En plus d'agoniser en raison d'une baisse drastique de ses revenus publicitaires, la presse privée marocaine fait face depuis des années à de terribles pressions du makhzen qui cherche à tout prix à la museler. Cette fois, l'épée de Damoclès s'est abattue sur Toufik Bouachrine, le directeur du quotidien marocain indépendant Akhbar Al Yaoum, l'un des rares titres indépendants à avoir réussi à se maintenir en vie. Toufik Bouachrine, 49 ans, a été arrêté vendredi dans les locaux de son journal à Casablanca au cours d'une descente menée par une vingtaine de policiers en civil. «Ils ont fouillé les bureaux du journal, pris des photos et confisqué la clé», a fait savoir à la presse Mounir Abou Al Maali, journaliste à Akhbar Al Yaoum, tout en indiquant ignorer les raisons de l'arrestation de son directeur. Il est vrai que la police politique marocaine peut arrêter qui elle veut, quand elle veut et sans motif valable. M. Bouachrine, qui se distingue par ses éditoriaux critiques à l'égard du makhzen, avait par le passé fait l'objet de poursuites engagées par des ministres marocains, notamment pour «diffamation». En 2009, il avait été condamné à quatre ans de prison avec sursis et à des dommages et intérêts pour la publication d'une caricature dans son journal, jugée irrespectueuse de la famille royale ainsi que du drapeau national. A la différence que cette fois, ses collaborateurs n'ont pas été épargnés puisque la police judiciaire a interpellé hier la journaliste Ibtissam Machkour, directrice de publication du site d'information féminin Soltana, du même groupe. Deux salariées de la direction d'Akhbar Al Yaoum ont en outre été convoquées et doivent être entendues par la BNPJ. Répression et chantage Les employés du groupe Akhbar Al Yaoum ne sont pas les seuls à avoir été inquiétés durant ce mois février. Reporters sans frontières (RSF) a dénoncé également la condamnation, au début du mois, d'un journaliste à quatre ans de prison ferme pour sa couverture de la contestation dans la région du Rif. Poursuivi depuis août dernier pour «apologie du terrorisme», «incitation à une manifestation interdite dans la région du Rif» et «insulte à corps constitué», le fondateur du site d'information Rassdmaroc, Abdelkabir Al Horr, a été condamné le 3 février dernier par la cour d'appel de Rabat.Selon son avocat, cité par l'ONG, la justice lui a «reproché des écrits» sur le mouvement de contestation sociale qui a agité pendant des mois la région historiquement frondeuse du Rif. Les écrits incriminés ont été publiés sur une page Facebook qu'il «ne gère plus depuis 2016», soit avant le début de la contestation, d'après RSF, qui a exprimé sa «vive préoccupation». L'ONG a également appelé à l'abandon des charges contre quatre journalistes marocains, jugés depuis le mois dernier pour avoir publié des informations considérées confidentielles. «Le Maroc a adopté en août 2016 un nouveau code de la presse qui ne prévoit plus de peines de prison pour les journalistes, mais ces derniers continuent d'être poursuivis selon le code pénal», rappelle RSF. Aujourd'hui, la majorité des médias libres marocains a été normalisée. Un indicateur confirme d'ailleurs très bien cet état de fait : le Maroc figure à la 133e place sur 180 au classement de RSF concernant la liberté de la presse dans le monde en 2017. Durant l'année écoulée, les autorités marocaines ont procédé à des centaines d'arrestations arbitraires et des poursuites judiciaires contre des citoyens qui ont réclamé la justice sociale et ceux qui ont dénoncé l'injustice et la corruption, affirme le rapport annuel d'Amnesty International sur la situation des droits de l'homme dans le monde, publié jeudi. «Au Maroc, les autorités ont poursuivi en justice et emprisonné un certain nombre de journalistes, de blogueurs et de militants qui avaient critiqué des représentants des pouvoirs publics ou évoqué des violations des droits humains, des cas de corruption ou des manifestations populaires, comme celles qui se sont déroulées dans le Rif, au nord du pays», lit-on dans le rapport.