Le terrorisme n'est pas propre au monde musulman. Farhad Khosrokhavar, sociologue et directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris, s'y explique et analyse ce phénomène en le plaçant dans son contexte actuel. Au cours de son exposé, jeudi à Alger, aux Débats d'El Watan, dont l'édition est placée sous l'intitulé « Le terrorisme islamiste : de l'Algérie à Al Qaîda », l'expert en la manière s'est employé à définir d'emblée ce concept en attirant l'attention sur l'utilisation parfois abusive du mot « terrorisme ». Qualifiant ce mot de « passe-partout », M. Khosrokhavar a souligné que le mot terrorisme ne peut pas s'appliquer de manière indifférenciée à tous les mouvements d'obédience islamiste. L'argument du chercheur est que « le terrorisme est toujours minoritaire », que ce soit en Europe ou ailleurs dans le monde. HAMAS, LE HEZBOLLAH ET LES AUTRES En cela que ceux qui acceptent de mourir pour la cause en s'engageant dans cette voie constituent une minorité dans les diverses sociétés du monde, notamment musulmane. Selon lui, les Frères musulmans en Egypte est un mouvement islamiste qui ne verse pas dans le radicalisme. Idem pour le Hamas en Palestine et le Hezbollah au Liban qui jouissent également d'un ancrage au sein de la société et qui luttent contre l'occupation israélienne. Au contraire, estime-t-il, ce sont plutôt des mouvements fondamentalistes. Et le fondamentalisme, explique-t-il, est une barrière contre le radicalisme. « Je ne pense pas que les sociétés musulmanes voteraient pour l'islamisme radical », observe-t-il. L'islamisme radical est incarné, selon l'orateur, par des organisations extrémistes du type Al Qaîda qui, souvent, n'ont aucune assise sociale. Si le GSPC et le GIA algériens intègrent le mouvement d'Al Qaîda, c'est parce que, souligne le sociologue, ils ont perdu totalement leur caractère national et leurs appuis au sein de la société algérienne. « Pour cette raison, à mon avis, il se transnationalise », indique-t-il. Les musulmans et l'europe Mais ce qui est troublant pour lui, est le fait que le terrorisme est devenu un phénomène qui ne concerne pas uniquement le monde musulman. « Vous le trouvez autant dans les sociétés musulmanes que dans de grandes parties du monde dit occidental », estime-t-il. Comment donc l'expliquer dans ce monde occidental ? Selon lui, la thèse selon laquelle ce phénomène est dû aux minorités musulmanes qui ont émigré en Europe ne tient pas vraiment la route, parce qu'aux Etats-Unis aussi il y a près de 4 millions de musulmans sans qu'il y ait la montée de l'extrémisme islamiste. M. Khosrokhavar estime ainsi que l'islamisme en Europe n'est pas un phénomène « importé », mais il s'agit plutôt d'une coproduction des sociétés européennes. « Il est lié, fait-il remarquer, à une vision de soi, une construction de soi et de l'autre, évidemment en terme de déshumanisation de l'autre, de référence à un sacré, de sacrifice. » L'orateur évoque dans ce contexte L'Islam dans les prisons, livre sorti en France en 2004, dans lequel il a tenté d'expliquer les raisons qui peuvent pousser des jeunes Français noirs ou maghrébins, issus de banlieues pauvres, à se tourner vers l'Islam. Selon lui, l'enquête qu'il a effectuée dans les prisons françaises indique que ce phénomène s'explique par « le souci de se trouver une unité dans le monde déstructurant de la prison, le sentiment que cette religion incarne des valeurs de pureté et qu'elle est la religion des opprimés ». Il relève que les détenus interrogés sur leur avenir après la prison ne parlent pas de djihad ni même d'activité religieuse. L'immense majorité d'entre eux parle plutôt de l'envie de trouver un travail « honnête », de fonder un foyer ou reprendre une liaison amoureuse, d'obtenir des papiers. Cette explication est aussi valable pour les jeunes Européens issus de l'immigration qui, selon lui, versent dans une conception de l'Islam imaginaire sans qu'ils sachent réellement quels sont les préceptes de cette religion. D'après lui, le seul but animant ces jeunes convertis à l'Islam est de fuir cette société occidentale déshumanisée, qui les méprise et qui les rejette. En épousant l'Islam, sur lequel la plupart d'entre eux ne savent pas grand-chose, précise le conférencier, ces jeunes pensent « avoir accès à la chaleur sociale dans une société dépourvue de la chaleur humaine », tout en considérant l'Islam comme « la religion des opprimés ». Selon lui, il y a en France près de 50 000 convertis à l'Islam par an. Une bonne partie, soutient-il, le fait par « complaisance », sans grande conviction, n'étant le fait de croire que cela leur permettrait d'accéder, dans un monde imaginaire, à une dignité qui leur a été impossible dans la société réelle. M. Khosrokhavar estime aussi que cela se justifie par le fait que l'Islam est actuellement l'unique religion « capable de créer un monde imaginaire ». Cela peut être extrêmement dangereux, prévient-il. Cette islamisation de la jeunesse issue de l'immigration pose ainsi le problème de l'intégration dans la société européenne. Si ce phénomène ne connaît pas la même intensité aux Etats-Unis, c'est parce que, note le conférencier, les musulmans américains sont plus instruits et constituent la classe moyenne. Ainsi, pour endiguer ce phénomène, les sociétés européennes doivent être moins injustes vis-à-vis de ces populations immigrées.