Il y a un grave problème de contrôle interne dans nos banques. Ne pensez-vous pas que la justice peut jouer un rôle dans la répression de ce phénomène ? Ce phénomène ne peut être réglé par la justice parce que celle-ci vient en aval. L'Etat doit revoir ses instruments de contrôle, qui eux-mêmes doivent être également contrôlés. Vous avez beau avoir la meilleure loi qui puisse exister sur terre pour lutter contre les détournements, la dilapidation et la corruption, mais lorsque la complicité gangrène le dispositif de contrôle, vous ne pouvez absolument rien faire. C'est la situation dans laquelle nous sommes aujourd'hui. Il est important aussi de noter qu'au-delà de la responsabilité et de la sanction pénale, c'est la crédibilité de l'Etat et, à travers lui, celle de toutes les banques qui est engagée dans ces scandales. Il est anormal que la Banque d'Algérie continue à se cacher derrière des textes pour justifier l'injustifiable. Comment n'a-t-elle pas pu remarquer que les mêmes biens sont hypothéqués plusieurs fois pour servir à des octrois de crédits ? Pourquoi n'a-t-elle pas réagi au recours systématique aux opérations de cavalerie ? Autant de questions auxquelles à chaque fois nous ne trouvons pas de réponses. Pensez-vous que l'allègement des sanctions pénales en matière de délits économiques puisse être un moyen de répression de la corruption et de la dilapidation des deniers publics ? Lorsque le débat a été ouvert autour de la nécessité de lutter contre la corruption et les détournements des deniers publics, tout le monde s'attendait à ce que le projet de loi qui allait être présenté comporterait des sanctions à la hauteur de la gravité des faits. N'oublions pas que ce débat est intervenu au moment où l'opinion publique apprenait avec stupéfaction les scandales en série ayant éclaboussé les banques, occasionnant des préjudices financiers énormes. Le contexte dans lequel a été préparée la loi relative à la prévention et la lutte contre la corruption est très particulier. L'Algérie est parmi les 130 premiers Etats à avoir signé la convention internationale de lutte contre la corruption, avant d'être parmi les rares pays à l'avoir ratifiée. Pour adapter ses textes à ce nouvel instrument, elle a élaboré la loi 01-06 de prévention et de lutte contre la corruption. Il est important de rappeler que les pays connus comme étant les plus grands corrupteurs, ou des paradis fiscaux comme les Etats-Unis d'Amérique, la Suisse, la France ou l'Allemagne n'ont pas ratifié la convention. Cet instrument juridique a été intégré dans notre dispositif réglementaire à travers justement une loi spéciale pour les crimes économiques, devenus des délits, pour lesquels les peines encourues ont été adoucies. C'est vrai que tout le monde s'attendait à une plus grande sévérité, même si les faits ont été correctionnalisés. Cela n'a pas été le cas. Les dispositions du code pénal étaient plus complètes, notamment l'article 119. Ce dernier consacrait les sanctions selon le niveau des montants subtilisés. Ainsi, si vous détournez une somme de moins de 1 million de dinars vous risquez de 1 à 5 ans de prison. Si la somme détournée est comprise entre 1 et 5 millions de dinars, vous encourez une peine de 2 à 10 ans de prison. Mais dans le cas où vous subtiliseriez un montant compris entre 5 et 10 millions de dinars, vous risquez une réclusion de 10 à 20 ans et enfin si vous détournez une somme égale ou supérieure à 10 millions de dinars c'est la perpétuité assortie d'une amende de 50 000 à 2 millions de dinars. Cet article a été amendé par la loi 01-06 qui prévoit de 2 à 10 ans d'emprisonnement assortie d'une amende comprise entre 200 000 et 1 million de dinars quel que soit le montant détourné. Ces peines sont aggravées (article 48 de la loi) lorsque les coupables sont des magistrats, des fonctionnaires occupant des postes supérieurs de l'Etat, officiers publics, agents ou greffiers de la police judiciaire ou ayant des prérogatives de la police judiciaire ou du greffe. Est-il juste que cette loi condamne à la même peine celui qui vole 10 000 DA et celui qui détourne 100 milliards de dinars ? Cette loi, il faut le reconnaître, comporte une lourde faille. Nous n'avons pas suffisamment débattu l'article 119 bis du code pénal qui a été fondu dans l'article 30 de la loi sur la prévention et la lutte contre la corruption. Cette loi, en plus de détournement, punit la soustraction des biens publics et leur usage illicite de 1 à 10 ans d'emprisonnement et 1 million de dinars d'amende. Vous remarquerez que ces peines sont de loin plus douces que celles prévues par les anciennes dispositions du code pénal. Des circonstances aggravantes ont été prévues néanmoins pour les coupables s'il s'agit de fonctionnaire occupant des fonctions supérieurs de l'Etat ou de magistrat. Ces dispositions ne s'appliquent pas aux particuliers coupables. Le cas, par exemple, des banquiers auteurs ou complices des détournements est très intéressant, parce qu'il illustre assez bien les failles qui entachent la loi 01-06. De plus, les peines encourues sont, de l'avis de tout le monde, très douces par rapport au préjudice subi. Il y a aussi une contradiction dans la loi 01-06 en matière de prescription. Si les délits économiques sont imprescriptibles en général, la nouvelle loi limite à dix ans la prescription lorsque les coupables sont des agents publics. Etes-vous d'accord avec les juristes qui estiment inefficaces les mécanismes de récupération des biens détournés prévus par la loi 06-02 ? Je vous rappelle que l'on ne peut régler les problèmes de détournement avec uniquement la justice. Il faut prévoir des mécanismes de contrôle efficaces. Comment des sommes aussi colossales puissent être prises d'un compte d'un fonds algéro-koweïtien, pour être mise dans un autre compte, et par la suite disparaître dans la nature ? La facilité avec laquelle ces sommes ont été détournées est inimaginable. Si je reviens aux mécanismes de récupération des biens détournés, la loi a prévu des dispositions assez importantes, mais elles ne peuvent être mises en jeu qu'avec les pays ayant ratifié la convention internationale et avec lesquels il existe une convention bilatérale. Avec ces pays, la loi permet de geler les avoirs et de saisir les biens acquis avec l'argent détourné pour peu qu'une procédure civile soit engagée. Il est aussi important de préciser que la loi 01-06 permet de confisquer les biens des parents proches ou ascendants, s'il est prouvé qu'ils les ont acquis avec les fonds détournés. Pour en terminer, il faut relever que cette loi comporte des dispositions très intéressantes, mais elle mérite d'être revue et corrigée pour permettre une lutte plus efficace.