Ouvert voilà plus d'un mois, devant le tribunal criminel de Blida, le procès d'El Khalifa Bank n'en finit pas de livrer jour après jour à une opinion publique nationale et internationale, médusée, son lot de révélations plus effarantes, plus révoltantes les unes que les autres, sur les mœurs politiques et la corruption morale qui sévissent dans les plus hautes sphères des institutions publiques et aux plus hauts échelons. Cependant, malgré toute l'ampleur de la couverture médiatique dont cette immense banqueroute fait l'objet et en dépit de la conduite techniquement exemplaire du procès au sein du tribunal, le citoyen ordinaire - et j'en suis un - a le sentiment qu'il assiste peut-être à une gigantesque opération de prestidigitation politique, tendant à escamoter le cœur du problème qui se décompose en trois interrogations essentielles : 1) - Qu'est-ce qui empêche l'Etat algérien de demander l'extradition d'urgence de l'escroc Abdelmoumène Khalifa ? ; 2) - Que fait la justice algérienne pour que tous les individus impliqués, -absolument tous - et quels que soient leur qualité ou leur rang social, soient cités à comparaître devant les tribunaux ? ; 3) - Où est allé tout cet argent et qu'a fait l'Etat algérien depuis 2003 pour en récupérer la plus grande partie possible, nécessairement « planquée » à l'étranger, voire en Algérie-même ? En tout état de cause, que l'on ne vienne surtout pas nous dire que la tâche sera difficile quand chacun sait que la moindre somme de quelques milliers de dollars ou d'euros déposée par un Arabe dans n'importe quelle banque en Europe ou aux Etats-Unis est désormais systématiquement enregistrée et signalée aux différents « services de lutte contre le terrorisme » (étant entendu que les Arabes sont tous des « terroristes potentiels » à ce qu'il paraît...), mais passons. Les exemples internationaux ne manquent pas, en effet, dans l'histoire la plus récente des grands détournements et blanchiments commis par des dictateurs déchus comme le général Abacha du Nigeria, le général Marcos des Philippines, le général Montesinos du Pérou ou par leurs proches parents comme Raul Salinas, frère du président Carlos Salinas du Mexique. Près des trois quarts des sommes détournées ont pu être ainsi récupérées par les Etats concernés, grâce à la volonté politique de ces Etats d'abord. Grâce aussi à la mobilisation d'un certain nombre d'ONG, comme Transparency International. En tant que pays émergent et respecté sur la scène internationale, l'Algérie dispose d'un grand capital de prestige et de sympathie à l'étranger. Beaucoup d'institutions officielles ou privées, de femmes et d'hommes politiques influents à travers le monde pourraient se mobiliser à nos côtés pour aider notre pays à récupérer les immenses capitaux détournés. Il y a lieu de signaler en particulier l'opportunité qu'a notre pays en la personne de Mme Micheline Calmy-Rey, la présidente - pour 2007- de la confédération Helvétique, connue pour ses positions morales et ses sympathies à l'égard des pays du Tiers-Monde. Si des dizaines de responsables politiques, de cadres financiers et autres individus impliqués vont devoir répondre de leurs criminels agissements, il sera tout aussi criminel de baisser les bras en laissant des sommes astronomiques dormir au fond des coffres de certaines banques à l'étranger, en attendant que leurs voleurs viennent les récupérer à l'issue d'une plus ou moins longue détention. Sans parler de ceux qui sont toujours en liberté, à commencer par le chef de cette bande de criminels en col blanc, le nommé Khalifa Abdelmoumène et ceux qui l'ont créé. Même en retenant l'hypothèse « la plus basse » sur l'estimation du préjudice total subi par la nation, du fait de cette escroquerie sans nom, on en arrive à des sommes colossales, provisoirement de l'ordre de 5,5 milliards de dollars c'est-à-dire 500 milliards de dinars algériens. Or, dans cette affaire, il est fait état des sommes détournées, tantôt en termes de dinars, tantôt en termes de dollars, voire en termes d'euros, quand ce n'est pas en centimes de dinars. Ce qui fait que la plupart des citoyens ne s'y retrouvent plus et n'ont souvent qu'une vague idée de l'étendue du désastre provoqué par cette banqueroute et des terribles pertes qu'elle a entraînées pour l'économie du pays dans son ensemble.Traduite en termes matérialisables, une telle perte peut s'exprimer par les données matérialisables suivantes : Une longueur de 80 000 km (deux fois le tour de la Terre) si on mettait bout à bout tous les billets de 1000 DA représentés par une telle somme Une superficie de 560 ha couverte avec des billets de 1000 DA Une pile de liasses en billets de 1000 DA, haute de 40 km Un volume de 448 m3 ou 28 containers de grand format pleins à craquer de billets de 1000 DA. Si l'on devait projeter ces sommes volées en termes d'investissements perdus pour le peuple algérien, cela donnerait, selon la nature et le type d'investissement, les estimations minimales suivantes : 250 000 