Il est des raisons que la raison ne comprend point. Certains fonctionnements de nos institutions publiques bravent toute logique. Leur rationalité défie jusqu'aux pensées pascaliennes. L'histoire d'Amel Msilta, ancienne enseignante universitaire vacataire, victime de sa passion, résume à elle seule toute l'étendue de l'œuvre kafkaïenne mise en scène sur un théâtre colossal : l'enseignement supérieur. Le scénario fait d'espoir, de lutte, de réussite puis d'arnaque et d'amertume est digne des grandes affiches. Vendeuse en pharmacie, Amel, la cinquantaine aujourd'hui, a succombé à un amour ingrat. Elle a cédé à l'appel de l'émancipation intellectuelle. Titulaire sur le tard d'un certificat d'accès à l'université délivré par l'Université de la formation continue (UFC) d'Alger, Amel pousse jusqu'à décrocher une licence classique (4 ans d'études) d'enseignement et de littérature en langue française dans le même établissement, en 1997. Espoir et témérité. Quatre années plus tard, elle réalise son rêve. Recrutée comme enseignante vacataire à la faculté de droit où elle enseigna les techniques rédactionnelles, Amel se prend à espérer une place dans le monde intellectuel et académique. Même à 250 DA l'heure de vacation pour un maximum de 8 heures par semaine, l'idéal est d'être là. Mais de vacation en vacation, errant entre les établissements de l'enseignement supérieur, elle tentera entre temps de renforcer son Curriculum Vitae, pour enfin décrocher le sésame de la titularisation. Après deux refus de candidature au magister, elle optera, financièrement meurtrie, par une inscription pour décrocher un diplôme en post-graduation du supérieur (DPGS). Un Master de l'université d'Alger dont le prix d'inscription étaient de 60 000 DA. Une fortune pour une enseignante vacataire qui se souvient de sa cure de sandwich «Karantita» de 10 DA, son repas quotidien lorsqu'elle enseignait à l'université des sciences de l'information et de la communication (ITFC). A la fin de son cursus théorique et au bout de son étude de terrain pour le mémoire de fin d'études spécialisées dans les technologies de communication, l'amoureuse de transmission du savoir se voit refuser le droit de soutenance et l'octroi du diplôme car l'administration refuse de valider son certificat d'accès à l'université, son équivalent du bac. Alors arnaque et déception. Et pour clôturer la théâtralité de l'œuvre, elle découvrira, tardivement, qu'elle n'a jamais figuré dans le répertoire des œuvres sociales. Ayant travaillé pendant 14 années dans les établissements de l'enseignement supérieur, Amel n'a jamais eu droit : ni à la promotion, ni à la titularisation, ni à la couverture sociale, ni aux congés payés ou à la cotisation de retraite. Elle n'aura même pas le droit à la carte Chifa. Le rideau se baisse. Alors résumons l'histoire. Voici donc une apprenante algérienne qui a étudié dans des établissements étatiques d'enseignement, mais qui voit ses diplômes à moitié reconnus. Une diplômée de l'enseignement supérieur à qui on a refusé le diplôme mais pas les 60 000 DA d'inscription, dans une université publique. Une travailleuse qui a sacrifié 14 années de sa vie, employée même en vacation, dans des établissements publics, étatiques, et qui n'a pas été déclarée à la Sécurité sociale. Et une passionnée d'un univers que l'université a réduit à la précarité. La force d'un Etat se mesure à la cohérence de sa gestion. On ne peut lutter contre l'informel et le non-respect des droits des travailleurs lorsque chez soi, on ne s'astreint pas à honorer les droits qu'on a soi-même légiférés.