Encore une fois, les écoles et les lycées ont observé hier une grève de deux jours à l'appel de l'Intersyndicale. De toutes les grèves qui ont émaillé ce début d'année 2018, celles qui secouent le secteur de l'éducation nationale méritent que l'on s'y attarde un peu plus. D'abord parce que ce secteur connaît un foisonnement remarquable d'organisations syndicales, onze plus exactement, toutes se proclamant autonomes, beaucoup plus que dans d'autres secteurs d'activités, comme la santé ou les collectivités locales. Un signe de vitalité sans doute, mais également révélateur des enjeux politiques et idéologiques qui sont aujourd'hui au cœur de l'enseignement primaire et secondaire en Algérie. Car au-delà des questions purement syndicales, comme celles, par exemple, de la revalorisation des salaires ou des statuts des personnels de l'éducation nationale, surgissent des problématiques fondamentales. Comme celles du contenu des enseignements, de leur qualité et des pratiques pédagogiques, c'est-à-dire qui se résument dans la problématique de savoir s'il faut adapter l'école algérienne aux normes de la modernité, du progrès, des acquis scientifiques, de l'innovation et d'ouverture sur le monde ou alors faut-il la laisser encore prisonnière des conceptions passéistes, de la régression, de la pensée sclérosée et dogmatique. Il s'agit, en effet, non seulement de choisir l'option la plus à même de contribuer à la formation de la citoyenneté des enfants d'aujourd'hui qui seront les adultes de demain, mais surtout entrer dans une phase d'irréversibilité impliquant tous ceux qui sont concernés par l'avenir des institutions de l'éducation nationale, pédagogues, pouvoirs publics et parents d'élèves autour d'un consensus bien accepté. Bref, d'éviter la fuite en avant, les tâtonnements successifs dans cette entreprise régulière de réforme et d'adaptation au contexte et aux évolutions tant internes qu'externes. C'est dire combien l'école est aujourd'hui le creuset de questions sociétales majeures autour desquelles se cristallisent les luttes politiques dans l'Algérie depuis l'indépendance. Beaucoup d'Algériens avaient placé un certain espoir, en 1999, à la mise en place de la Commission de l'éducation nationale, perçue comme un chantier important pour «sauver une école sinistrée», selon l'expression qui circulait à l'époque. Il a fallu très vite déchanter, puisque, par exemple, 9 ans après le passage de Benbouzid à la tête du secteur, on n'aura retenu que le port du tablier rose pour les filles et bleu pour les garçons. Mais nulle autre réforme, parmi toutes celles retenues par la commission d'un secteur, en plus de celui de la justice, où les pesanteurs des courants islamo-conservateurs et franchement passéistes sont des plus manifestes et n'hésitent pas s'opposer de manière ouverte ou non à toute tentative de réforme. Comme l'a d'ailleurs souvent constaté à ses dépens l'actuelle ministre, Mme Benghabrit, connue pour être une dame favorable au dialogue, à la discussion. Rappelons-nous la question de la «bismallah» à l'école restituée dans son cadre particulier par la ministre et le tollé général soulevé dans le milieu islamo-conservateur qui lui voulait entraîner le débat sur des questions subsidiaires, délibérément érigées en contradictions fondamentales. Et ce, au détriment du choix de l'orientation à donner à l'école dans le sens du progrès et de la modernité. En d'autres termes, au détriment du choix de société pour l'avenir.