Un rapport sur le Conseil constitutionnel sera transmis au chef de l'Etat. Le président du Conseil constitutionnel est enfin sorti de son mutisme pour s'exprimer sur certains avis controversés que l'institution qu'il dirige a eu à prendre ces derniers mois. Notamment depuis sa nomination par le chef de l'Etat. L'entretien que Mohamed Bedjaoui a accordé à notre confrère El Watan dans son édition d'hier offre une lecture intéressante sur des questions restées jusque-là ambiguës. L'ex-juge international de La Haye s'en est tenu à la justification des décisions rendues publiques par le Conseil. Il veut convaincre de la justesse — ou plutôt de la conformité — des avis émis ces derniers temps. Seulement, depuis son arrivée à la tête de l'institution, Bedjaoui refuse d'assumer le passif, c'est-à-dire le bilan de son prédécesseur. Dans cet entretien, l'ancien président de la Commission de surveillance des élections présidentielles d'avril 1999 tente de relever les imperfections constatées dans le fonctionnement du Conseil constitutionnel. À propos de la validation des élections en Kabylie où le taux de participation enregistré est faible, pour ne pas dire insignifiant, Bedjaoui a eu ces propos lourds de signification : “(…) J'ai ressenti un grand désarroi lorsque j'ai constaté que ni la Constitution ni la loi relative aux élections n'avaient prévu le cas où, comme en Kabylie, le taux de participation électorale était très faible.” Un aveu d'impuissance face au vide juridique et constitutionnel. Il a, toutefois, trouvé un argument pour justifier la décision prise par le Conseil en affirmant : “Aucun texte ne subordonnait la validation d'une élection à un niveau minimal de participation.” La question qui se pose est de savoir pourquoi Bedjaoui n'a pas proposé au premier magistrat du pays l'invalidation du vote à partir du moment où le taux de participation aux élections législatives comme aux locales ne reflétait pas l'expression de la majorité. La Constitution est pourtant claire dans son article 7 : “Le pouvoir constituant appartient au peuple. Le peuple exerce sa souveraineté par l'intermédiaire des institutions qu'il se donne.” La situation inédite provoquée par le boycott populaire massif — un dilemme constitutionnel grave — aurait pu inciter les membres du Conseil à envisager une autre formule que la validation du scrutin dans cette région. Au lieu de se pencher sur ce casse-tête chinois, Bedjaoui a préféré imputer la responsabilité au législateur et à la Constitution. Plus, il reconnaît implicitement son erreur en avouant : “Peut-être aurais-je dû là aussi ouvrir un débat avec le public pour expliquer que je n'étais qu'un malheureux bouc émissaire et qu'il fallait compléter les textes.” Dans l'entretien, le président du Conseil constitutionnel a, par ailleurs, émis le vœu que la saisine du Conseil soit élargie aux “députés minoritaires et à de simples citoyens”. En fin de compte, il a annoncé qu'un rapport complet sera transmis au chef de l'Etat sur la situation de l'institution qu'il dirige. En filigrane, Bedjaoui propose une rapide révision de la Constitution adoptée par le peuple le 28 novembre 1996, la seule loi à l'élaboration de laquelle il n'a pas participé. Il le dit clairement : “Il est vrai que l'adoption de certaines mesures ne dépend pas du chef de l'Etat, mais requiert une révision partielle de la Constitution.” L'un des rédacteurs de la Loi fondamentale de février 1989 veut se donner les moyens nécessaires pour mettre en place un Conseil constitutionnel rénové. Et pourtant, à décortiquer les propos de Bedjaoui, on en déduit que le conseil qu'il préside fonctionne bien et remplit sa mission, puisqu'il va jusqu'à démentir l'existence des interférences du pouvoir politique dans la prise de décision : “Ce que je peux vous dire est que ce Conseil constitutionnel n'est à la solde de qui que ce soit.” Clair, net et précis. Pourquoi donc cette institution, garante de la constitutionnalité des lois, attend-elle pour agir d'être saisie par le président de la République sur un dossier ? Toute la question est là. M.A.O.