La première semaine d'audiences dans le procès de la BCIA, du 27 au 31 janvier, donne déjà un aperçu sur les tenants de cette affaire. Ceci en attendant que la cour tranche sur ce cas de dilapidation de deniers publics, le préjudice causé à la BEA d'un montant de 13,23 milliards DA et situe les responsabilités ou la complicité de chacun des accusés, une cinquantaine dont une dizaine déclarés en état de fuite. Le premier chef d'accusation suffit à écarter certaines terminologies inappropriées faisant allusion à une faillite de l'institution bancaire dirigée par Ahmed Kharroubi et ses enfants ou un simple litige ou conflit commercial entre les deux banques. Nous avons affaire à un large mouvement de transfert de liquidités, via des effets de commerce et sous couvert d'opérations commerciales (importation ou écoulement de produits de cette activité), mais sans marchandise pour le cas qui a fait scandale, de la BEA vers une destination qu'on ignore à ce stade. Au 13 mai 2003, date de rejet d'un lot de traites qu'elle a avalisé pour un montant de 4, 2 milliards DA, la BCIA est accusée de ne pas disposer de fonds nécessaires pour faire face à la " dette " escomptée par la BEA (les deux agences 74 dite Yougoslavie et 84 de Sig) au profit de plusieurs de ses clients auxquels elle a apposé sa garantie mais aussi pour faire face au payement des bons de caisse supposés être émis sans contrepartie et pour lesquels des chèques ont été encaissés. Pour ce dernier cas, le préjudice a été évalué à 1,55 milliards DA. Pour le cas des traites, le directeur général de la BCIA à Alger, Benkadi Ahmed, a, selon l'arrêt de renvoi, avoué avoir signé le rejet pour dépassement du délai des traites présentées par la BEA sur injonction du conseil d'administration mais aussi du fondateur de la banque, Ahmed Kharroubi, mais que la caisse d'Alger pouvait combler le déficit de l'agence d'Oran. La grosse part du montant du premier préjudice de 4,2 milliards DA revient à la société importatrice notamment de sucre Sotrapla dirigée par Addou Samir après le retrait des autres associés Habour Sid Ahmed et Habour Omar avant les faits. Autour de cette société mais aussi d'autres comme le groupe Fouatih et Nebia, devaient graviter des grossistes ou affairistes mais aussi une panoplie de petits commerçants dont le seul avantage est de disposer d'un registre de commerce. En tout ils sont une quinzaine à avoir ouvert, dans la période entourant les faits, des comptes à la BCIA et à signer des traites de montants faramineux par rapport à leur activité d'origine. Ils ont signé mais ils devaient recevoir des marchandises qui, théoriquement, une fois vendues, devaient leur permettre de rembourser. En fait, selon les déclarations de plusieurs d'entre eux, sanctionnées dans l'arrêt de renvoi du 13 juin 2005, il s'est avéré qu'ils ont signé à blanc et, pour revenir aux faits, ils n'ont reçu aucune marchandise pouvant justifier le fait d'avoir signé. Ils n'ont également pas présenté de factures proforma pour se couvrir. Par contre, quelques-uns parmi eux, est-il également noté, ont déclaré avoir encaissé à la BCIA des sommes de 100 000 DA alors que leur compte récemment ouvert était vide. La partie civile compte en tout une quinzaine de ces " lampistes " (ayant joué le rôle des tirés dans le jargon spécifique à la banque) qui ont, par " ignorance ", " cupidité " ou " complicité " (la justice le déterminera), participé à un mouvement d'escompte qui s'est avéré préjudiciable pour la banque publique BEA. L'escompte des traites représente en effet le gros du préjudice avec globalement 6, 79 milliards DA pour l'agence 74 (Yougoslavie) et 2,89 milliards DA pour l'agence de Sig, une banque de 3e catégorie qui s'est vu du jour au lendemain, notamment entre les 13 et 18 mai 2005, effectuer des