Cantonné au pied du mont Asfour et surplombant le territoire marocain, Béni Snous, un îlot amazigh de l'extrême ouest algérien, est perpétuellement trempé dans le mythe… «Nous n'avons pas de revendications identitaires, encore moins linguistiques, quoique identité et langue se confondent», prévient Ali Abdoun, metteur en scène de théâtre et auteur d'un documentaire sur le lien culturel et la résistance de la population snoussie pendant la guerre de Libération. Et de s'interroger : «Pourquoi faut-il en avoir ?» Et là est toute la question. Béni Snous, contrée de savants illustres, composée de douze hameaux, dort sur des vestiges datant de 12 siècles. Une civilisation dont les habitants sont toujours imprégnés. «Nous sommes une des rares populations au Maghreb à fêter encore Ayred (le lion en berbère zénète) et le calendrier berbère. Une tradition qui remonte à la nuit des temps.» Retour en arrière : 950 avant Jésus Christ, Chachnak, Berbère, sort victorieux d'une bataille contre Ramsès et se voit intronisé pharaon. Dès lors, les Berbères ne pouvaient que fêter cette victoire en désignant cette date comme le premier jour du nouveau calendrier amazigh coïncidant avec le 11 janvier du calendrier grégorien. Et tous les ans, les Amazighs de Béni Snouss célèbrent Yennayer et Ayred. Une tradition basée sur la préparation des mets particuliers (berkoukès, beignets et crêpes) et des spectacles nocturnes, consistant à reproduire une histoire mythologique. Une reconstitution célébrée tous les ans avec les mêmes ferveur et passion. Mais en fait, qu'est-ce que Ayred ? En plus des victuailles, les habitants, réunis en groupes de neuf personnes toutes déguisées avec des masques représentant des animaux, passent d'une maison à l'autre. Le lion est tiré à l'aide d'une chaîne. Le guide, accompagné de ses acolytes, muni d'un drapeau, frappe aux portes des maisons. Au cas où le ou la propriétaire n'ouvre pas, les participants entonnent : «La jarre est cassée et la maîtresse de maison est répudiée.» Si la porte est entrouverte, le lion entre, suivi de ses compagnons au son de la «ghaïta» (sorte de flûte) et du «bendir» chantonnent : «Ouvrez vos portes, nous sommes venus !» Le lendemain, les rôles joués par les différents protagonistes ne sont pas dévoilés. Sûrement par souci de pudeur, de discrétion… Mais au fond, tout cela n'est qu'un jeu. La morale de ce carnaval, c'est la solidarité, parce que la tournée nocturne du groupe déguisé consiste à récolter des fruits, des légumes et de l'argent qui seront distribués aux nécessiteux de la région. L'artiste Mustapha Nedjaï, auteur d'un livre-album sur Ayred, justifie son intérêt pour cette tradition. «J'ai fait ce beau livre par amour. Ce n'est qu'un regard admiratif d'un artiste pour cette fête qui m'a subjugué. Les masques utilisés sont le signe d'une créativité incroyable. Ils sont impressionnants et d'une beauté esthétique.» Pour éviter toute équivoque, Abdellah N., militant d'un parti politique, est très clair. «Nous gardons nos traditions ancestrales, mais notre langue a tendance à disparaître dans notre région. Si les vieux continuent à l'utiliser aisément entre eux, les jeunes, qui en comprennent des bribes, ont du mal, en revanche, à en former des phrases. Vous savez, même quand le ministère de l'Education a programmé des salles de classe dans certaines écoles pour l'enseignement volontaire de tamazight, aucun de nos élèves ne s'y est inscrit. Aucun parent n'a incité son petit à le faire. Que signifie programmer des cours volontaires d'une langue si ce n'est reconnaître subtilement qu'elle est minoritaire ; or, on n'a pas besoin de nous le rappeler, puisque nous savons que de par cette langue, nous sommes minoritaires ? Ce statut n'est pas un handicap, parce que dans ce monde, on n'a pas besoin de langue particulière pour être compétent, nationaliste, humain et juste…».