Des syndicats autonomes dénoncent la décision du ministère du Travail d'imposer de nouveaux éléments d'appréciation de leur représentativité. «C'est une guerre déclarée à la pluralité syndicale en Algérie, à travers la modification des règles de représentativité», estime le président du Syndicat national des praticiens de santé publique (SNPSP), le Dr Lyes Merabet, qui s'étonne de la «légèreté» avec laquelle de telles décisions sont prises sans aucune rencontre, ni concertation préalable avec les syndicats. Son collègue de l'Intersyndicale et secrétaire général du Syndicat autonome des travailleurs de l'éducation et de la formation (Satef), Boualem Amoura, évoque une «autre entrave» au libre exercice syndical. «La loi algérienne n'oblige pas un syndicat à donner la liste nominative de ses adhérents. C'est pourtant ce même ministère qui a laissé activer pendant des années des syndicats sans représentation réelle sur le terrain», s'étonne le syndicaliste. Le ministère du Travail a rappelé, mardi dernier, aux syndicats leur obligation de communiquer à l'organisme employeur et à l'autorité administrative compétente les éléments permettant d'apprécier leur représentativité, conformément aux dispositions des articles 34 à 37 bis de la loi n°90-14 du 2 juin 1990, relative aux modalités d'exercice du droit syndical. Le ministère a invité à cet effet toutes les organisations syndicales à lui faire parvenir, dans des délais qui ne sauraient excéder le 31 mars 2018, toutes les informations sur les éléments permettant d'apprécier la représentativité de leur organisation. Le communiqué des services de Mourad Zemali précise que les syndicats qui ne produisent pas les éléments d'appréciation de la représentativité dans les délais réglementaires peuvent être considérés non représentatifs (art. 37 bis de la loi). Le président du Snategs, Raouf Mellal, estime que le ministère «veut imposer, pendant le temps mort», une application impossible à remplir. «Il y a la circulaire 009 du 19 mai 1997 qui donne en annexe le canevas que les syndicats doivent respecter. Et là à quelques jours du 31 mars, il nous est imposé une application, avec le nom, l'adresse, le numéro de Sécurité sociale, etc. de chaque adhérent. Comment les syndicats peuvent-ils remplir ce document excel ? Pour nous qui comptons 40 000 adhérents, il faut avoir les moyens de l'Etat pour mener à bien l'opération. L'objectif de toute cette manœuvre est clair : exclure des syndicats. Et c'est l'opinion internationale qui les intéresse», estime le syndicaliste. Le président de la CGATA, Rachid Malaoui, considère que le gouvernement «ne se soucie pas» de la représentativité de ces organisations, puisque «au final c'est l'UGTA qui est considérée comme la plus représentative». «Le BIT a condamné en 2003 le gouvernement algérien sur cette question. Il lui a été demandé de ne pas exiger la liste nominative des adhérents, mais juste leur nombre, le secteur d'activité et le montant des cotisations», détaille Malaoui. Réunion de l'Intersyndicale le 17 mars Le dernier rappel du ministère intervient après la publication par ses services de la liste des 66 organisations syndicales des travailleurs enregistrées à fin février. Dans son message, le ministère a mis en garde les employeurs contre des groupes se présentant comme des organisations syndicales, mais qui sont «en infraction par rapport à la législation du travail». Deux organisations sont citées nommément, deux «pseudo Confédération générale autonome des travailleurs en Algérie (CGATA) ainsi que les groupements de personnes utilisant la dénomination syndicale de l'ex-Snategs». Pour le Dr Merabet, en tant que tutelle chargée de l'application des lois mais aussi de la protection des militants syndicalistes, le ministère aurait dû rendre publiques les situations d'entrave au libre exercice syndical (cas des cadres syndicaux licenciés de la poste en possession de décisions de justice depuis trois années qui imposent leur réintégration) : «C'est le cas au CNES où des délégués syndicaux cadres de ce syndicat ont été licenciés. Pourquoi le ministère ne se prononce-t-il pas sur le recours de l'employeur, devenu quasi systématique, à la justice (dans tous les secteurs) en cas de conflit collectif du travail ? Enfin et c'est important de relever le fait que sur la liste des organisations syndicales reconnues ‘‘légalement'', il n'y a aucune union, fédération, ni confédération qui couvrent les différents secteurs (Fonction publique et secteur économique) enregistrées depuis la pluralité syndicale dans notre pays.» Le président du Satef estime que le département de Zemali doit permettre l'«épanouissement» des syndicats comme l'exige la réglementation : «Je pose à l'actuel ministère les mêmes questions que j'ai posées à son prédécesseur et au secrétaire général du ministère, lors de la réunion du 12 janvier 2017. Pourquoi ne pas avoir pensé plus tôt à l'épanouissement des syndicats ? Il est interdit aux organisations nationales d'organiser avec des ONG des sessions de formation. Pourquoi le ministère ne le fait pas ? Il y a la question des subventions. Certains syndicats, nouvellement créés bénéficient de subventions conséquentes, alors que d'autres organisations ont des subventions misérables. Nous savons qu'un syndicat a bénéficié d'une subvention d'un million de dinars, alors que notre organisation, la deuxième à avoir été fondée après l'UGTA, ne reçoit que 150 000 DA. L'organisation d'un congrès national coûte plus cher.» Une réunion de l'Intersyndicale, le samedi 17 mars, examinera le nouveau dispositif mis en place par le ministère. «On espère sortir avec une position commune sur cette question», signale le Dr Merabet, ajoutant que d'autres syndicats autonomes rejoindront l'Intersyndicale.