mouvements faramineux : 217 chèques pour 2,5 milliards DA. Quel lien y a-t-il entre Addou Samir de Sotrapla, les dirigeants de la BCIA et le directeur de l'agence 74 de la BEA ainsi que les cadres de l'agence de Sig (ou son directeur décédé entre temps, M. Ardjoun) ? Ont-il ensemble ou chacun de son côté (pour les premiers) usé de stratagèmes pour disposer de liquidités et dans quel but ? A ce stade du procès, où on n'a entendu que les cadres de la BEA, le fait, s'il a lieu, reste à déterminer. Le premier devait être entendu cette semaine, juste après la comparution, samedi 3 février, de Ahmed Fouatih Belkacem qui gère un groupe d'entreprises. Mais là aussi il s'agit presque exclusivement de commerce. Dans son cas on parle d'effets de complaisance, c'est-à-dire qu'il disposait de papiers commerciaux, toujours par le biais de la BCIA mais sans autorisation d'escompte de la BEA contrairement à Sotrapla qui en disposait mais pour un plafond de 800 millions DA. Pourtant, en une seule journée, le 12 novembre 2003, Sotrapla devait disposer de 1 milliard DA (100 milliards de centimes). Au sujet de Fouatih, on parle également d'effets croisés, pour dit-on, alimenter même provisoirement, les trésoreries des entités gérées par le même staff (où la même personne) mais qui convergent vers la même activité, le commerce. Avec les traites d'un mois on payait celles du mois précédent et ainsi de suite, comme si on payait une dette avec une autre dette, etc. On pense qu'un tel mouvement ne pouvait pas passer inaperçu et on s'étonne que personne n'ait sonné l'alarme jusqu'à éclatement de l'affaire en mai 2003. A l'agence de Sig qui cumule un préjudice de 4 milliards DA, on assiste également à ce qui est qualifié de procuration à blanc. Le cas cité de Selmane Abderrahmane se traduit par la gestion de plusieurs comptes bancaires de clients dont la domiciliation fiscale se localise par exemple dans l'Algérois sans que les gestionnaires n'émettent des soupçons. " Je ne cherche pas à comprendre, j'exécute les ordres et les consignes ", a-t-on déclaré devant le juge, ce qui illustre au mieux un laisser-aller, au pire une complicité. Pour l'agence de Sig, les bons de caisse pouvant être convertis en monnaie émis par la BCIA et les chèques visés mais sans provision ont représenté une bonne part du préjudice causé à la BEA. La partie civile a déclaré que " la BCIA a refusé de payer des traites dont l'échéance n'est pas arrivée à terme et que l'agence de Sig a apposé des cachets et des signatures et accepté des chèques pour des clients qui ne disposent pas de provision suffisante ". Elle ajoute que le fait que le gros de ces opérations ait eu lieu entre le 13 et le 18 mai 2003 (la même période coïncidant avec le rejet par la BCIA des traites de l'agence Yougoslavie) est une preuve que les dirigeants de la BCIA ne disposaient pas de fonds nécessaires pour affronter la situation (4,2 milliards DA) et se sont rabattus, par l'intérimaires des plus importants clients, des commerçants cités au nombre de 4, sur l'agence de Sig pour combler le déficit. Cette affaire devient peut-être plus lisible en introduisant les choix économiques opérés par l'Algérie à l'aube de la décennie 90 et les décisions prises ultérieurement comme la libéralisation très tôt du commerce extérieur. Plus de 15 ans après, l'activité commerciale liée exclusivement à l'importation et l'écoulement des produits suscite encore de l'avidité au détriment de l'entreprise de production. Héritage du " trabendo ", l'enrichissement à court terme devient la valeur principale avec ses réseaux encore actifs. " Si on avait laissé passé plus de temps, à ce train là, la banque centrale aurait même fait faillite ", estime un avocat de la partie civile représentée au procès par M. Benblel, représentant le collectif.