Le djihad n'est pas cette course morbide vers la mort, mais plutôt un long travail indispensable de réformisme. L'Islam doit trouver sa place dans la modernité. C'est le plus grand combat de ce siècle. Abdennour Bidar apporte un regard très intelligent sur cet Islam de France. Etre de nulle part, c'est être partout chez soi. Il ne porte l'Islam ni sur son visage, ni sur ses vêtements, ni sur son mode de vie. Eh oui, l'Islam n'est pas synonyme d'immigration. Les deux ne sont pas nécessairement liés. On peut être Français de souche, Auvergnat, se prénommer Abdennour et être musulman. C'est toute l'originalité d'Abdennour Pierre Bidar. Un parcours atypique, courageux, aux antipodes du stéréotype musulman arabe. « Pendant longtemps, tout au moins jusqu'à l'âge de huit ou neuf ans, j'ai vécu le fait d'être musulman le vendredi et dans les vignes de mon grand-père le samedi sans trop souffrir de la contradiction. Mais, régulièrement, mon esprit se trouvait ramené à la même énigme : pourquoi ces univers ne communiquent-ils pas entre eux, alors qu'ils sont côte-à-côte ? Mon grand-père auvergnat et athée ne parlait jamais de l'Islam. Je voyais les musulmans rester beaucoup entre eux. Et moi au milieu. Un électron libre. Tantôt chez les uns, tantôt chez les autres. Etait-ce là le sens de ma vie, de faire enfin communiquer ces deux mers qui se touchent sans mêler leurs eaux, cet Orient et cet Occident qui se côtoient sans vouloir se reconnaître ? Le petit garçon que j'étais a dû se figurer que c'était là sa responsabilité à venir, effectivement. Une responsabilité née de l'amour et de la peine : amour de mon grand-père athée, amour de ma mère musulmane, peine de voir que l'Islam était entre eux comme un mur. J'aurais tout donné alors pour détruire ce mur . » Le jeune professeur de philosophie s'y emploie admirablement. Il brise les tabous allégrement et n'hésite pas à appeler à la réforme de l'Islam. Pour les anciens immigrés, il revendique une meilleure visibilité, plus de respect. Sortir l'Islam de la cave représente un pas important pour lutter contre les intégrismes et aussi une étape vers plus de respect. « Dans l'enceinte du lieu sacré, ils retrouvaient un peu du pays perdu. Je sentais chaque fois leur soulagement et leur plaisir d'entrer dans la mosquée, comme le naufragé qui prend pied sur une terre ferme après avoir cru sombrer. Parce que j'ai observé cela, je comprends d'autant mieux la revendication de construire des mosquées ici, en France. Pour une question de dignité reconquise et de décence. Pour que l'identité musulmane ne soit pas humiliée par l'obligation de prier dans une cave ou piteux ‘‘local''. » Abdennour Bidar pose des questions existentielles et apporte des réponses limpides, claires, assumées. A la question sur la prévalence de la nation sur la religion, sa position est on ne peut plus franche. « Suis-je ‘'français musulman'' ou ‘'musulman français'' ? Du point de vue social et politique, je suis ‘'français musulman'' ; mon attachement à la nation française, à ses valeurs de liberté, égalité, fraternité, m'impose de faire passer mon Islam au second plan, de le vivre discrètement, sans empiéter sur l'espace vital d'autrui et sans qu'il m'empêche de fraterniser avec tous les autres Français. Sur le plan spirituel et privé, part contre, je suis ‘'musulman français'', c'est-à-dire homme de foi nourri au centre de mon être par le témoignage de la foi et le Coran mais aussi par la culture française qui, à travers ses penseurs, ses écrivains, ses artistes, a donné à ma spiritualité musulmane une couleur tout à fait spéciale. » Et si l'Islam n'est pas cette religion figée que s'emploient à nous décrire les théologiens bornés, mais bien au contraire une foi où l'ijtihad, la réforme est un signe de vie, de création ? Car adapter l'Islam à la modernité est le plus grand djihad de ce siècle. Self Islam de Abdennour Bidar, seuil, 2007