logements sociaux, soient environ 1 million et demi d'Algériens relogés, à raison de 2 millions de dinars le logement, avec en moyenne 6 personnes par logement 50 000 lits d'hôpitaux à raison de 10 millions de dinars par lit, bâtiments et équipements inclus (soit 50 hôpitaux régionaux de standing international, clés en main, de 1000 lits chacun) 200 000 salles de classe (ou 6 millions d'élèves scolarisés, à raison de 2 millions et demi de dinars par classe, avec 30 élèves pas classe) 1000 à 1200 km d'autoroutes nouvelles ou bien 4000 à 4500 km de nouvelles routes nationales à 3 voies 250 000 emplois permanents, à raison d'une moyenne d'investissement tous secteurs confondus, de 2 millions de dinars par emploi permanent créé 10 années de salaires à 12 000 DA/ mois, pour 347 000 chefs de famille. C'est comme si, tout au long des 6 années (1998 - 2003) durant lesquelles elle a opéré, cette banque d'escrocs détournait chaque jour 270 millions de dinars, au préjudice du peuple algérien. Une véritable hémorragie financière qui a duré 6 ans sans alerter aucun des pléthoriques services publics de contrôle ou de sécurité. C'est la banqueroute criminelle la plus lourde jamais enregistrée dans les annales des grands scandales financiers et encore s'agit-il ici d'estimations « basses » comme précisé plus haut. Des estimations qui donnent non seulement le vertige, mais aussi la nausée devant ce qu'on doit qualifier sans avoir peur des mots, de crime de haute trahison contre la patrie. Crime orchestré certes par des escrocs et des criminels, mais crime qui n'a été rendu possible que par les complicités et, à tout le moins, les complaisances et les négligences de la haute administration algérienne. C'est en ces termes-là qu'il faudra en effet révéler la vérité aux citoyens algériens pour qu'ils prennent toute la mesure de ce qui constitue pour notre pays une véritable catastrophe nationale, due à l'incompétence des uns, à la corruption des autres et à la responsabilité de tous, jusqu'au sommet d'un pouvoir politique aujourd'hui totalement discrédité et dont la responsabilité politique et morale ne peut en rien être atténuée par les vagues accusations récemment portées contre le chef de l'Etat, M. Bouteflika, par l'escroc Abdelmoumène Khalifa. Un escroc qui a curieusement oublié au passage de se rappeler le temps des grands dîners autour de la table de M. Bouteflika, en compagnie de ses hôtes de luxe comme l'actrice Catherine Deneuve et l'acteur demi-sel, Gérard Depardieu qui battait le rappel de ses copains de France en les appelant depuis Alger, à venir en Algérie où « il y a du pognon à prendre » comme il l'a si vulgairement dit. Ce sera l'honneur du pouvoir judiciaire, c'est-à-dire d'une justice algérienne si longtemps décriée, que de prendre à bras-le-corps une indépendance authentique vis-à-vis d'un pouvoir exécutif gravement marqué moralement désormais, et qui plus est, ne peut plus se prévaloir aujourd'hui, d'une quelconque légitimité - y compris historique - pour se placer au-dessus des lois et des institutions. Ce sera l'honneur de cette justice algérienne surtout, que de ne plus tolérer désormais qu'un délinquant avoué, comme le dénommé Sidi Saïd, secrétaire général de l'UGTA, a eu l'affront de venir à la barre pour déclarer avec arrogance devant des magistrats : « J'assume », comme s'il avait une armée de généraux ou de protecteurs qui l'attendaient à la sortie du prétoire ! Ce sera l'honneur aussi, du pouvoir législatif, dans la foulée de ce qui doit être considéré comme une véritable prise de conscience institutionnelle et citoyenne nationale, que de s'élever au niveau de la dignité et de la confiance qu'implique la mission de représenter le peuple et les intérêts légitimes de ce peuple. Ce sera l'honneur enfin de ce qui est convenu d'appeler le « quatrième pouvoir », celui des médias, que d'oser dire toute la vérité à un peuple trop longtemps marginalisé. Il est honteux de constater à cet égard qu'au moment où des chaînes internationales font leurs choux gras du scandale d'El Khalifa Bank, l'ENTV — seul média public pouvant atteindre l'ensemble de l'opinion nationale — continue de traiter cette affaire avec un quasi silence, réservant l'essentiel de ses éditions d'information aux activités (sic) de M. Bouteflika ou de ses pseudo-ministres. C'est assez souligner que le lent processus de dégradation sociale, de déliquescence institutionnelle et de corruption morale de la classe politique, qui minait depuis si longtemps notre pays vient d'atteindre à un stade de pourrissement tel, que seule une véritable « intifadha morale nationale » serait à même d'inverser. A commencer par une épuration - dans le strict respect du droit et de la morale - de la haute administration de toute cette faune de nouveaux « bachaghas » et autres petits potentats parvenus, incompétents, corrompus et souvent antipatriotes. C'est à ce prix et à ce prix seulement que l'on pourra parler, sans baisser les yeux, d'un Etat Algérien digne de ce nom.