Les victimes civiles algériennes, durant la Guerre de libération nationale, ainsi que leurs ayants droit peuvent désormais demander une pension à l'Etat français, au même titre que les victimes civiles de nationalité française. «C'est une grande victoire pour mon client et pour toutes les victimes civiles algériennes qui ont subi les violences de la Guerre d'Algérie», nous a déclaré l'avocate Jennifer Cambla, en réaction à la «Décision n° 2017-690» du Conseil constitutionnel français, rendue publique hier, portant la censure des mots «de nationalité française» qui figuraient dans le 1er alinéa de l'article 13 de la Loi n° 63-778 du 31 juillet 1963. En effet, ledit texte de loi prévoit : «Sous réserve de la subrogation de l'Etat dans les droits des victimes ou de leurs ayants cause, les personnes de nationalité française ayant subi en Algérie depuis le 31 octobre 1954 et jusqu'au 29 septembre 1962 des dommages physiques du fait d'attentat ou de tout autre acte de violence en relation avec les événements survenus sur ce territoire ont, ainsi que leurs ayants cause de nationalité française, droit à pension». Or, lors de sa séance du 7 février 2018, sous la présidence de Laurent Fabius, le Conseil constitutionnel a déclaré «contraire à la Constitution» la condition de nationalité, considérée comme étant non conforme aux droits et libertés que la loi suprême du pays garantit. Les «sages» ont jugé «d'une part, que le législateur ne pouvait, sans méconnaître le principe d'égalité devant la loi, établir, au regard de cet objet de la loi, une différence de traitement entre les victimes françaises et celles, de nationalité étrangère, qui résidaient sur le territoire français au moment du dommage qu'elles ont subi. D'autre part, l'objet de la pension servie à l'ayant droit étant de garantir à celui-ci la compensation de la perte de la pension servie au bénéficiaire décédé, le législateur ne pouvait établir, au regard de ce même objet, une différence de traitement entre les ayants droit selon leur nationalité». La QPC Ainsi, selon Me Cambla, cette disposition déclarée inconstitutionnelle «sera abrogée dès que la décision du Conseil constitutionnel est publiée dans le Journal officiel de la République française». Avocate au barreau de Rennes en Bretagne (ouest de la France), c'est elle qui est à l'origine de ce verdict historique, après des démarches juridiques entamées en 2015 au profit de son client Abdelkader K. Ce ressortissant algérien, résidant à Bordeaux (sud-ouest de la France), avait demandé une pension au ministère français de la Défense en tant que «victime civile de la Guerre d'Algérie, ayant subi des violences liées à ce conflit». Sa demande d'indemnisation a essuyé le refus de l'autorité concernée sous prétexte qu'il n'était pas Français au moment des faits. «J'ai alors déposé, en 2016, un recours auprès du tribunal compétent à Bordeaux, comportant ce qu'on appelle une Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée au Conseil d'Etat, qui avait saisi, à son tour, le Conseil constitutionnel, le 23 novembre 2017», explique Me Cambla. La QPC portait justement sur la conformité à la Constitution des dispositions de «l'article 13 de la loi du 31 juillet 1963 de finances rectificative pour 1963, dans sa rédaction résultant de la loi du 26 décembre 1964 portant prise en charge et revalorisation de droits et avantages sociaux consentis à des Français ayant résidé en Algérie, modifiée par la décision du Conseil constitutionnel n° 2015-530 QPC du 23 mars 2016». A partir de la date où l'article modifié prendra effet, créant un nouveau cas de jurisprudence, les Algériens et les citoyens d'autres nationalités auront le droit «à une pension en cas de dommage physique du fait d'attentat ou de tout autre acte de violence en relation avec les événements de la guerre d'Algérie». Conditions Plus précisément, concernés par ce droit les décès ou les infirmités résultant de : 1- blessures reçues ou d'accidents subis du fait d'attentat ou de tout autre acte de violence durant la période définie ; 2- maladies contractées du fait d'attentat ou de tout autre acte de violence ; 3- maladies contractées ou aggravées du fait de mauvais traitement ou de privations subis en captivité. En plus de donner des preuves irréfutables sur l'existence d'un dommage lié à la guerre, deux conditions sine qua non pour prétendre bénéficier d'une telle pension par des victimes ou leurs ayants droit : premièrement, avoir résidé sur le territoire algérien où les faits sont survenus entre le 31 octobre 1954 et le 29 septembre 1962 ; deuxièmement, ne pas avoir «participé directement ou indirectement à l'organisation ou à l'exécution d'attentats ou d'autres actes de violence en relation avec les événements dont il s'agit ou ayant incité à les commettre». Ce qui exclut d'office de ce droit les acteurs du conflit des deux pays : du côté algérien, les militants ou sympathisants du FLN, les soldats de l'ALN et les membres de leurs réseaux de soutien. Du côté français, les militaires et les miliciens coloniaux (groupes civils d'auto-défense, militants et sympathisants de l'OAS, etc.). Enfin, à la lumière de la lecture du dernier paragraphe de l'article sus-nommé, les demandes des Algériens, ainsi que celles des prétendants d'autres nationalités autres que française seront traitées au cas par cas, selon les «règlements d'administration publique». Ceux-là détermineront les dispositions nécessaires à son application et «fixeront en outre les conditions dans lesquelles certaines personnes ne possédant pas la nationalité française pourront être admises au bénéfice des dispositions du présent article».