Les habitants de la capitale ont dû être étonnés hier de voir un déploiement hors du commun du dispositif de sécurité autour des établissements publics et des administrations. Une ampleur d'intimidation et de répression inégalée aussi bien par les effectifs et les moyens mobilisés que par les pratiques peu communes : contrôle d'identité des passants, voire des automobilistes, avec pour objectif très certainement de décourager tout regroupement, toute manifestation, suite à l'appel à la grève générale à travers le pays lancé par plusieurs syndicats autonomes. Hier, on a vu des moyens, souvent des plus perfectionnés, sortis par les services de sécurité pour, selon l'expression en vogue dans les milieux de la police, faire face à la «gestion démocratique des foules». Une gestion de la matraque, plutôt, comme ce fut le cas au début de la grève des médecins résidents. Mais la détermination et l'opiniâtreté des «toubibs» ont eu raison de l'inconsistance des pouvoirs publics et de leur attitude timorée qui ne peuvent conduire qu'au pourrissement du conflit. Lundi dernier, pour la première fois depuis la proclamation de l'état d'urgence, on a manifesté à Alger jusqu'au siège de l'Assemblée populaire nationale. C'est certainement pour ne pas assister à une réédition de cet exploit que les services de sécurité ont été instruits à déployer autant de zèle. Pour le pouvoir, Alger doit rester à l'abri des tumultes du front social de la contestation que l'on vit en ces débuts de l'année 2018. Mais à force de tout vouloir baliser dans le quotidien des Algériens, ce pouvoir exsangue, en déficit de légitimité et en perte de crédibilité au jour le jour, donne l'impression d'un profond désarroi, de confusion totale, de manque de visibilité et d'absence de perspectives. Une situation qui n'a fait que s'accentuer depuis la maladie du président Bouteflika et son absence de facto de la scène nationale. Ce désarroi, cette panique face à des situations qui le dépassent parce que trop longtemps hors course, conduit par exemple l'Exécutif, aujourd'hui tétanisé, outre le recours à la force, à envisager de fausses solutions, des concessions, des reculs face aux coups de boutoir de milieux extrémistes, comme on a pu le voir dans le secteur de l'éducation, qui en profitent pour enfoncer un coin contre la tentative de la ministre, Mme Benghabrit, d'adapter le secteur aux normes de la rationalité et du progrès. Privée de la solidarité gouvernementale dans sa tentative de sortir l'école du marasme dans lequel l'ont plongé l'obscurantisme et la régression, elle se voit aujourd'hui d'accepter la médiation d'un imam dans un conflit professionnel et syndical ! De quoi se perdre en conjectures devant l'irruption du religieux dans la sphère publique chez nous en espérant que cela ne fasse pas tache d'huile dans d'autres secteurs, au point (que) l'imam d'El Hadjar ou de Annaba s'inviter aux futurs conflits syndicaux éventuels, pourquoi pas ? Cela au même moment où dans des pays théocratiques, comme l'Arabie Saoudite par exemple, le régime cornaqué par le prince héritier Mohammed Ben Salmane affiche son intention de se démarquer du salafisme et de prendre ses distances vis-à-vis du wahhabisme, donc une forme de sécularisation du royaume. Chez nous, on a choisi une démarche à contre-courant de l'histoire.